Distinguer deux notions : exploitation et aliénation ?

« Le mot exploitation » est utilisé pour désigner un fait économique : on affirme qu'une partie du travail effectué n'est pas payée au travailleur.

Le terme « aliénation » suppose, lui, un point de vue « philosophique » : il signifie que le travailleur ne se « reconnaît » pas dans son travail.

Cela suppose une certaine idée de ce que devrait représenter le travail pour l'homme : permettre la réalisation de l'individu en étant la manifestation, l'extériorisation de lui-même.

La critique de l'aliénation fait référence à une « essence » de l'humanité, dont le travail est censé accomplir la réalisation. • L'exploitation Marx, dans Le Capital (1867), analyse le système capitaliste.

Le capitaliste, propriétaire des moyens de production, achète les marchandises nécessaires à la fabrication d'un produit qu'il mettra sur le marché.

La force de travail du travailleur est une de ces marchandises.

Or, dit Marx, la force de travail est la seule marchandise achetée par le capitaliste, dont l'usage peut produire une valeur supérieure à la sienne propre.

Le capitaliste paie un salaire mais il utilise la force de travail au-delà du temps nécessaire à la production d'une valeur équivalente à ce salaire.

La sur-valeur ou plus-value désigne, chez Marx, la part de la valeur produite par l'ouvrier qui n'est pas rémunérée par le salaire ; la sur-valeur est donc le résultat d'un sur-travail, non payé.

Une augmentation de la durée de la journée de travail, ou une augmentation de la productivité, sans augmentation de salaire, entraîne une augmentation de la sur-valeur. L'extorsion de la sur-valeur est masquée par le salaire, qui donne l'illusion que tout le travail est payé.

Le fait que le travailleur vende sa force de travail distingue le salariat de l'esclavage et du servage.

Alors que l'esclave appartient à son maître et que le serf est assujetti à son seigneur, le travailleur est « libre », ce qui signifie, pour Marx, que le marché où il est contraint de vendre sa force de travail (car il ne possède qu'elle), est un marché libre. • L'aliénation Terme dérivé du latin alienus, qui signifie « autre ».

Au sens juridique, l'aliénation est l'acte de se dessaisir au profit d'autrui d'un bien ou d'un droit. Dans son sens philosophique, le concept d'aliénation a été employé par Hegel : il permet de penser le mouvement de la conscience qui, pour devenir une réalité objective, produit quelque chose qui se détache d'elle.

Il indique l'idée de dessaisissement, voire de dépossession, mais cette aliénation est pour l'idéalisme hégélien un moment nécessaire dans l'histoire de l'Esprit.

Avec Feuerbach, disciple critique de Hegel, l'idée d'aliénation prend un sens négatif. Feuerbach analyse la religion comme la projection des qualités de l'homme en Dieu.

Dans la religion, l'homme se prive des qualités morales et intellectuelles qu'il attribue à Dieu, ce qui entraîne que plus grande est la perfection divine, plus grande est l'imperfection humaine.

La religion est donc dépossession, aliénation. De même, quand Marx, dans les Manuscrits de 1844, emploie le concept d'aliénation, c'est pour signifier une perte.

Cette dépossession ne tient pas seulement au fait que le produit du travail n'appartient pas à celui qui le fabrique.

En effet le travail devrait être pour l'homme un moyen d'extériorisation de lui-même mais s'il cesse de l'être, s'il signifie au contraire perte de soi-même, c'est alors le travail — et non seulement le travailleur — qui est aliéné. Dans l'oeuvre de Marx, l'analyse de l'exploitation et l'analyse de l'aliénation se situent à deux moments différents.

Pour certains interprètes, il faut les considérer comme articulées l'une à l'autre : la critique philosophique de l'aliénation du travail serait le fondement de l'analyse de l'exploitation que donne Le Capital.

Pour d'autres, au contraire, Marx a progressivement abandonné le point de vue philosophique au profit d'une approche plus "scientifique ".. »