Aide en Philo

Dire de l'art qu'il n'est pas utile est ce dire qu'il est inutile ?

Extrait du document

« Lorsque nous parlons d'art, nous désignons en vérité deux réalités distinctes.

Jusqu'au dix-huitième siècle, le terme « art » désignait l'ensemble des techniques de production d'artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau.

Ainsi, l'activité de l'artiste et celle de l'artisan étaient recouvertes par le même terme.

Or, il semble que ces deux activités ne soient pas entièrement réductibles l'une à l'autre, qu'elles possèdent chacune une spécificité à élucider.

Par conséquent, il nous faudra au cours de ce travail préciser d'une part ce qui distingue l'art de l'horloger de celui du poète, l'activité du coutelier de celle du plasticien ; et toujours préciser à laquelle de ces deux activités singulières nous pensons lorsque nous employons le signifiant « art ». Une chose utile est une chose qui sert valablement de moyen à la réalisation d'une ou plusieurs fins.

A l'inverse, une chose inutile est soit une chose qui ne sert pas efficacement de moyen à la fin qu'un agent veut lui voir accomplir, soit une chose qui ne sert à strictement aucune fin. La question qui nous est posée semble s'opposer frontalement au principe de non contradiction.

Ce principe aristotélicien expose que l'on ne peut dire quelque chose d'une autre et son contraire, simultanément et sous les mêmes rapports.

Analysons un instant la question : si nous disons de l'art qu'il n'est pas utile, cela signifie nécessairement qu'il est inutile.

En effet, nous ne pouvons dire de l'art à la fois qu'il n'est pas utile et qu'il est son contraire, à savoir non inutile.

Par conséquent, si nous voulons donner un sens à la question posée, et dépasser son caractère contraire au principe de non contradiction, nous devrons nous interroger plus profondément sur les concepts de non utile, et d'inutile, qui ne sont sans doute pas aussi synonymes qu'ils le semblent. Nous nous demanderons donc si la question qui nous est posée tombe sous le coup de la critique du principe de non contradiction, ou s'il existe bien une différence entre le non utile et l'inutile. I. L'art dans son acception ancienne est utile par définitions a.

L'utilité, dimension majeure des productions des arts mécaniques Nous commencerons par étudier le concept d'art en nous référant à son acception ancienne que l'on désigne aujourd'hui par le terme d'artisanat.

L'artisanat est cette activité de production d'artefacts dont la définition préexiste dans l'esprit du producteur avant leur réalisation.

En ce sens, l'artisan est celui qui détient une recette, une formule qu'un maître lui a transmis, et qu'il s'efforce d'appliquer au mieux pour faire advenir à l'être des objets qui correspondent rigoureusement à ce qu'il a appris être l'idéal de sa production.

Si c'est ainsi que nous entendons le concept d'art, nous n'aurons pas de peine à montrer qu'en art ce n'est pas la forme seule qui compte.

En effet, cette expression implique que la forme a de la valeur à l'exclusion de tout le reste : pour l'infirmer, il suffit donc de montrer qu'autre chose que la forme a de la valeur, à savoir l'utilité.

En effet, ce que nous demandons aux productions de l'artisanat, c'est de servir valablement de moyens à la réalisation de certaines fins.

Par conséquent, leur utilité compte principalement à nos yeux, et non leur incarnation dans une forme.

Pour s'en convaincre, il suffit de penser à un vase splendide qui laisserait fuir l'eau dont nous avons besoin, et à un vase de terre cuite qui la retiendrait efficacement : nous choisirions le second plutôt que le premier, si nous nous rapportons au vase comme au moyen d'atteindre une fin pratique. b. Dire de l'artisanat qu'il n'est pas utile et inutile est une contradiction A la lumière de ce que nous venons d'exposer, nous dirons de cette forme d'art qu'est l'artisanat que non seulement il est faux de prétendre qu'il n'est pas utile, mais également qu'il est erronée de dire qu'il est inutile.

En effet, nous venons de voir que par définition l'artisanat est une activité de production d'artefacts qui servent valablement de moyens à la réalisation des fins que nous leur attribuons.

Allant plus loin, nous pouvons même dire que l'artisanat est pénétré de part en part par le concept d'utilité, dans la mesure où c'est la fin attribuée à l'artefact qui détermine l'ensemble de ses étapes de sa production.

Nous n'avons donc pas à distinguer entre le non utile et l'inutile, dans la mesure où, en dépit de toutes les distinctions potentielles entre ces deux concepts, il est erroné de dire de l'artisanat qu'il n'est pas utile. II. a. Les beaux arts ne sont pas utiles, c'est-à-dire inutiles L'art, à l'inverse de l'artisanat, n'est pas utile En revanche, nous dirons que l'art, c'est-à-dire, l'activité distincte de l'artisanat depuis le XVIIIe siècle, n'est pas utile, et que cette dimension de non utilité est inséparable de sa définition.

En effet, les produits de l'art ne servent pas à satisfaire de fins, ils ne sont jamais des moyens : le tableau dans le musée, la sculpture dans le parc ne sont destinés à remplir aucune sorte de fins.

Ils sont uniquement destinés à notre contemplation, mais ne peuvent être réifiés qu'au prix d'une négation de leur essence artistique (brûler le Picasso pour se chauffer revient à le nier comme objet artistique pour en faire une pure chose).

Par conséquent, nous dirons que l'art n'est pas utile, et qu'affirmer une telle chose est strictement indissociable du fait qu'il soit inutile. b. La doctrine de l'art pour l'art : l'art est art à proportion de son inutilité En effet, pour tout un courant de la pensée artistique, l'art est non utile, c'est-à-dire qu'il n'est jamais destiné à remplir une fonction de moyen, mais il est également inutile, au sens où il ne remplit aucune sorte de fin.

Telle est la théorie de l'art pour l'art énoncée par Théophile Gautier dans la Préface de Mademoiselle de Maupin : l'homme de lettre nomme une pluralité de choses utiles (par exemple, les latrines…) pour arriver à l'idée que la beauté consiste exclusivement dans le non utile.

L'utile est le laid, l'inutile est la beauté, par conséquent l'art n'a d'autre nature que l' inutilité et doit se garder d'être instrumentalisé, c'est-à-dire abaissé à des fins utiles : par exemple, l'art doit se. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles