Devons-nous aimer ?
Extrait du document
«
La morale chrétienne est ambivalente sur la question de l'amour.
Car si elle condamne le désir charnel (qui à nous autre
terriens semble être partie intégrante du sentiment amoureux), elle défend en même temps l'idée que dieu est amour et
que nous devons (au sens de devoir moral du terme) aimer notre prochain.
Si la distinction entre amour perverti par le
désir et amour moral semble théologiquement claire, il n'en demeure pas moins que dans l'expérience quotidienne, ils sont
confondus.
C'est pourquoi il semble pertinent de se poser la question de savoir si on doit aimer.
Le problème semble
résider dans le terme de devoir, car il a deux sens distincts: d'une part on peut se poser la question de savoir si on doit
aimer dans le sens où nous y sommes nécessairement condamnés du fait de notre nature (devoir au sens de nécessité).
D'autre part, la question du « devoir aimer » a un enjeu moral: le choix d'aimer est-il un choix moral (devoir au sens de
devoir moral)?
L'enjeu qui se dessine derrière cette distinction est celui de la définition de ce que c'est qu'aimer: est-ce une
caractéristique naturelle de l'homme, est-ce un choix, permet-il l'accès à la moralité, est-il un asservissement à l'animalité
et l'irrationalité...?
I.
Doit-on aimer: devoir au sens de nécessité.
Si l'on considère l'amour comme intrinsèquement lié à la question du désir, on peut affirmer que l'être humain est
naturellement condamné à aimer.
En effet, on ne peut pas nier que l'homme est destiné à se reproduire.
Et il semble que
notre organisation sociale tende à lier les questions d'amour et de reproduction.
Le fait que les homosexuels n'aient pas le
droit de se marier en France montre combien il est difficile de désolidariser ces deux questions.
La morale chrétienne nous
a imposé cette unité: le mariage est affaire d'amour, la reproduction en est la finalité.
Or la reproduction, donc la sexualité, le désir sexuel sont des besoins au niveau de l'espèce.
Darwin est catégorique dans
sa théorie de la sélection naturelle: sont sélectionnés les caractères qui contribuent le plus à la fitness (= survie et
reproduction de l'espèce).
Donc si on lie fondamentalement amour et reproduction, on peut en déduire que l'homme doit
aimer au sens où il ne peut pas ne pas aimer.
De plus, on peut constater dans notre vie quotidienne une certaine fatalité à aimer: on aime nos proches bien qu'ils nous
agacent, nous déçoivent...
Le lien qui nous unit à eux semble parfois si indestructible qu'on peut légitimement se
demander s'il n'est pas naturel, comme si notre volonté et notre raison n'avaient aucun pouvoir sur lui.
Dans cette perspective, on peut donc dire que nous devons aimer au sens où nous ne pouvons pas ne pas aimer.
II.
Doit-on aimer: l'amour comme choix moral.
L'Eglise, en condamnant le pêché de chair, ouvre une possibilité, celle d'y échapper.
Il y donc derrière cette prise de
position un enjeu moral: le choix moral permet de refuser l'asservissement aux amoures du corps.
En termes moraux, et
dans la perspective d'une définition de l'amour comme produit du désir, on ne doit pas aimer.
Cependant, la question d'une éventuelle valeur morale de l'amour doit se poser.
Même dans le dogme chrétien, l'amour
n'est pas rejeté en bloc.
Une fois débarrassé du désir charnel, il devient même la valeur centrale.
L'amour est justement ce
sentiment qui permet de penser au-delà de notre intérêt personnel, de nos désirs de possession, de notre tendance à ne
penser qu'à soi...
L'amour se présente donc comme la valeur morale par excellence.
Il est comparable à un « sentiment de
l'universel », et par là assez proche de la morale kantienne.
Car si la loi morale nous exhorte à ne jamais considérer autrui
comme un moyen mais toujours comme une fin, quelle meilleure garantie que l'amour? En effet, l'amour est un sentiment
qui affecte le sujet dans son individualité et qui permet de la dépasser pour « se mettre à la place de l'autre », phénomène
qui semble la condition à toute moralité.
III.
La dialectique de l'amour: de l'asservissement animal aux idées.
On arrive avec ce qui précède à un antagonisme a première vue insoluble et fécond: d'une part l'amour nous asservit à
notre animalité, et d'autre part il est le sentiment moral par excellence.
Il s'agit désormais de voir dans quelle mesure on
doit aimer au sens moral du terme, et de mettre en lumière la dialectique à l'oeuvre dans l'amour.
Car si l'amour est
asservissement et irrationalité, il n'en demeure pas moins qu'il peut et doit être le sentiment moral et rationnel le plus fort.
D'où l'idée que l'on doit aimer (avec devoir au sens de choix moral).
Platon, dans le banquet, rend explicite cette dialectique à l'oeuvre dans l'amour.
Diotime (un
personnage) explique que l'amour connaît différentes phases.
D'abord le sujet aime un beau
corps, puis tous les beaux corps, puis enfin la beauté morale.
Par l'amour, qui est initialement lié
au désir physique, l'homme a accès au bien.
Le plaisir sensitif s'efface peu à peu au profit de la
contemplation rationnelle et morale.
Dans cet exemple, on voit que l'amour est un sentiment ambivalent: il est ancré dans le sensible
et permet l'accès à l'intelligible, il est la courroie qui permet à l'homme de s'élever à la moralité à
partir de son animalité.
En cela, on peut donc dire que l'homme doit aimer, et ce même si l'amour est au départ lié aux
désirs du corps et à la concupiscence.
Nous y sommes condamnés, mais cet asservissement
peut être fécond.
Aimer permet de s'élever vers le bien.
Conclusion
Si l'amour est désir et asservissement à la nature et à l'animalité, alors l'homme ne doit moralement pas aimer.
Or il y est
condamné justement du fait de sa nature.
Mais si on considère l'amour comme le sentiment moral par excellence et
détaché du désir, alors il doit faire le choix d'aimer.
Platon a réussi à résoudre cet antagonisme: nous sommes condamnés
à l'amour sensible et immoral, mais c'est une bonne chose dans le sens où c'est le seul sentiment qui nous permette un
accès au Bien.
Rationalité et moralité sont donc fondées sur la partie sensible des hommes, et l'amour en est la voie
d'accès..
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