DESCARTES: qu'il me trompe tant qu'il voudra
Extrait du document
«
Je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun
ciel, aucune terre, aucun esprit, ni aucun corps ; ne me suis-je donc pas aussi
persuadé que je n'étais point? Non certes, j'étais sans doute, si je me suis
persuadé ou seulement si j'ai pensé quelque chose.
Mais il y a un je ne sais quel
trompeur très puissant et très rusé qui emploie toute son industrie à me tromper
toujours.
Il n'y a donc point de doute que je suis s'il me trompe ; et qu'il me trompe
tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien tant que je penserai
être quelque chose.
De sorte qu'après y avoir bien pensé et avoir soigneusement
examiné toutes choses, enfin il faut conclure et tenir pour constant que cette
proposition : Je suis, j'existe est nécessairement vraie toutes les fois que je la
prononce ou que je la conçois en mon esprit.
(Introduction)
Tout le début de la deuxième Méditation métaphysique, c'est-à-dire tout ce qui précède ce texte, n'est que la
reprise du thème fondamental de la première Méditation : l'expérience du doute systématique, volontaire,
absolu : « Qu'est-ce donc qui pourra être estimé véritable? Peut-être rien autre chose sinon qu'il n'y a rien au
monde de certain.
»
Ce texte est une étape décisive dans l'itinéraire spirituel de la deuxième Méditation.
Descartes sort enfin du
doute et découvre une première vérité, un être indubitable, solide comme le roc, l'être du sujet.
« Je suis,
j'existe.
» Il convient maintenant par une étude précise du texte de dégager la nature de cette « première
vérité ».
(Explication et commentaire)
« Je me suis persuadé qu'il n'y avait rien du tout dans le monde, qu'il n'y avait aucun ciel, aucune terre...
»
C'est encore une fois le bilan de la première Méditation.
On le voit, Descartes revient sans cesse sur son doute
dont les caractères essentiels sont ici encore rappelés.
D'abord Descartes est non seulement convaincu mais
persuadé par son doute (qui est plus qu'une argumentation abstraite, qui est une expérience spirituelle).
Notez
que le champ du doute est celui des objets de pensée (aucun ciel, aucune terre) et que ce champ est
totalement balayé par le doute (il n'y avait rien du tout).
Notez encore que l'existence du monde est non pas
seulement mise entre parenthèses comme ce sera le cas chez Husserl, mais littéralement niée (c'est l'aspect
hyperbolique du doute et aussi son aspect presque mystique: l'effort pour rejeter le monde = exercice
spirituel).
« Ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n'étais point? Non certes, j'étais sans doute...
si j'ai pensé
quelque chose.
»
Ici Descartes sort enfin de son doute, mais il faut voir comment il en sort.
II n'y a pas d'objet privilégié, dans le
champ du savoir, que le doute aurait épargné.
C'est en s'approfondissant et non en se limitant que le doute
triomphe de lui-même.
L'acte même de douter, c'est-à-dire de penser impose son existence quelque douteux
que puissent être les objets de pensée (c'est l' «indubitable doute » dont parle Alain).
Descartes sort du doute
par une véritable conversion spirituelle.
II se détourne enfin des objets de pensée (tous douteux) pour se
tourner vers le sujet pensant, qui même s'il pense des choses douteuses, pense en tout cas indubitablement.
Cette conversion spirituelle définit d'une façon exemplaire ce qu'on peut appeler l'attitude philosophique et la
distingue de l'attitude « naturelle » et de l'attitude scientifique qui sur ce point se ressemblent.
L'homme
ordinaire, comme le savant explore un champ d'objets (ce ne sont pas les mêmes objets).
Ils cherchent
seulement à connaître tandis que le philosophe réfléchit (ré-fléchit) c'est-à-dire se retourne sur l'acte même du
sujet pensant.
De même que le doute cartésien n'était pas le doute scientifique (ne portait pas sur la nature de tel objet mis
en question) mais le doute philosophique (mettait en question l'existence même du monde des objets), de
même la première vérité, la vérité du cogito est typiquement une vérité de nature réflexive et philosophique.
« ...
Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé...
Il n'y a...
point de doute que je suis s'il
me trompe...
»
Ce trompeur très puissant et très rusé c'est le malin génie que Descartes invoquait dans sa première Méditation
pour fortifier son doute hyperbolique.
L'hypothèse du malin génie permet en effet d'étendre le doute bien audelà des objets sensibles.
Même les vérités mathématiques qui échappent aux illusions des sens et des songes
(« car, soit que je veille ou que je dorme deux et trois joints ensemble formeront toujours le nombre de cinq »)
s'effondrent si j'imagine que le Malin génie « ait voulu que je me trompe toutes les fois que je fais l'addition de
deux et de trois ».
Le Malin génie est plus fort que l'évidence des objets mathématiques eux-mêmes.
Mais l'évidence du cogito,
elle, est plus forte que le malin génie : « Qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne
sois rien tant que je penserai être quelque chose.
» Descartes distingue donc l'évidence mathématique (qui ne
résiste pas au doute métaphysique) et l'évidence ontologique (qui triomphe du.
doute) dont le cogito (Je suis,
j'existe, cette proposition est nécessairement vraie) est un exemple typique.
Notons qu'à partir du cogito, en.
»
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