DESCARTES: ouvrir les yeux et philosophie
Extrait du document
«
C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que
de vivre sans philosopher; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue
découvre n'est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance
de celles qu'on trouve par la philosophie; et enfin, cette étude est plus
nécessaire pour régler nos moeurs et nous conduire en cette vie, que n'est
l'usage de nos yeux pour guider nos pas.
Les bêtes brutes, qui n'ont que
leur corps à conserver, s'occupent continuellement à chercher de quoi le
nourrir; mais les hommes, dont la principale partie est l'esprit, devraient
employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la
vraie nourriture; et je m'assure aussi qu'il y en a plusieurs qui n'y
manqueraient pas, s'ils avaient espérance d'y réussir, et qu'ils sussent
combien ils en sont capables.
Il n'y a point d'âme tant soit peu noble qui
demeure si fort attachée aux objets des sens qu'elle ne s'en détourne
quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, bien qu'elle ignore
souvent en quoi il consiste...
Descartes, Principes de la philosophie.
Dans ce texte, extrait des Principes de la philosophie, Descartes procède pour ainsi dire à une apologie de la
philosophie: il entend non seulement défendre son utilité, voire sa nécessité dans la conduite de la vie, mais
aussi montrer que les hommes, aussi attachés soient-ils aux biens sensibles, ont en eux comme une aspiration
spontanée vers la spiritualité qui les prédispose à la philosophie.
Il est de ce fait conforme à l'essence de
l'homme, qui est esprit avant que d'être un corps, de rechercher la sagesse.
Mais alors, comment comprendre
que si peu d'individus se consacrent effectivement à la philosophie, que tous accordent davantage de soin à leur
corps qu'à leur esprit ? S'il n'est pas de plus sûr guide que la philosophie pour s'orienter droitement dans la vie,
au point que la vue soit en comparaison tout à la fois un principe directeur peu fiable et une source de plaisir
insatisfaisante (lignes 1 à 5), les hommes devraient consacrer l' essentiel de leur temps à chercher la sagesse,
cette «sophia» qui seule est en mesure de combler leur nature spirituelle, au lieu de s'attacher, comme le font la
plupart, aux biens sensibles (lignes 5 à 8).
Comment rendre compte de ce fait somme toute étonnant ? Faut-il en
conclure que la majorité des hommes ne sont point capables de philosopher ? Non pas.
Loin d'en être incapables,
les hommes semblent bien plutôt ne pas être conscients de cette capacité qu'ils portent en eux.
Descartes en
invoque pour preuve l'existence d'une tendance spontanée de l'homme à chercher, ne
serait-ce que «
quelquefois »,un bien plus haut que ceux que ses sens lui offrent ( lignes 8 à 12).
Il suffirait alors sans doute
d'éveiller les hommes à leurs propres possibilités, pour qu'ils se mettent réellement en quête d'un savoir véritable.
Et c'est bien en effet un éveil que ce texte entend provoquer, si tant est que la philosophie soit ce qui nous
permet de ne pas marcher en aveugles en cette vie.
Le texte commence par une affirmation étonnante qui assigne à la philosophie un rôle insigne dans la vie humaine,
celui de nous y faire marcher les yeux ouverts, et non point « les yeux fermés », ainsi que ceux qui vivent « sans
philosopher ».
Explicitons l'analogie: qui a les yeux fermés marche sans savoir où il va et est dans l'incapacité de
se diriger par lui-même.
Mais qu'est-ce à dire ? La plupart des hommes vivent sans philosopher : doit-on en
conclure qu'ils progressent en aveugles sur le chemin de leur vie ? C'est là ce que semble sous-entendre
Descartes: si la philosophie est ce qui nous ouvre les yeux, cela signifie qu'elle est ce qui permet de se diriger de
manière consciente et assurée dans la vie, sans crainte de trébucher et de se tromper.
Or qu'est-ce qu'avoir les
yeux fermés, sinon précisément être dans l'ignorance du chemin à suivre, à la merci du moindre obstacle, et
risquer sans cesse de faire fausse route ?
On comprend alors ce que c'est que philosopher: c'est se donner les moyens d'acquérir la connaissance qui
permettra de se guider par soi-même avec certitude et assurance, sans risque de s'égarer, en se gardant donc
de toute erreur.
Or il n'est d'autre moyen, afin de ne pas s'égarer, que de chercher, ainsi que Descartes s'y est
employé tout au long de son œuvre, des principes vrais et certains à même de servir de guides dans l'action.
« Tâcher » d'ouvrir les yeux, c'est précisément chercher à sortir de l'aveuglement et de l'ignorance qui
caractérisent ceux qui vivent et agissent sans suivre aucune règle fondée et vont en tâtonnant, ou qui se
laissent conduire par d'autres, étant incapables de se conduire eux-mêmes.
Si philosopher, c'est apprendre à
distinguer le "vrai d'avec le faux", afin de « bien conduire sa raison », ainsi que Descartes le dit dans le Discours
de la méthode, alors en effet, c'est ne plus aller les yeux fermés, au gré d'envies changeantes et d'opinions mal
assurées, propres à nous perdre.
De même que nous ne pouvons marcher sans risque que les yeux ouverts, de
même nous ne pouvons vivre droitement et parler sans erreur qu'en philosophant.
C'est donc bien l'utilité de la
philosophie que Descartes défend ici: la philosophie est aussi nécessaire à la conduite de la vie que la vue l'est à
la marche.
Mais le parallèle entre le fait de voir et le fait de philosopher ne s'arrête pas là: Descartes hiérarchise à présent
ces deux actes eu égard à leur degré d'agrément.
En effet, il semblerait que la philosophie soit ce qui est à même
de procurer aux hommes une « satisfaction » auprès de laquelle « le plaisir » que nous donne la vision est sans
commune mesure (lignes 2 à 4).
Que les hommes prennent plaisir au simple fait de voir, c'est là ce dont.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- explication methode descartes
- Fiche Descartes Discours de la méthode
- Descartes: une « chose pensante »
- Descartes: erreur et enfance
- Le langage est le propre de l'homme - DESCARTES