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DESCARTES et la fille qui louchait

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Lorsque j'étais jeune, j'aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi, l'impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir la passion de l'amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. Au contraire, depuis que j'y ai fait réflexion, et que j'ai reconnu que c'était un défaut, je n'en ai plus été ému. Ainsi, lorsque nous sommes portés à aimer quelqu'un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est. Et bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu'un défaut, qui nous attire ainsi à l'amour, toutefois, à cause que ce peut être quelquefois un défaut, comme en l'exemple que j'en ai apporté, un homme sage ne se doit pas laisser entièrement aller à cette passion, avant que d'avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous nous sentons émus. DESCARTES

« Lorsque j’étais jeune, j’aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi, l’impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s’y faisait aussi pour émouvoir la passion de l’amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres, pour cela seul qu’elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela.

Au contraire, depuis que j’y ai fait réflexion, et que j’ai reconnu que c’était un défaut, je n’en ai plus été ému.

Ainsi, lorsque nous sommes portés à aimer quelqu’un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu’il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c’est.

Et bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu’un défaut, qui nous attire ainsi à l’amour, toutefois, à cause que ce peut être quelquefois un défaut, comme en l’exemple que j’en ai apporté, un homme sage ne se doit pas laisser entièrement aller à cette passion, avant que d’avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous nous sentons émus. 1) Dégagez l'idée essentielle du texte et les étapes de l'argumentation. 2) Comment Descartes explique-t-il l'origine de la passion amoureuse ? 3) Sagesse et passion peuvent-elles s'accorder ? Réponses rédigées 1.

Comment comprendre l'origine d'une inclination qui nous porte vers une personne ? Souvent, selon Descartes, cette inclination provient du pouvoir qu'a cette personne d'évoquer en nous, par telle ou telle de ses caractéristiques, une autre personne aimée dans le passé. La thèse de Descartes est d'abord illustrée par un exemple personnel, puis explicitée à partir d'une généralisation réfléchie de cet exemple.

Le texte comporte donc deux étapes essentielles.

La première, exposant l'exemple, comporte à peu près la moitié du texte (jusqu'à: « je n'en ai plus été ému »).

Descartes y évoque d'abord un amour d'enfance, et y met en place le rôle de l'association originaire entre le sentiment d'amour, suscité par la jeune fille, et l'impression liée à une caractéristique de cette jeune fille (le fait de loucher).

Dans un deuxième temps, il réfère à cette association originaire la propension qu'il a eue à aimer des femmes qui louchaient, tant qu'il n'avait pas pris conscience de cette association.

La deuxième étape explicite et généralise le sens de l'exemple proposé.

Elle comporte elle-même deux temps.

Dans le premier temps, Descartes revient sur le mécanisme d'association qui, généralement, tend à susciter une inclination préférentielle.

Dans le second temps, il en appelle à une maîtrise des passions, essentiellement par la mise en oeuvre d'une retenue liée à un souci de prise de conscience et de réflexion. 2.

De fait, le texte caractérise une tendance à aimer pour certains motifs plutôt qu'une origine générale de toute passion amoureuse.

La fin du texte, se référant au pouvoir de retenue et d'examen dont tout homme dispose, en appelle non à une négation de la passion, mais à un consentement réfléchi, excluant tout abandon aveugle.

La vie affective de l'homme apparaît ici tout à la fois comme tendanciellement soumise à des mécanismes d'association (que plus tard Freud et Pavlov, chacun à sa manière, souligneront) et potentiellement maîtrisée par le pouvoir de réappropriation de l'esprit.

Une première expérience vécue, référence originaire, lie un sentiment s'adressant à la totalité d'une personne, et la valorisation d'un détail (ici le fait de loucher) qui lui est graduellement associé.

Ce n'est pas, bien sûr, ce détail qui suscite l'amour, car il n'est remarqué et valorisé qu'en raison de l'association elle-même.

Plus tard, lorsque tout semble oublié, la seule perception du même détail, par le pouvoir d'évocation qu'elle comporte, tend à susciter une inclination amoureuse.

À celle-ci, selon Descartes, le sujet peut résister.

Puissance de la conscience, auto-examen, librearbitre suspendent l'emprise de l'inclination amoureuse, la passion à venir étant alors dans le pouvoir de la volonté elle-même. Réponses rédigées 3.

À la passion se trouvent associés généralement le tourment et l'agitation, alors que la sagesse semble impliquer la sérénité.

Une certaine figure du sage, communément répandue, le présente comme insensible aux excitations sensibles et affectives, capable de transcender toute dérive passionnelle.

Pourtant, cette apparente opposition de la passion et de la sagesse n'existe pas, telle quelle, chez les philosophes rationalistes les plus souvent cités.

Descartes, auteur d'un traité intitulé Les Passions de l'âme ne songe ni à nier la réalité des passions et leur importance dans la vie humaine, ni même à opposer les exigences de la raison et. »

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