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DESCARTES

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Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions même leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car, d'une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis, d'autre part, considérant qu'elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d'infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d'années, elles font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune favorable en cette vie, mais néanmoins elles l'estiment si peu, au regard de l'éternité, qu'elles n'en considèrent quasi les événements que comme nous faisons ceux des comédies. Et comme les histoires tristes et lamentables, que nous voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de récréation que les gaies, bien qu'elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes, dont je parle, ont de la satisfaction, en elles-mêmes, de toutes les choses qui leur arrivent, même les plus fâcheuses et insupportables. DESCARTES

« Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions même leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie.

Car, d'une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis, d'autre part, considérant qu'elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d'infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d'années, elles font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune favorable en cette vie, mais néanmoins elles l'estiment si peu, au regard de l'éternité, qu'elles n'en considèrent quasi les événements que comme nous faisons ceux des comédies.

Et comme les histoires tristes et lamentables, que nous voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de récréation que les gaies, bien qu'elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes, dont je parle, ont de la satisfaction, en elles-mêmes, de toutes les choses qui leur arrivent, même les plus fâcheuses et insupportables. Introduction Face aux aléas du sort, aux revers de fortune, les hommes peuvent-ils vivre autrement que dans une alternance permanente de misère profonde et d'enthousiasme éphémère, si bien qu'il deviendrait impossible de parler d'une réussite de la vie elle-même, d'une vie heureuse ? Descartes, fidèle en cela à la tradition stoïcienne, pense au contraire que le sage doit savoir conserver une « parfaite félicité » malgré les tourments — et même grâce à eux. Pour développer cette thèse, Descartes s'appuie tout d'abord sur l'opposition entre les âmes «vulgaires» livrées aux passions et les âmes «nobles» qui savent leur opposer de «profonds raisonnements».

Ces derniers sont ensuite détaillés ; ils ont pour principe l'opposition entre l'immortalité de l'âme et le caractère mortel du corps ; cette opposition aboutit enfin à la métaphore du spectateur. Nous étudierons ces arguments en nous demandant comment à travers cet extrait apparaît un aspect moral de ce qu'on appelle le « rationalisme cartésien». Étude ordonnée et intérêt philosophique La première moitié du texte est occupée par l'exposé de «la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires ». On peut noter d'emblée que l'enjeu de cette opposition n'est pas la pure opposition entre raison et passion au sens où les âmes basses ne connaîtraient que les passions et les âmes élevées que la raison.

Aucune communication ne serait alors possible ni aucune conversion de l'âme.

Les âmes nobles connaissent au contraire l'épreuve des passions, et même, dit Descartes, «de plus violentes que celles du commun».

Précision qui peut s'expliquer par le fait que les âmes élevées ont une conscience plus aiguë et de leurs idées et de leurs sentiments ; on pourrait également éclairer rétrospectivement cette remarque par un texte de la Nouvelle Héloïse de Rousseau expliquant que les tempéraments raisonnables sont d'autant plus fortement ébranlés lorsque survient la passion, car ils n'ont à lui opposer que des raisonnements inefficaces et non une contrepassion aussi puissante.

Mais Rousseau y voyait un signe de faiblesse des tempéraments raisonnables. Descartes au contraire affirme que la différence joue en faveur des hommes « nobles », c'est-à-dire qui savent bien conduire leur raison.

Ils savent en effet demeurer constants quelles que soient les circonstances extérieures, alors que ce qui rend une âme «basse et vulgaire » c'est le fait de ne pas se gouverner elle-même et de se laisser au contraire ballotter au gré des circonstances.

La conscience vulgaire est la conscience caméléon, dont l'état d'âme prend la cou-leur de la situation extérieure. Comment le sage peut-il alors demeurer constant à travers les caprices de la fortune ? C'est qu'il est capable, dit Descartes, de «raisonnements forts et puissants ».

Cette affirmation ne désigne pas une intelligence supérieure : il serait peu plausible de dire que le bonheur et la sérénité sont réservés à une élite intellectuelle. Il s'agit plutôt d'une grande force de caractère, qui permet de ne pas se laisser submerger par les sentiments qui accompagnent et expriment les passions.

La raison apparaît ainsi comme une capacité de relativisation du vécu, de prise de distance par rapport à ce qui est immédiatement ressenti. Descartes précise alors ce qui fait la force réelle des raisonnements du sage.

Il ne s'agit pas d'une «méthode Coué» consistant à se répéter qu'au fond tout va bien : l'optimisme supérieur est fondé sur une considération métaphysique: la distinction réelle entre l'âme et le corps. L'âme et le corps, bien qu'étroitement unis (l'âme ne peut rester totalement indifférente à ce qui arrive au corps et encore moins l'abandonner à tout moment), constituent en effet deux substances distinctes (la. »

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