DESCARTES
Extrait du document
«
Et je m'étais ici particulièrement arrêté à faire voir que, s'il y avait de telles
machines, qui eussent les organes et le figure d'un singe, ou de quelque
autre animal sans raison, nous n'aurions aucun moyen pour reconnaître
qu'elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux ; au lieu
que, s'il y en avait qui eussent la ressemblance de nos corps et imitassent
autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours
deux moyens très certains pour reconnaître qu'elles ne seraient point pour
cela de vrais hommes.
Dont le premier est que jamais elles ne pourraient
user de paroles, ni d'autres signes en les composant, comme nous faisons
pour déclarer aux autres nos pensées.
Car on peut bien concevoir qu'une
machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même qu'elle en
profère quelques unes à propos des actions corporelles qui causeront
quelque changement en ses organes : comme, si on la touche ne quelque
endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire ; si en un autre, qu'elle crie
qu'on lui fait mal, et choses semblables ; mais non pas qu'elle les arrange
diversement, pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence,
ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire.
Et le second est que, bien qu'elles fissent
plusieurs choses aussi bien, ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraient infailliblement
en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu'elles n'agiraient pas par connaissance, mais
seulement par la disposition de leurs organes.
Car, au lieu que la raison est un instrument universel,
qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière
disposition pour chaque action particulière ; d'où vient qu'il est moralement impossible qu'il y en ait
assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie, de même façon
que notre raison nous fait agir.
Si je me connais par conscience intérieure, comment puis-je reconnaître un autre homme à l'extérieur de moi,
donné avec et par son corps dans un monde matériel ? Comment ce que je perçois dans le monde, la chose
étendue, peut-il être présence d'un être pensant ?
Descartes part des automates : l'homme imite les actions extérieures des animaux (la nage, la marche) en
agençant des moyens matériels simples.
Il est donc naturel qu'on se représente les corps des animaux réels
comme si c'étaient des machines beaucoup plus parfaites.
L'automate est alors un modèle pour comprendre
l'origine et la production des actions que l'on observe dans les animaux.
Passons du modèle à l'hypothèse.
Admettons qu'il existe des machines très parfaites, « qui eussent les organes
et la figure d'un singe ».
Selon Descartes, il n'y a aucun moyen de distinguer le vrai singe de son automate
parfait, parce que tout, dans le vrai singe, également se fait par l'ordre et la disposition des organes, c'est-àdire de façon purement matérielle et mécanique.
Or nous aussi nous avons un corps matériel.
Admettons donc qu'il y ait un automate parfait de l'homme.
Serons-nous alors dans la même incapacité de distinguer l'homme-automate parfait de l'homme vrai ?
Il y a deux moyens « très certains » pour reconnaître les vrais hommes : le langage et l'action.
Des automates
peuvent parler ou agir, mais selon certaines circonstances pré-déterminées.
Aucun automate ne peut jamais «
répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence ».
Aucun automate ne peut agir « en toutes les
occurrences de la vie ».
Dans les deux cas, l'essentiel est une même capacité universelle de combiner des
actions et de signes pour toutes les circonstances possibles, alors qu'il faut à un automate un montage et un
dispositif particulier pour chaque circonstance.
La capacité d'un automate ou d'une machine est une addition
de montages et de dispositifs particuliers.
Or une addition ne peut être infinie : viendra toujours une
circonstance imprévue, à laquelle ne correspondra aucun montage.
La capacité de l'homme vrai est non pas
somme de particularités (de montages particuliers), mais universalité.
La raison est cette universalité en acte
qui fait l'homme vrai.
La présence d'un autre être pensant dans le monde est donc la présence même de cette
universalité.
C'est donc l'universalité de la pensée face au monde, et non la vérité de la pensée pour elle-même
(qui est intérieure) qui manifeste l'alter ego à mes yeux comme présent dans le monde..
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