David HUME
Extrait du document
«
Rien, à première vue, ne peut sembler plus affranchi de toute limite que la
pensée de l'homme ; non seulement elle défie toute puissance et toute
autorité humaine, mais elle franchit même les bornes de la nature et de la
réalité.
Il n'en coûte pas plus à l'imagination de produire des monstres et
de joindre ensemble des formes et des visions discordantes que de
concevoir les objets les plus naturels et les plus familiers [...] Ce qu'on n'a
jamais vu ou entendu est cependant concevable; et il n'est rien qui
échappe aux prises de la pensée, hors ce qui implique absolument
contradiction.
Mais quelque illimitée que paraisse la liberté de notre pensée, nous
découvrirons, en y regardant de plus près, qu'elle est en réalité resserrée
dans des limites fort étroites, et que tout ce pouvoir créateur de l'esprit
n'est rien de plus que la faculté de combiner, transposer, accroître ou
diminuer des matériaux que nous fournissent les sens et l'expérience.
Quand nous pensons à une montagne d'or, nous ne faisons que réunir
deux idées capables de s'accorder, celle d'or et celle de montagne, qui
nous étaient déjà familières [...] En un mot, tous les matériaux de la
pensée tirent leur origine de notre sensibilité externe ou interne : l'esprit
et la volonté n'ont d'autre fonction que de mêler et combiner ces
matériaux.
HuME, Enquête sur l'entendement humain.
1.
Commentaire du texte
Ce texte est extrait de l'Enquête sur l'entendement humain, publié par Hume en 1748.
Il soulève le problème suivant :
sur quoi les opérations de la pensée se règlent-elles et se fondent-elles ? D'où procède notre connaissance ?
Notre pensée, loin d'être illimitée en ses pouvoirs, est restreinte au champ de l'expérience sensible, champ qui apporte
des bornes à sa puissance et à son exercice.
L'argumentation se développe en deux grandes parties :
1.
Du début à « hors ce qui implique absolument contradiction » : la pensée humaine semble pouvoir couvrir un champ
indéfini ; rien ne paraît lui échapper.
2.
« Mais [...] matériaux » : en réalité, la pensée se meut dans une sphère limitée par les frontières de la sensibilité.
A.
PREMIÈRE GRANDE PARTIE : « Rien [...] contradiction »
La première grande partie semble affirmer l'idée d'une puissance illimitée de l'esprit humain.
Tandis que la première
sous-partie (« Rien [...] réalité ») énonce le thème de cet élan de la pensée de l'homme vers un champ dénué de
bornes, la seconde sous-partie (« Il [...] contradiction ») met, d'une part, l'accent sur la fonction de l'imagination
attachée à l' illimité et, d'autre part, formule un bilan sur la toute-puissance de la pensée.
a) Première sous-partie : « Rien [...] réalité »
La pensée de l'homme, à savoir l'activité mentale de l'esprit du sujet, se trouve d'emblée analysée et mise en cause.
Car l'organisation et la liaison des sensations impliquent l'idée d'une pensée, force mentale agissant sur un ensemble de
représentations et les combinant.
Or, en première apparence, nous dit Hume, cette activité de combinaison et d'organisation mentale semble dénuée de
toute limite.
Le limité, c'est ce qui désigne la réalité marquée par des bornes, tandis que l'illimité correspond à ce qui
échappe aux bornes et s'étend selon une progression indéfinie.
Il y a là une fondamentale distinction entre le limité et
l'illimité.
Pourquoi la pensée humaine paraît-elle illimitée ? Hume fournit ici deux arguments : d'une part, la pensée
humaine est une activité de défi, témoignant d'une mise en question radicale de toute-puissance — ici, pouvoir — et
de toute autorité humaine — ici, la force inspirant le sentiment du respect, le droit de commander, l'ascendant du
maître, etc.
—et, d'autre part, la pensée transcende les bornes, les limites de la nature — l'ensemble de tout ce qui
est donné, de ce qui existe — et de la réalité, de ce qui s'impose à nous par les sens.
Il y a là un double argument qui
paraît important.
Cette faculté qu'est la pensée ne s'affranchit-elle pas de tout ? Elle défie, c'est-à-dire refuse de
s'incliner devant quoi que ce soit, autorité, pouvoir, etc.
D'autre part, la pensée n'est jamais limitée par le réel.
La
seconde sous-partie fournit des exemples afin de soutenir l'argumentation.
b) Seconde sous-partie : « Il n'en [...] contradiction »
Hume donne d'abord un exemple tiré de l'imagination.
Cette faculté humaine de former des représentations sensibles
(tel est bien le sens du terme imagination chez Hume), cette puissance d'invention et d'artifice (second sens
coextensif au premier chez Hume) crée, sans difficulté, des monstres, des êtres fantastiques et invente également des
formes, des organisations d'images discordantes, sans nul accord et harmonie.
Donc l'imagination est bel et bien
capable de franchir les limites de ce qui est donné, de créer d'étranges artifices sans nul rapport avec la réalité.
Inventer l'irréel singulier, telle est la caractéristique de cette imagination qui s'élance, jamais enchaînée au réel, jamais
limitée, apparemment capable de tout créer.
Enfin, la dernière phrase de cette sous-partie (« Ce [...] contradiction ») souligne que la pensée peut tout concevoir.
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