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David HUME

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De tous les être animés qui peuplent le globe, il n'y en a pas contre qui, semble-t-il à première vue, la nature se soit exercée avec plus de cruauté que contre l'homme, par la quantité infinie de besoins et de nécessités dont elle l'a écrasé et par la faiblesse des moyens qu'elle lui accorde pour subvenir à ces nécessités. Dans les autres créatures, ces deux circonstances se compensent généralement l'une l'autre. Si nous considérons le lion en tant qu'animal vorace et carnivore, nous découvrirons aisément qu'il n'est pas soumis à de très grandes nécessités; mais, si nous tournons nos regards sur sa constitution et son tempérament, sur son agilité, son courage, ses armes et sa force, nous trouverons que ses avantages sont proportionnés à ses besoins. Le m' ton et le boeuf sont privés de tous ces avantages : mais leurs appétits sont modérés et leur nourriture est facile à obtenir. C'est en l'homme seulement qu'on peut observer, à son plus haut point de réalisation, cette union monstrueuse de la faiblesse et du besoin. Non seulement la nourriture nécessaire à sa subsistance fuit ses recherches et son approche, ou du moins elle réclame, pour sa production, de la peine; mais encore il faut que l'homme soit pourvu de vêtements et d'une habitation pour se défendre contre les injures du temps; pourtant, à le considérer uniquement en lui-même, il n'est pourvu ni d'armes, ni de force, ni d'autres capacités naturelles qui répondraient à quelque degré à tant de nécessités. C'est par la société seule qu'il est capable de suppléer à ses déficiences, de s'élever à l'égalité avec ses compagnons de création et même d'acquérir sur eux la supériorité. La société compense toutes ses infirmités; bien que, dans ce nouvel état, ses besoins se multiplient à tout moment, ses capacités sont pourtant encore augmentées et le laissent, à tous égards, plus satisfait et plus heureux qu'il ne lui serait jamais possible de le devenir dans son état de sauvagerie et de solitude. Quand chaque individu travaille isolément et seulement pour lui-même, ses forces sont trop faibles pour exécuter une oeuvre importante; comme il emploie son labeur à subvenir à toutes ses différentes nécessités, il n'atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier; comme ses forces et ses succès ne demeurent pas toujours égaux à eux-mêmes, le moindre échec sur l'un ou l'autre de ces points s'accompagne nécessairement d'une catastrophe inévitable et de malheur. La société fournit un remède à ces trois désavantages. L'union des forces accroît notre pouvoir; la division des tâches accroît notre capacité; l'aide mutuelle fait que nous sommes moins exposés au sort et aux accidents. C'est ce supplément de. force, de capacité et de sécurité qui fait l'avantage de la société. David HUME

« De tous les être animés qui peuplent le globe, il n'y en a pas contre qui, semble-t-il à première vue, la nature se soit exercée avec plus de cruauté que contre l'homme, par la quantité infinie de besoins et de nécessités dont elle l'a écrasé et par la faiblesse des moyens qu'elle lui accorde pour subvenir à ces nécessités.

Dans les autres créatures, ces deux circonstances se compensent généralement l'une l'autre.

Si nous considérons le lion en tant qu'animal vorace et carnivore, nous découvrirons aisément qu'il n'est pas soumis à de très grandes nécessités; mais, si nous tournons nos regards sur sa constitution et son tempérament, sur son agilité, son courage, ses armes et sa force, nous trouverons que ses avantages sont proportionnés à ses besoins.

Le m' ton et le boeuf sont privés de tous ces avantages : mais leurs appétits sont modérés et leur nourriture est facile à obtenir.

C'est en l'homme seulement qu'on peut observer, à son plus haut point de réalisation, cette union monstrueuse de la faiblesse et du besoin.

Non seulement la nourriture nécessaire à sa subsistance fuit ses recherches et son approche, ou du moins elle réclame, pour sa production, de la peine; mais encore il faut que l'homme soit pourvu de vêtements et d'une habitation pour se défendre contre les injures du temps; pourtant, à le considérer uniquement en lui-même, il n'est pourvu ni d'armes, ni de force, ni d'autres capacités naturelles qui répondraient à quelque degré à tant de nécessités. C'est par la société seule qu'il est capable de suppléer à ses déficiences, de s'élever à l'égalité avec ses compagnons de création et même d'acquérir sur eux la supériorité.

La société compense toutes ses infirmités; bien que, dans ce nouvel état, ses besoins se multiplient à tout moment, ses capacités sont pourtant encore augmentées et le laissent, à tous égards, plus satisfait et plus heureux qu'il ne lui serait jamais possible de le devenir dans son état de sauvagerie et de solitude.

Quand chaque individu travaille isolément et seulement pour lui-même, ses forces sont trop faibles pour exécuter une oeuvre importante; comme il emploie son labeur à subvenir à toutes ses différentes nécessités, il n'atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier; comme ses forces et ses succès ne demeurent pas toujours égaux à eux-mêmes, le moindre échec sur l'un ou l'autre de ces points s'accompagne nécessairement d'une catastrophe inévitable et de malheur.

La société fournit un remède à ces trois désavantages.

L'union des forces accroît notre pouvoir; la division des tâches accroît notre capacité; l'aide mutuelle fait que nous sommes moins exposés au sort et aux accidents.

C'est ce supplément de.

force, de capacité et de sécurité qui fait l'avantage de la société. 1.

Dans cette Section du Traité, Hume s'interroge sur l'origine de la justice et de la propriété, c'est-à-dire sur les motifs qui ont conduit les hommes à inventer des règles qui fixent les droits et les obligations propres à préserver l'intérêt de chacun et à promouvoir ainsi l'intérêt commun.

Dans cette optique, notre texte met tout d'abord en lumière la situation particulière de l'espèce humaine dans l'économie générale de la nature : à la cruauté de la nature doit répondre l'art social comme remède.

On notera d'emblée que la question traitée n'est pas celle de l'origine du gouvernement (question que Hume envisagera plus tard), mais bien celle de la constitution du lien social. 2.

Le premier alinéa souligne la qualité restrictive de la nature.

Cette restriction est double : rareté relative des biens disponibles (la nourriture nécessaire à sa subsistance fuit ses recherches), faiblesse des moyens mis à la disposition de l'homme.

Cette qualité restrictive entre en contradiction avec la quantité infinie de besoins et de nécessités dont la nature a écrasé l'homme.

Généreuse d'un côté, la nature s'est montrée parcimonieuse de l'autre; l'alliance de cette générosité perverse et de cette parcimonie cruelle culmine dans ce que Hume appelle l'union monstrueuse de la faiblesse et du besoin dont l'homme serait le malheureux bénéficiaire.

Finalement, la nature est une marâtre, une mauvaise mère.

Nourriture, vêtement, habitat, c'est-à-dire les trois besoins fondamentaux liés à la subsistance et à la protection, requièrent peine, effort, en un mot travail.

On relèvera que le propos de Hume s'inscrit ici dans un double héritage : Platon, d'un côté, qui indique que les besoins de nourriture, de vêtement et de logement sont les fondements mêmes de l'organisation sociale, et qui rappelle que la cité doit sa naissance à « l'impuissance où l'individu se trouve de se suffire à lui-même et au besoin qu'il éprouve de mille choses »; l'épicurisme d'un autre côté, qui, en insistant sur la cruauté de la nature, cherche à anéantir toute vision finaliste et providentialiste soucieuse de définir l'homme comme l'heureux bénéficiaire d'un plan divin. A la différence du monde animal qui, soit par développement interne des capacités propres à satisfaire les besoins (exemple du lion), soit par limitation des besoins eux-mêmes (exemple du mouton et du boeuf), réalise une relative adéquation entre les moyens disponibles et les nécessités ressenties, le monde humain se caractérise par un profond déséquilibre naturel entre les aspirations et les moyens d'y pourvoir.

Dans la nature, l'homme est nu.

L'affrontement de l'homme avec la nature extérieure entraîne ainsi un processus de maîtrise qui ne doit rien à la providence, mais tout à l'art et à l'industrie : c'est de la confrontation de l'abondance des besoins, des désirs humains et de la rareté des biens, au sein d'une nature hostile (bêtes fauves, variations climatiques, etc.), que jaillit la nécessité de l'action.

On pourrait imaginer que l'indolence, composante du bonheur humain, s'épanouirait pleinement dans un monde de parfait équilibre entre les besoins et les biens; elle serait l'apanage d'un quelconque âge d'or. Mais dans les faits, c'est l'impuissance qui appelle la maîtrise, la nécessité de l'action sous la forme du procès de. »

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