David HUME
Extrait du document
«
Mais une conclusion peut-elle, avec quelque justesse, être transposée des parties au
tout ? L'immense disproportion ne prohibe-t-elle pas toute comparaison et toute
inférence ? De l'observation de la croissance d'un cheveu, pouvons-nous apprendre
quelque chose sur la génération d'un homme ? La façon dont pousse une feuille, fût-elle
parfaitement connue, nous instruirait-elle le moins du monde sur la végétation d'un
arbre ?
Mais dussions-nous prendre les opérations d'une partie de la nature sur une autre, pour
le fondement de notre jugement sur l'origine du tout (ce qui jamais ne sera admissible)
: pourquoi encore choisir un principe aussi chétif, aussi faible, aussi borné que la raison
et le dessein des animaux tels qu'ils se trouvent sur cette planète ? Quel privilège
particulier a cette petite agitation du cerveau que nous appelons pensée pour que nous
devions en faire ainsi le modèle de tout l'univers ? Sans doute, notre partialité en notre
faveur nous la présente en toute occasion ; mais la saine philosophie doit se garder
soigneusement d'une illusion aussi naturelle.
L'argument principal que le sceptique Philon oppose, dans les Dialogues sur la religion naturelle, au
« théisme expérimental » repose sur notre expérience des inférences causales et critique l'usage
qui en est fait par Cléanthe.
D'une part, comme il vient de le montrer, on ne saurait établir — fût-ce
problématiquement — une relation causale sur un seul cas, comme on le fait en rapportant l'« objet
»-monde à un Dieu créateur comme à sa cause.
Quel que soit l'objet, en effet, il ne révèle jamais à
première vue ce qui l'a produit ; pour celui qui l'examine, « n'importe quelle chimère de sa fantaisie serait sur le même pied' » — et,
d'ailleurs, Philon ne manquera pas de multiplier les hypothèses qui font concurrence à celle d'une intelligence créatrice (sixième à
huitième parties).
Car, d'autre part, il conteste, comme dans le texte ci-contre, la suprématie accordée au modèle de l'activité finalisée
des hommes.
La religion naturelle commet une faute logique grave, en prenant une partie de l'univers comme image de la cause
productrice de cet univers ; ce n'est pas l'homme qui est à l'image de Dieu, comme la religion chrétienne le professe, c'est plutôt
l'inverse, si l'on examine le raisonnement des théistes.
En réalité, ce raisonnement se construit sur une analogie parfaitement discutable,
car il faudrait que les objets comparés (le monde et une machine, l'intelligence de l'homme et l'hypothétique intelligence du principe)
soient aussi semblables que possible.
L'on peut aussi bien considérer l'univers comme un animal, ou une plante, sa production comme
une croissance aveugle, ou son principe comme strictement matériel.
Mais ces hypothèses n'ont pas pour vocation de substituer un
modèle à un autre ; elles appartiennent à la stratégie sceptique de Hume, qui veut ici délier la contemplation de l'ordre (d'ailleurs
contestée par le fait du mal naturel) de l'inférence, au fond trivialement religieuse, d'une cause finale.
Si les hypothèses du théisme
expérimental proviennent d'une authentique curiosité scientifique, elles ne peuvent se maintenir que par un reniement de cet attachement
au vrai : finalement, elles ne se soutiennent que des mêmes motifs passionnels qui inspirent les croyances populaires et supposent,
comme elles, l'ignorance — sauf que les savants peuvent ne pas vouloir savoir, quand beaucoup de déistes verraient leur foi se
dissoudre, s'ils savaient.
La grande énergie de ces Dialogues sans ressentiment, tout le talent de l'auteur appliqué à masquer ses thèses, à écrire à double sens, à
brouiller les pistes, la continuité d'une contestation intellectuelle à la fois nuancée, précise et décidée, font interpréter sa conclusion non
comme une « volte-face » dont elle peut sembler donner l'apparence, mais plutôt comme la réduction du contenu intellectuel de la religion
au peu qu'il est.
HUME (David).
Né et mort à Edimbourg (1711-1776).
Il fut quelque temps commerçant à Bristol, voyagea en France et vécut à La Flèche.
En 1748, il visita l'Autriche et l'Italie, puis devint
bibliothécaire de la Faculté des Avocats à Edimbourg.
Il accompagna l'ambassadeur anglais à Paris en 1763, et y fréquenta les milieux
philosophiques et littéraires.
Il rentra en Angleterre, accompagné de Rousseau, qui le quitta rapidement.
Sous-secrétaire d'État, Hume se
retira à Edimbourg en 1769.
Les influences capitales subies par sa pensée furent celles de l'empirisme de Locke et de l'idéalisme de
Berkeley.
Hume est empiriste : il prend pour base de son étude philosophique l'observation et l'expérimentation.
Il rabaisse l'idée de
raison et ramène le principe de causalité à des liaisons d'idées que l'accoutumance, l'habitude et la répétition ont rendu si fortes qu'elles
nous semblent nécessaires.
Il se livre à une description psychologique des processus de l'accoutumance.
Mais il distingue l'induction de
l'accoutumance, de même qu'il distingue l'inférence causale et le raisonnement démonstratif.
Nous ne pouvons avoir aucune certitude en
ce qui concerne l'avenir des lois scientifiques.
Un corps est un groupe de sensations; le moi est mie suite d'états de conscience.
Il n'existe
de substance ni matérielle ni spirituelle.
Hume détrône la raison abstraite et ramène à l'échelle humaine l'entendement humain.
Son
phénoménisme absolu le conduit au scepticisme en matière religieuse.
Oeuvres principales : Traité de la nature humaine (1739), Essais moraux et politiques (1741), Essai sur l'entendement humain (1748),
Enquête sur les principes de la morale (1751), Histoire de Grande-Bretagne (1754-1761), Histoire naturelle de la religion (1759),
Dialogues sur la religion naturelle (publié en 1777), Essai sur le suicide et l'immortalité de l'âme (publié en 1779)..
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