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Dans quel but les hommes se donnent-ils des lois ?

Extrait du document

« Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses a établi en l'homme une seconde nature.

Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres.

Elle fait croire, douter, nier la raison Elle suspend les sens, elle les fait sentir. Elle a ses fous et ses sages.

Et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction autrement pleine et entière que la raison.

Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante.

Toutes les richesses de la terre sont insuffisantes sans son consentement.

Ne diriez-vous pas que ce magistrat dont la vieillesse vénérable impose le respect à tout un peuple se gouverne par une raison pure et sublime, et qu'il juge des choses par leur nature sans s'arrêter à ces vaines circonstances qui ne frappent que l'imagination des faibles.

Voyez-le entrer dans un sermon, où il apporte un zèle tout dévot renforçant la solidité de sa raison par l'ardeur de sa charité ; le voilà prêt à l'ouïr avec un respect exemplaire. Que le prédicateur vienne à paraître, si la nature lui a donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l'ait mal rasé, si le hasard l'a encore barbouillé de surcroît, quelque grandes vérités qu'il annonce je parie la perte de la gravité de notre sénateur. Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté, son imagination prévaudra.

Plusieurs n'en sauraient soutenir la pensée sans pâlir et suer. (L'homme a bien eu raison d'allier ces deux puissances, quoique dans cette paix l'imagination ait bien amplement l'avantage, car dans la guerre elle l'a bien plus entier.

Jamais la raison ne surmonte totalement l'imagination, mais le contraire est ordinaire).

» L'imagination est interposée entre la raison et les sens.

De la raison et les sens, Pascal dit que ce sont des « principes de vérités » (Pensée 45), reprenant ainsi quelque chose de la thèse aristotélicienne.

Ils ne sont sources d'erreur que par leur relation, qui est accomplie par l'imagination.

Cette dernière, au lieu d'être neutre comme chez Aristote, apparaît comme une puissance maligne (« superbe » = idée d'arrogance et d'orgueil) qui trouble les opérations de la raison et le fonctionnement des sens. Les deux exemples pris par Pascal, celui d'un juste, celui d'un sage, manifestent tous deux le contraste entre une conduite fondée sur la raison (soutenue soit par la charité, soit par la vertu), et son dérèglement soudain par des perceptions qui détournent de l'essentiel (de ce qui constitue l'essence ou la nature intelligible des choses).

Le magistrat voit la figure du prédicateur, comme le philosophe est saisi par la vue de la planche.

C'est le choc de ces images perçues qui trouble leur jugement : il se rapporte à des « circonstances », non à la « nature » des choses. Vouloir que la raison fasse la guerre à l'imagination, c'est s'engager dans un combat perdu d'avance.

Il vaut donc mieux faire droit au pouvoir de l'imagination, faire la paix avec elle, même si elle se trouve par là injustement avantagée.

Si on prend garde à cette remarque, on n'interprétera pas le texte qui suit comme une pure et simple condamnation de l'imagination.

Sans doute « l'appareil » (le terme s'entend comme dérivé de « apparaître » et comme désignant l'apparat) par lequel les magistrats, les médecins, les savants (les « docteurs ») en imposent est-il mensonger puisqu'il masque l'absence d'une véritable science.

Néanmoins, en ce qui concerne plus particulièrement la justice, Pascal considère que la raison est incapable de nous en assurer.

Vouloir substituer l'autorité de la raison à celle de la justice, c'est livrer la société à des conflits violents.

Il estimera préférable le mensonge qu'accrédite l'imagination à cette violence.

(cf.

Pensée 60). Introduction: Dans ces quelques lignes extraites des célèbres Pensées de Pascal, notre auteur s'attache à « définir » l'imagination et à montrer l'étendue de son pouvoir.

Mais « définir » est encore un terme ici inapproprié car il se réfère au vocabulaire de la démonstration, au domaine de la raison.

Aussi, Pascal utilise-t-il davantage les métaphores et les exemples : il serait invraisemblable, en effet, de nous persuader de la toute-puissance de l'imagination et de l'aborder rationnellement.

Dans ses Méditations Métaphysiques, Descartes rappelait la conception classique de l'imagination et son caractère inférieur par rapport à la raison.

A l'occasion de l'observation du morceau de cire, il cherchait à savoir ce qui nous permettait de reconnaître la même cire malgré ses modifications sensibles.

Or, l'imagination se trouvait limitée quand il s'agissait de répertorier toutes les différentes perceptions que nous pourrions avoir de la cire.

A l'inverse, la raison, qui nous permet de concevoir la cire, nous donne un objet stable : nous pouvons ainsi reconnaitre la cire quelque soient les formes qu'elle pourra prendre. L'imagination ne pouvait nous donner accès à une connaissance.

Mais en est-il véritablement ainsi? Si le statut ontologique de l'imagination peut bien être inférieur à celui de la raison, qu'en est-il de l'emploi quotidien de l'imagination et du pouvoir qu'elle exerce? Le monde des apparences, dit trompeur, n'est-il pas le monde dans lequel nous sommes jetés? Aussi, il est normal que nous nous référions le plus souvent à ce qui nous est montré, à ce qui nous paraît familier, pour nous trouver des repères.

Il s'agit donc ici de mettre en avant le pouvoir de l'imagination en montrant son omniprésence et sa raison d'être, afin d 'en arriver à un discours sensé et raisonnable sur sa nature.. »

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