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D'abord vivre, ensuite philosopher ?

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« Introduction.

— Les peuples, comme les individus, acquièrent de l'expérience.

Cette expérience des peuples, résultat d'observations et d'actions plus nombreuses, plus variées et s'étalant, non sur les quelques années de la vie d'un homme, mais sur les siècles où se sont succédé les générations, semble avoir acquis une valeur de vérité bien plus grande. Cette expérience de l'Humanité s'est condensée en des sentences proverbiales qui, dit-on, expriment la sagesse des peuples.

« D'abord vivre, ensuite philosopher ».

Telle est la solution que donne cette sagesse, de l'éternel et toujours actuel problème de la primauté de la vie et de l'action sur la pensée et la réflexion, de l' « homo faber » sur l' « homo sapiens ».

Formule pleine de sens et grosse de conséquences, dont il conviendra d'abord de découvrir et de pénétrer la signification exacte, avant de porter un jugement sur sa valeur. I.

- DETERMINATION DU SENS DES TERMES A.

Vivre.

— Le terme vivre peut s'entendre de deux façons, suivant qu'on le considère au sens strict ou au sens large. Au sens strict, vivre, c'est pouvoir se procurer et se servir de tout ce dont la privation serait cause de mort.

C'est donc avoir de la nourriture, de la boisson, du repos, des vêtements, un abri contre les intempéries ; c'est pouvoir échapper aux dangers qui menacent notre existence.

Vivre d'abord, c'est donc en premier lieu employer son activité à assurer à notre corps sa subsistance et à écarter les dangers qui le menacent. Au sens large, vivre, c'est prendre contact avec les réalités de l'expérience, se trouver aux prises avec les hommes, les événements, les choses, ne pas se replier sur soi-même, mais étendre le champ de son action dans toutes les directions.

On dit d'un homme qu'il a beaucoup vécu, non pas lorsqu'il a vécu longtemps, mais lorsque son activité a été multiple et variée. B.

Philosopher.

— Ce terme philosopher peut, lui aussi, être envisagé aussi selon un double sens. Philosopher se dit, au sens large, de tout exercice de pensée, de toute réflexion désintéressée et qui n'a pas essentiellement et comme premier but l'action.

Philosopher, c'est méditer, rêver en quelque sorte, en tout cas être hors de l'action.

Ne se représente-t-on pas bien souvent le philosophe comme Aristophane nous a présenté Socrate dans sa comédie des "Nuées" ? Mais philosopher, au sens strict, reçoit une acception plus particulière.

Philosopher c'est, non pas étudier la Psychologie, la Logique, la Morale, mais réfléchir aux grandes et angoissantes questions que posent la vie, l'action, la pensée ; méditer sur les grands problèmes humains : le vrai, le beau, le bien, la nature de l'homme, sa destinée, l'âme et Dieu. II.

- EXAMEN DE LA MAXIME A.

Il semble que si le mot vivre est pris au sens strict, on ne peut qu'admettre la vérité du proverbe. La pensée et l'exercice de cette pensée dépendent de l'existence et de la vie du corps.

Nous ne sommes pas de purs esprits, mais des esprits unis à un corps.

La première condition pour pouvoir penser, réfléchir, philosopher, est donc déjà de vivre ; c'est une vérité trop évidente pour qu'il soit besoin d'y insister. C'est, de plus, un fait d'expérience journalière que les exigences de la vie priment celles de la pensée.

Ce qui préoccupe l'homme avant tout c'est de vivre ; la plus grande partie de son activité, pour ne pas dire sa presque totalité, est dirigée vers ce but : obtenir de la nourriture, des vêtements, du confort, etc. Pourquoi l'homme chercherait-il tant à gagner de l'argent, sinon pour pouvoir vivre ? Et comment philosopher (et je n'emploie pas ce mot au sens strict, mais même au sens large) si l'on est tiraillé par la faim, si l'on grelotte de froid, si l'on est inquiet pour sa subsistance du lendemain ? Demandez donc à quelqu'un qui vient de dépenser ses derniers sous pour acheter un morceau de pain, à un naufragé qui se débat au milieu des vagues de se livrer à une méditation désintéressée, à un pur jeu de l'esprit.

L'homme, quand sa vie n'est pas assurée, ne pense qu'à une chose : comment agir pour ne pas mourir.

La première et indispensable condition pour philosopher est donc de ne pas avoir d'inquiétudes au sujet de notre vie quotidienne, sans quoi l'action s'impose à nous, l'action immédiate et totale. C'est ce que confirme l'histoire des peuples.

A quel moment assiste-t-on à l'essor et à la floraison de la pensée désintéressée, de la méditation, de la philosophie, de l'art ? C'est aux époques où les conditions essentielles de la vie semblent assurées : la paix, l'ordre, la prospérité, règnent, et les hommes, n'ayant plus à s'occuper de la recherche de leur pain quotidien, peuvent donner leurs loisirs à la pensée : siècle de Périclès, d'Auguste, de Louis XIV. Philosopher est donc bien une occupation de l'esprit à laquelle on ne peut s'adonner que dans la mesure où il reste du temps après les actions primordiales qui doivent assurer la vie. B.

Mais si l'on prend le terme vie au sens large, la maxime « vivre d'abord » ne semble pas moins exacte. Que serait, en effet, une philosophie qui ne prendrait pas son point d'appui, sa base, dans l'expérience de la vie ? Philosopher, sans se référer au réel, n'aboutirait qu'à d'inconsistantes et folles élucubrations d'une. »

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