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Créer est-ce rompre avec la tradition ?

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« Le terme de création renvoie à la production d'une œuvre originale dans les beaux-arts.

Or, dans l'art classique, la formation de l'artiste se résumait dans un premier temps à son rattachement à l'atelier d'un maître reconnu afin de parvenir à copier les procédés nécessaires à l'application de son art.

Créer, c'était avant tout poser ses pas dans les empreintes de son prédécesseur.

L'originalité à proprement parler n'entre ainsi dans l'histoire de l'art qu'assez tardivement, et même si les artistes acquièrent une formation à grande partie individuelle, il leur est impossible d'ignorer leurs prédécesseurs.

En s'interrogeant sur les rapports qu'entretiennent création et tradition, c'est la possibilité d'un progrès dans l'évolution qui s'avère problématique : créer, est-ce dépasser ce qui précède, le nier, ou encore l'amener à soi pour inaugurer une ‘nouvelle' tradition ? Si nous avons évoqué les beaux-arts, il s'avère que les enjeux d'un tel questionnement ne relèvent pas exclusivement de l'esthétique, mais également de l'épistémologie en mettant en lumière la façon dont peut se constituer le savoir. La tradition, aiguillon de la création Sous l'Antiquité, le savoir faire de l'artiste n'était pas différent de celui du peintre.

Platon souligne par ailleurs que tous deux créent en ayant pour « modèle » l'Idée de l'objet qu'ils représentent ou fabriquent.

Dès lors, la création qu'elle soit artisanale ou artistique est dépendante de l'idée que la création par le démiurge est à prendre en modèle, à l'image de la perfection du cosmos grec : en conséquence, seuls le beau et l'harmonie doivent être recherchés par l'artiste, dont la principale qualité n'est pas l'originalité de son traitement mais la recherche du traitement le plus adéquat à rendre cette splendeur.

En mathématiques, cela se traduit par la recherche du nombre d'or par exemple, qui fut ensuite repris tant en peinture qu'en musique.

Créer, c'est se référer à un canon dont il est inutile de justifier la pertinence. Et l'art classique ne s'est jamais réellement détaché de ces préoccupations : comme le souligne Lessing dans le Laocoon, même si l'artiste représente des sentiments bas, il cherchera toujours à le faire de la belle façon, de manière à ce que le spectateur ne puisse être dégoûté par la vision.

Ce qui est admirable dans le groupe sculpté éponyme, c'est la délicatesse de l'artiste dans ses choix, par exemple le refus de la bouche béante pour exprimer le cri du père.

Créer, c'est plaire, et pour plaire, il faut que l'artiste prenne en considération la sensibilité du contemplateur. Seul le génie rompt avec la tradition : les œuvres inaugurales Métaphysique du présent : dans sa Critique de la faculté de Juger, Kant fait part de la vision du génie comme un plus grand vivant dont l'activité créatrice fait preuve d'une sensibilité dynamique qui engendre le chef d'œuvre.

Le génie n'obéit pas à la tradition, mais édicte ses propres règles, l'originalité étant la preuve de l'irréductible singularité de l'artiste.

Le génie reçoit la règle de la Nature comme forme sans concept, intuitivement aperçue. Pourtant, de manière peut être plus concrète, créer, c'est faire des choix : P.

Francastel, dans son introduction à ses Etudes de sociologie de l'art, rappelle que l'artiste est confronté dans son travail à la multiplicité des matières et des techniques, qu'il choisit de manière à devenir « le porte-parole de son entourage ».

Qu'est-ce à dire ? Qu'il existe une part d'originalité propre à l'artiste, mais que celui-ci ne peut jamais être considéré comme une entité isolée de son milieux social et culturel.

Quand l'artiste créé, il est « homme du présent », ce n'est que la réception de l'œuvre et la postérité qui peuvent juger de sa rupture éventuelle avec la tradition. Dès lors, Francastel établit une distinction féconde entre les artistes inaugurant des séries, inaugurant un style en rompant avec la tradition, et ceux qui ne font que s'inscrire dans ce qui a été préalablement établi.

La première catégorie d'individus inaugurent l'utilisation de signes figuratifs que les seconds ne feront que développer ou décomposer.

Ainsi peut-on parler de deux types de créations : celles à proprement parler « originales » et celles qui sont des « œuvres témoins » n'inaugurant pas de nouveau schèmes. De la création d'une mythologie à l'autonomisation des formes Si ce type de réflexion est possible concernant l'art dit classique, il en est tout autrement à partir de la Modernité : créer est un acte qui s'enracine dans le présent, nous l'avons dit, aussi est-il nécessaire de considérer la rupture post-moderne. Ce qui change radicalement à partir des années 1960, c'est que les œuvres ne produisent plus de valeurs nouvelles, mais font écho au présent qu'elles tentent d'instituer en tradition.

La création s'exprime dans le clin d'œil et l'ironie, cela est particulièrement visible avec le pop art : d'une certaine manière, elle perd de son aura pour devenir un produit comme un autre.

Si le post-modernisme constitue une rupture dans l'histoire de l'art en brisant les catégories esthétiques, l'acte même de création s'institue dans une volonté d'entretenir le temps présent, et non le passé : l'art créé sa propre mythologie. Or, le propre de la tradition, c'est qu'elle n'a guère besoin d'être défendue : elle s'impose comme telle.

Aussi sans parler de « style » ou de « série » comme nous l'avons fait précédemment, il est pertinent de s'interroger sur les rôle des influences sur les créateurs : Rimbaud influencé par ses lectures de Baudelaire en est-il pour autant moins « original » et un moins grand génie ? Ce n'est plus dans la rupture ou dans la continuité qu'il nous faut envisager le rapport à la tradition mais dans son dépassement au sens hégélien du terme : créer, ce n'est pas refuser sciemment ou amener à soi les éléments en présence, mais leur donner une nouvelle forme.

Cette « vie des formes », comme la nomme Focillon dans son ouvrage éponyme est autonome, trouve sa résolution par elle-même.

Le créateur n'est pas celui qui manipule les formes mais qui assiste à leur déploiement : elles peuvent ainsi porter trace d'une tradition sans pour autant s'en revendiquer. Au terme de cette analyse, nous nous apercevons de l'ampleur du déplacement qui a pu s'effectuer entre l'art dit classique et l'art contemporain : la question de la tradition, au cœur du premier, s'efface peu à peu jusqu'à envisager que ce soit l'art qui créé sa propre mythologie.

L'art contemporain, qui se départit des catégories esthétiques, inaugure une véritable rupture, rendue pourtant possible par l'histoire de la création précédente.

Ainsi la création se trouve-t-elle toujours au confluant de la singularité affirmée de l'artiste et de son ancrage dans une époque, une culture.. »

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