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Comment doit-on envisager le bonheur des sages ?

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« Introduction Le bonheur suprême, celui que recherche le sage, peut être caractéris er par ce qu'on appelle la béatitude.

Elle se c aractérise par une satisfaction constante et à laquelle rien ne manque.

Elle serait l'état idéal du sage selon A ristote, les stoïciens, mais encore Spinoza.

Le terme de béatitude évoque aussi l'idée d'une joie spirituelle, active, conquis e par la pensée adéquate qui en est la condition, ou par l'effort qui en rend digne ; d'autre part, il s'applique à la vie supérieur ou à la vie futur, et implique l'intervention de Dieu ou l'entrée en possession du divin.

La béatitude est donc moins la satisfaction de nos inclinations présentes que celle de l'être transcendant ou nouménal qui est en nous. I.

Extase et mystique : deux voies vers une sagesse ultime a.

L'ascension vers l'Un est envisagée par Plotin comme un process us de purification.

L'impulsion en est l'amour de la Beauté et de l'Un originels. L'ascension mène jusqu'à la contemplation.

L'art, par exemple, en passant par la perception de la beauté sensible, conduit jusqu'à l'appréhension de la beauté de la forme pure, contenue en elle-même.

C 'est dans la philosophie également que l'âme dépasse le monde des ombres des c orps et retourne vers l'esprit (s phère des idées éternelles).

La libération la plus élevée est l'extase, la plongée immédiate dans la contemplation de l'Un. b.

Le mot mystique nous vient du Pseudo Denys l'Aréopagite.

A insi selon lui, pour atteindre l'être, il faut dépasser les images sensibles, les conceptions et les raisonnements de l'es prit.

Il affirme, en se fondant sur une expérience qui n'a rien de logique, mais qui semble l'expression d'un contact intime, que « cette parfaite connaissanc e de Dieu qui s'obtient par ignorance en vertu d'une incompréhensible ; et ceci a lieu quand l'âme, laissant toute chose et s'oubliant elle-même, s'unit aux clartés de la gloire divine » (Noms divins, V II, 3). c.

Le mysticisme est considéré comme l'un des quatre grands systèmes philosophiques qui, s elon l'éclectisme, s e sont s u c c é d é s e n c y c l e s dans l'histoire de la pensée humaine, et que le progrès de la réflexion philosophique a pour but de conc ilier de plus en plus complètement.

Il résulte d'une réaction contre le scepticisme, et se c aractéris e par l'effacement de la raison au profit du sentiment et de l'imagination.

Les étapes du développement du mysticisme sont déterminées par E.

Boutroux : la première est l'aspiration à l'absolu, puis vient l'effort de purification et l'ascèse, ensuite l'extase, ainsi que le retour sur la vie antérieure et l'orientation nouvelle du jugement et de la conduite, la réalis ation (individuelle ou sociale) de la vie parfaite (cf.

E.

Boutroux, Le mysticisme, Bulletin de l'institut psychologique). II.

béatitude et amour a.

C 'est la relativité du bonheur qui pose le problème de la béatitude, qui est le bonheur des sages et dont la tradition philosophique semble bien faire un absolu.

Q uelle différence alors entre la béatitude et ce que nous appelons ici la félicité ? Il s'agit dans les deux cas d'absolus, en ceci qu'ils ne peuvent être augmentés.

Mais l'absolu de la félicité est un absolu quantitatif (c 'est un maximum, c omme dit Kant, de bien-être ou de plaisirs), notion c ontradictoire et impossible à vivre, alors que la béatitude est un absolu qualitatif ou, mieux (car ce n'est pas non plus un maximum intensif), spirituel : s'il ne peut être augmenté, ce n'est pas qu'il est le plus grand possible mais qu'il n'est plus de l'ordre, au contraire, d'une grandeur.

L'ataraxie, chez Épicure, n'est pas un maximum mais un équilibre ; la béatitude, chez Spinoza, n'est pas un maximum mais une perfection.

C 'est pourquoi elles ne peuvent être augmentées, et c'est ce qui les distingue en effet du bonheur ordinaire (qui est toujours un plus ou moins de bonheur).

« Le bonheur, disait par exemple Épicure, peut être de deux sortes : ou bien il est suprême et ne peut être augmenté, comme celui dont jouit un dieu, ou bien il est susceptible d'être augmenté ou diminué » (d'après Diogène Laërce, X, 121).

Le premier bonheur est celui des sages, et c'est ce qu'ils appellent la béatitude.

Le second est celui de tout un chacun (donc du sage aussi), et c'es t ce qu'on peut appeler bonheur strictement.

Ils se distinguent moins par la grandeur que par la pureté, la paix, l'harmonie : la béatitude n'est pas plus compliquée mais plus s imple que le bonheur ; ce n'es t pas un bonheur infini, c'est un bonheur pacifié. b.

Mais la béatitude se distingue surtout du bonheur par son rapport au temps ou, comme dirait Spinoza, à l'éternité (cf.

livre V de l'Ethique).

T oute c hose, y montre Spinoza, peut être conçue de deux manières, selon qu'on la considère dans le temps ou dans l'éternité.

C 'est le cas aussi du bonheur.

En tant qu'il es t conçu dans le temps, le bonheur es t changement, et l'on nous dit « heureux ou malheureux suivant que nous changeons en mieux ou en pire » ( Éthique, V , 39, scolie).

C ela suppos e naturellement une comparais on entre deux moments s u c c e s s i f s et, par là, l'espérance et la crainte.

Être heureux, dans le temps , c'est toujours espérer l'être ou craindre de ne l'être plus, et c'est pourquoi le bonheur n'est jamais parfait (on espère toujours l'augmenter, on craint toujours de le perdre...) ; c'est pourquoi, même, il n'est jamais là : le temps qui le contient nous en sépare, l'imagination qui le vise nous en prive.

Tout bonheur, en ce sens, est imaginaire (c'est l'imagination de la joie possible), et réel seulement en tant qu'imaginaire.

La béatitude, au contraire, serait un bonheur vrai, c'est-à-dire éternel (la vérité l'est toujours) et se déployant non dans l'imagination du passé ou de l'avenir, mais dans la nécessité du présent. C 'est moins un autre bonheur que le bonheur même, vécu et pens é en vérité : non plus l'imagination de la joie possible, mais la connaissance vraie (éternelle) de la joie réelle. c.

C ette joie réelle, pour Spinoza, ne va pas sans amour.

Q u'est-ce en effet qu'aimer ? C 'est s e réjouir, explique Spinoza, à l'idée de quelque chose : « L'amour est une joie qu'acc ompagne l'idée d'une cause extérieure » ( Éthique, III, déf.

6 des affections).

C ette définition, si elle paraît abstraite, rencontre pourtant l'expérience commune : dire à quelqu'un « je suis joyeux à l'idée que tu existes », c'est bien lui déc larer son amour.

M ais, d'ordinaire, nous sommes surtout joyeux – encore n'est-ce vrai, le plus souvent, qu'en imagination – à l'idée de posséder l'autre (auquel cas ce n'est pas lui que nous aimons mais s a posses sion) ou bien d'en être aimé (auquel cas ce n'est pas lui que nous aimons mais son amour), et c'est ce qu'on appelle la passion, toujours égoïste, toujours narcissique, et promise à l'échec seulement : on ne peut posséder personne, ni être aimé jamais comme on le voudrait, et c'est la seule déception peut-être à laquelle on ne s'habitue pas.

L'amour, au c ontraire, le véritable amour (celui qui est amour non de soi, mais de l'autre), est généreux toujours : il ne manque de rien (il est désir non de ce qui n'est pas, mais de c e qui est), il ne demande rien (puisque rien ne lui manque), il n'espère rien...

C e n'est pas l'éros de Platon mais la philia d'Aristote ou d'Épicure, l'agapè de Jésus ou de saint Paul (1 C or., XIII), bref cet amour que les scolastiques appelaient non de c oncupiscence, mais d'amitié, et c'est bien le nom en effet qui lui convient.

L'amant veut posséder l'aimé, et souffre de ne le pouvoir, puis s'ennuie de l'avoir pu...

L'ami véritable se réjouit au contraire non de posséder ses amis (il sait bien que c 'est impossible, que l'amitié n'illumine jamais que la solitude), pas même d'en être aimé (voilà longtemps qu'il n'y tient plus, qu'il es t libéré de ce petit commerce d e s s entiments), mais qu'ils soient. C omment, sauf à aimer des cadavres, en serait-il privé ? Sa joie n'est pas une caractéristique de son amitié, mais sa définition même.

Il n'y a pas d'amour (éros) heureux ; il n'y a pas d'amitié (philia, agapè) malheureuse.

C ela, qui redonne une chance au couple peut-être, donne aussi la formule de la sagesse : le sage est l'ami du monde, de ses amis et de soi-même.

Q ue cela soit également, et par là même, la formule du bonheur, c'est ce que chacun a compris et, de loin en loin, expérimente.

Sans l'amitié, dit à peu près A ristote, la vie serait une erreur (Éthique à Nicomaque, V III et IX), et c'est en quoi, ajoute Épicure, de tous les biens que la sagesse nous procure, « l'amitié est de beaucoup le plus grand » (M axime capitale XXV II) : la sagesse ne serait rien sans le bonheur, ni le bonheur sans l'amitié.

C 'est aussi ce que Spinoza, bien plus tard et avec d'autres mots, confirmera : il n'est bonheur que de joie ; il n'est joie que d'aimer. Conclusion L e bonheur du sage, bonheur toujours considéré comme le plus proche d'un bonheur divin, n'est atteint qu'au prix d'un effort intense d'ascension (extase), ou de contemplation (mystique).

O n ne peut envisager le bonheur du sage sans être sur le chemin d'une forme de félicité intellectuelle, de réflexion infinie qui ne se meut qu'au s ein de l'es sentiel.

M ais on voit aussi, à travers A ristote ou Spinoza par exemple, que le bonheur n'est pas un choix égoïste ; en effet, il implique l'autre, il nécessité autant dans le domaine pratique des vertus capitales (amour).. »

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