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Bonheur et vertu ?

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« Si le bonheur est le Souverain Bien, ne doit-on pas lui sacrifier la vertu ? Que vaut l'existence de l'homme juste, mais méprisé de ses concitoyens et sans fortune, en regard de l'injuste prospère et réputé ? Telle est l'objection que Platon fait formuler, dans sa République, à Thrasymaque : il faut, en vue du bonheur, préférer l'injustice à la justice, le vice à la vertu. Devant ce problème, Kant répondra, au xviii siècle, que la morale ne peut se fonder sur la recherche du bonheur, mais sur la conscience d'une obligation.

La réponse de Platon est diamétralement opposée : il ne peut dissocier vertu et bonheur.

C'est pourquoi le propos de La République sera de démontrer que seul l'homme juste est heureux, car la justice est une vertu.

Les Grecs n'utilisent pas le mot « vertu » (arété) seulement dans le domaine moral.

Ce mot désigne généralement la qualité propre d'un être ou d'une chose, par laquelle il ou elle accomplit parfaitement sa nature.

Ainsi l'arétè d'une épée est son tranchant (la fonction de l'épée étant de trancher, il y a des épées qui ne tranchent pas ou mal), celle de la terre, la fertilité...

Si la « vertu » de l'homme consiste dans une vie réglée selon la raison, c'est qu'être raisonnable est la nature propre de l'homme. On le voit, les sagesses grecques ne sont pas des morales, au sens moderne — c'est-à-dire kantien — du terme : elles ne s'ordonnent pas sur l'idée de devoir.

Elles ne répondent pas à la question : « Que dois-je faire ? » mais à cette autre : « Comment bien vivre (et bien mourir), en accord avec ma nature ? » Savoir et vertu « Nul n'est méchant volontairement » : cette formule socratique, reprise par Platon, peut surprendre. C'est dans le « Gorgias » de Platon que l'on trouve exposé le paradoxe socratique : « Nul n'est méchant volontairement ».

Cette thèse surprenante de prime abord doit être reliée aux deux autres : « Commettre l'injustice est pire que la subir » ; « Quand on est coupable il est pire de n'être pas puni que de l'être ».

L'injustice est un vice, une maladie de l'âme, c'est pourquoi, nul ne peut vraiment la vouloir (on ne peut vouloir être malade), et la punition, qui est comparable à la médecine, est bénéfique à celui qui la subit. L'attitude commune face à la justice est résumée par Polos dans « Gorgias » et Glaucon au livre 2 de la « République ».

Les hommes souhaiteraient être tout-puissants et pouvoir commettre n'importe quelle injustice pour satisfaire leurs désirs.

Il vaut donc mieux, selon eux, commettre l'injustice que la subir.

Cependant, comme subir l'injustice cause plus de dommage que la commettre de bien, les hommes se sont mis d'accord pour faire des lois en vue de leur commune conservation.

Nous ne sommes donc justes, en vérité, que par peur du châtiment.

Si nous pouvions être injustes en toute impunité, comme Gygès qui possède un anneau le rendant invisible, nous agirions comme lui : nous ne reculerions devant aucune infamie pour nous emparer du pouvoir, devenir tyran.

Bref, nous serions injustes pour satisfaire nos désirs. Platon réfute inlassablement cette thèse, cette hypocrisie qui consiste à ne vouloir que l'apparence de la justice, l'impunité, pour pouvoir accomplir n'importe quelle injustice. Le nerf de l'argument consiste à montrer que, en réalité, « Commettre l'injustice est pire que la subir ».

C'est par une ignorance du bien réel que les hommes souhaitent pouvoir être injustes.

Parce que nous confondons le bien apparent (le plaisir, la satisfaction immédiate des désirs les plus déréglés) avec le bien réel, la santé de l'âme.

Nous croyons vouloir commettre l'injustice, alors que c'est impossible, que « nul n'est méchant volontairement », parce que nous voulons.

Etre injuste est faire son malheur en croyant se faire plaisir. L'antagonisme entre le point de vue habituel et la position de Socrate est magnifiquement exposé par le débat entre Calliclès et Socrate, dans le « Gorgias ».

Calliclès prétend : « Voici, si l'on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer .

» Socrate pense, lui, que l'accès au bonheur, au Bien, « cela veut dire être raisonnable, se dominer, commander aux plaisirs et aux passions qui résident en soi-même ». Pour tenter de réfuter Calliclès, Socrate lui montrera que son idéal de mode de vie ressemble bien à une « passoire ».

L'intempérance consiste à accumuler des plaisirs qui n'ont aucune consistance, à ne pas savoir se mesurer, se satisfaire, mais au contraire à être habité par des désirs tels que pour les combler il faut « s'infliger les plus dures peines ».

L'erreur fondamentale de Calliclès est de confondre l'agréable et le bon, de confondre la démesure des désirs déréglés et irrationnels avec l'équilibre de la satisfaction véritable. C'est que l'injustice est une maladie de l'âme, et plus précisément encore la subversion d'un ordre.

Le magnifique mythe de l'attelage ailé dans le « Phèdre » décrit d'une façon imagée ce qu'est l'âme.

Elle est comparée à un attelage composé d'un cocher et de deux chevaux.

L'un est blanc, docile, l'autre est noir, à les oreilles poilues et se montre sourd aux injonctions du cocher ; il menace ainsi l'équilibre de l'attelage.

Il y a donnc trois instance dans l'âme.

Le cocher figure la raison, qui a pour tâche de diriger.

Le « cheval blanc » représente le siège de l'honneur, de la colère.

Le « cheval noir » symbolise l'âme concupiscible, siège des désirs, et plus précisément des désirs liés au corps.

Or ces désirs ont pour caractéristiques d'être multiples, tyranniques, de ne rien respecter (Platon anticipe dans certaines descriptions sur tous les cas cliniques décrits par Freud). Or, la justice consiste d'abord dans le respect de la hiérarchie naturelle des trois instances, qui doivent s'ordonner sous la conduite de la raison.

Se dominer, être maître de soi, tenir en bride le « cheval noir », c'est faire régner l'ordre.

L'injustice consiste au contraire dans la subversion de cet ordre, dans la prédominance que l'on accorde à. »

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