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Berkeley: La matière existe-t-elle ?

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« L' idée de matière est obscure et confuse ; de là vient que la philosophie qui l'examine, alors qu'elle devrait lever tous les doutes, nous plonge dans le scepticisme.

L'existence de la matière n'est qu'un préjugé : le détruire, c'est ruiner le scepticisme, l'athéisme, et établir la vérité.

C'est la doctrine de l'immatérialisme. 1.

Les faux principes de la connaissance humaine A.

La doctrine des idées abstraites On présuppose que l'esprit a un pouvoir d'abstraction qui lui permet, d'une part, de concevoir séparément les différentes qualités d'un objet (couleur sans étendue par exemple), d'autre part, de former des idées générales abstraites, en retenant ce qu'il y a de commun entre plusieurs idées (ainsi, l'idée générale de couleur). Il est possible d'imaginer les parties d'une chose indépendamment du reste, comme la seule tête d'un cheval ; mais on ne peut imaginer une couleur qui n'appartienne pas à un objet dans l'espace, ou une couleur générale, qui ne soit ni rouge ni jaune, etc., mais tout cela à la fois.

Toutes les idées que l'esprit forme sont particulières et concrètes. Lorsque nous raisonnons en général, nous nous appuyons sur une idée particulière qui représente les autres idées du même genre.

Pour raisonner sur les propriétés du triangle en général, il faut concevoir un triangle particulier ; il suffit de ne pas prendre en compte ses propriétés particulières dans la démonstration pour que celle-ci vale aussi pour tous les triangles. B.

Le voile des mots Le préjugé des idées abstraites et générales vient de l'usage du langage.

Un mot nous semble désigner une idée générale abstraite, puisqu'il s'applique à une foule de choses semblables.

Nous croyons sa signification unique, alors qu'elle est multiple, signifiant autant de choses qu'elle en peut désigner. Le langage a été fait pour la pratique ; c'est son détournement dans un but théorique qui entraîne bien des erreurs dans la pensée. Ainsi, Berkeley veut écarter le voile que les mots ont mis entre nous et les choses, et raisonner sur les idées nues, afin de mettre à bas les préjugés qui dépendent du langage, et d'établir la vérité. 2.

L'immatérialisme A.

Les principes de la connaissance humaine Lorsque je dis que la table de travail existe, je veux dire que je la touche ou la vois, ou bien la toucherais et la verrais si j'étais dans mon bureau.

L'esprit ne connaît que des idées.

Parce que nous ne connaissons les choses que par idées, elles n'existent que comme nos idées, c'est-à-dire nos sensations. C'est une opinion étrange, inspirée par le préjugé des idées abstraites, qui nous fait croire qu'il existe autre chose que nos perceptions, imperceptible, et qui les provoque : la matière.

Être, c'est être perçu ou percevoir : il n'existe que des idées, et des esprits pour les percevoir. S'il y avait des corps extérieurs à notre perception, nous n'en saurions rien ; s'il n'y en a pas, cela ne change rien.

La matière existe si l'on entend par là ce que nous percevons ; mais elle n'existe pas si l'on entend par là ce que nous ne percevons pas en soi, mais qui provoque nos perceptions. B.

Les objections contre l'immatérialisme La doctrine de Berkeley semble nous faire prendre les choses réelles pour des choses imaginaires ; mais pour Berkeley, ce que je vois, je le vois vraiment, cela existe pleinement ; ce que j'imagine, c'est une idée plus faible et moins nette, que je ne perçois pas, et qui donc n'existe pas. Tout ce qui se meut dans nos idées est issu d'une volonté ; or, l'ordre entier de la nature se meut indépendamment de la volonté des hommes et des vivants en général.

C'est Dieu qui en est cause ; pour le voir, il n'y a qu'à ouvrir les yeux.

Son existence est connue aussi immédiatement et aussi certainement que celle de notre propre esprit.

C'est lui qui produit la variété des idées qui nous affectent, lui « en qui nous vivons, nous nous mouvons et nous avons notre être ».

L'immatérialisme est une réfutation de l'athéisme. Berkeley : « Etre, c’est être perçu » Cette formule de Berkeley peut sembler surprenante puisqu’elle consiste à n’accorder de réalité qu’à ce que nous percevons.

Dire « Etre c’est être perçu », c’est affirmer que rien n’existe en dehors de l’esprit, que toute réalité est un esprit qui perçoit.

Nous avons commencé par noter que la perception est cette activité de l’esprit qui rassemble, qui collecte, or c’est justement la raison pour laquelle Berkeley ne va accorder de réalité qu’à ce qui est perçu.

En effet, il est impossible de séparer, d’isoler une idée des sensations que nous éprouvons.

Par exemple, on ne peut pas parvenir à se représenter l’étendue (ce qu'on se représente étendu dans l'espace) dépourvue de couleur, de même nous ne pouvons pas nous représenter la matière indépendamment d’une certaine forme, d’une certaine étendue, d’une certaine figure.

Tous les éléments qui composent notre univers, que l’on pense à la couleur, la saveur, l’étendue, le mouvement…n’ont aucune existence en dehors de la perception que nous en avons.

L’étendue n’est ni grande ni petite, le mouvement n’est ni lent, ni rapide, ils ne sont donc rien ; de même je ne puis former l’idée d’un corps étendu qui est en mouvement sans lui donner aussi une couleur.

Quand nous pensons que la matière ou l’étendue existent seules, nous nous laissons abuser par les mots, par le langage.

Berkeley va répondre à un problème (le problème de Molyneux), qui a suscité de nombreux débats, et qui consistait à se demander si un aveugle né, recouvrant subitement la vue, pourrait discerner visuellement le cube et la sphère qu’il sait déjà discerner par le toucher.

Or, ceci serait possible si notre perception nous livrait l’étendue géométrique abstraite, mais une description des processus de la vision montre qu’il n’en est rien, car nous éprouvons à tout instant l’incommunicabilité des idées visuelles et des idées tactiles.

L’illusion selon laquelle il y aurait une idée commune à la vue et au toucher, une idée abstraite d’étendue vient de l’emploi de mots.

Le langage nous fait croire, à tort, à l’existence d’entités abstraites, mais il n’y a pas de réalité en dehors de la perception.

Mais alors, si la matière comme substrat, comme réalité indépendante, est une pure illusion, qu’est-ce qui fait que les objets qui tombent sous nos sens demeurent là, même quand nous fermons les yeux, même quand nous ne sommes plus là ? Berkeley va alors faire appel à l’existence de Dieu, c’est-à-dire un esprit qui soutient le tout, et qui permet de penser l’unité du monde.. »

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