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Bergson technique

Publié le 15/01/2023

Extrait du document

« Bergson La technique est l’emblème du progrès.

S’il y a un endroit où se questionner semble superflu, c’est lorsque l’on se demande si la technique progresse.

On pourrait même être tentés de souligner que la technique, « c’est le progrès ».

Pourtant, cette assimilation de l’idée selon laquelle il y a un progrès technique à celle selon laquelle la technique est la source du progrès humain n’est pas justifiée.

Le progrès ne saurait être mesuré qu’à la technique.

Notre époque prend la pleine mesure de ce constat, puisque le développement technique a pris une ampleur qui l’associe à des maux, qui sont d’autant plus graves qu’ils semblent ne plus pouvoir être maîtrisés par l’homme.

La manière principale que nous avons de penser ce renversement du progrès technique en régression pour l’homme, est de souligner que la technique est devenue contre-nature, qu’elle se développe maintenant au détriment de la terre, origine de laquelle l’homme tire son être propre.

On voit ainsi apparaître des discours soutenant la nécessité d’un retour à la nature, d’une régression technique en vue du renouveau du progrès humain. Pourtant, si l’homme est un être naturel, et si la technique est une fabrication de l’homme, ne faut-il pas reconnaître que la technique est elle-même un résultat de la nature ? On en viendrait ainsi à considérer la prétendue dénaturation technique, la destruction possible de la nature par la technique, comme une œuvre de la nature elle-même, ce qui nous conduirait à admettre soit qu’à travers l’homme, la nature a engagé sa propre destruction, soit qu’aux problèmes techniques finira par apparaître une solution technique.

Mais on voit bien l’impasse de ce mode de pensée, qui est pris par la technique en prétendant que « ce qui doit arriver arrivera », et conduit l’homme à oublier qu’il est lui-même responsable du progrès technique. Mais dés lors, comment comprendre cette attaque de la nature par la technique ? La technique doit-elle être conçue comme une force naturelle autonome impossible à maîtriser, ou au contraire, est-elle soumise au contrôle de l’homme d’une manière qui implique qu’une restriction soit imposée à son progrès ? C’est la question que se pose Bergson dans cet extrait de Les deux sources de la morale et de la religion, et nous entendons montrer qu’il affirme que la technique est bel et bien naturelle, mais que ce n’est pas une raison pour la penser essentiellement soustraite aux forces de l’homme car, et c’est la le cœur de sa thèse, si la technique a pu devenir contre-nature, c’est à cause d’un accident historique nous ayant conduit à en perdre le contrôle. Trois temps nous permettront de suivre son argumentation.

En premier lieu, Bergson souligne que la technique ne peut être opposée à la nature comme on oppose le naturel et l’artificiel, puisqu’elle est faite par l’homme et que l’homme est naturellement homo faber.

(l.

1à 4) Dans un second temps, il constate une rupture dans l’évolution de la technique, rupture qui a conduit à une dénaturation de la technique, dont le tournant a une cause accidentelle (l.4 à 9). Enfin, Bergson, soulignant que cette rupture est une rupture au sein même de l’identité de l’humanité, envisage la source possible d’un renversement de la situation dénaturée de la technique contemporaine.

[Fin de l'introduction] La première phrase du texte est une identification des nos organes à nos instruments. L’étymologie grecque du terme organe, organon, signifie d’ailleurs instrument, outil, moyen pour une fin.

Nous qualifions généralement la technique d’artificielle, ce qui revient à la penser en opposition à la nature.

Alors que la nature est ce qui se fait sans l’homme, la technique est faite par lui.

En soulignant que les objets techniques sont des « organes artificiels », Bergson rassemble ce que nous séparons habituellement, ou plutôt, il souligne la confusion de l’idée selon laquelle ce qui est artificiel serait contre-nature.

Dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau mettait en scène un combat entre l’homme civil et l’homme sauvage, afin de souligner que si la technique permet un accroissement des forces de l’homme, elle le met néanmoins à distance d’avec lui-même de sorte qu’elle constitue toujours une perte d’autonomie.

Seul l’homme naturel, resté originaire, serait ainsi « toujours entier avec lui-même »selon Rousseau.

Pourtant, affirmer que la technique est en elle-même une dénaturation de l’homme n’est pas sans poser problème, puisque partout où l’homme se trouve, il porte avec lui des instruments.

Et c’est bien le propos du texte que de souligner que la technique n’est pas en rupture avec un homme naturel, mais qu’elle en est la continuité.

Continuité physique d’une part, puisque la technique implique toujours un être humain qui puisse la mettre en action.

Continuité morale de l’autre, puisque l’existence de la technique n’a de sens qu’en tant qu’elle répond aux fins que l’homme lui donne.

Pourtant, cela signifie-t-il que la différence entre le naturel et l’artificiel doit être anéantie ? La technique n’est-elle pas faite par l’homme, et de ce fait, séparée du cycle naturel de la génération ? Répondant à ces objections, Bergson souligne que l’intelligence humaine est elle-même un produit de la nature.

La différence entre l’artificiel et le naturel rend bien compte d’une différence réelle, car c’est l’homme qui est le producteur de la technique, mais cette différence n’est ni une rupture, ni une opposition, puisque l’homme est dans son essence même un être fabricateur, un homo faber, pour reprendre les termes de L’évolution créatrice.

Ainsi, puisque l’homme est homo faber, cela signifie que c’est l’évolution naturelle qui a rendu possible un certain progrès de la technique pour l’homme, de manière à ce qu’il puisse exister et survivre dans une nature à laquelle son seul corps originel ne lui suffit pas.

Cela signifie que tant que la technique était un rempart pour l’homme contre une nature qui lui est hostile, alors aucun déséquilibre dans la nature n’était pensable.

Il y a donc en ce sens, une correspondance entre l’essence technique de l’homme et son origine, puisque la nature a donné à l’homme les moyens de vivre en elle.

Pourtant, si un équilibre était la situation originelle de l’homme dans la nature, comment comprendre l’advenue d’une technique capable de mettre en péril l’équilibre naturel ? S’il y a eu une harmonie préétablie entre la technique et la nature, comment a-t-elle été rompue ? Un « mais » (l.4) marque le tournant argumentatif du texte.

Bergson n’écrit plus alors à propos des outils, mais des machines, fonctionnant au pétrole, au charbon et à l’énergie hydraulique. Ainsi, il situe historiquement la rupture dans l’équilibre entre la technique et la nature à l’époque de l’industrialisation.

L’ère industrielle, dont nous sommes les descendants, est en effet une transformation historique de l’homme.

Avec la mécanisation du travail et la puissance industrielle, la technique est devenue technologie.

Les rêves ancestraux de l’homme, se libérer du travail, et pouvoir jouir des biens de la terre sans avoir à les lui arracher à la sueur de son front, sont devenus à portée de la main.

Sur le plan matériel, il y a donc effectivement une transformation radicale, qui prend maintenant le nom de mondialisation pour désigner que l’homme n’a plus à se protéger d’une nature hostile, car la nature entière est devenue sa demeure.

La terre n’est plus ce dont il faut se protéger, mais une ressource à portée de main.

Mais en même temps que ce progrès matériel, Bergson souligne qu’il y a un caractère disproportionné du progrès technique.

Si les barrières anciennes étaient le fait d’un « plan de structure », comment comprendre que ce plan ait été brisé, que l’harmonie entre la technique et la nature ait pu se briser ? Il faut, pour le comprendre, remarquer que nous utilisons le terme nature de manière ambiguë.

Nous avons vu qu’en un sens est naturel ce qui est contraire à l’artificiel, c’est-à-dire, ce qui n’a pas encore été transformé par l’homme.

La nature, c’est alors ce dont toutes les choses viennent, l’originel.

Mais en ce sens, la distinction de l’homme et de la nature semble arbitraire, puisque l’homme lui-même est un être naturel, de sorte qu’opposer la techné à la nature, c’est en oublier l’origine réelle.

Mais en un autre sens, on parle de la nature de quelque chose, comme du bois, pour désigner ce que cette chose est, son essence : la nature du bois est le matériau qui provient des arbres secs.

De même, la nature de la technique est l’outillage de l’humanité, cet organe artificiel qui permet à l’homme de prolonger ses forces.

On voit encore comment cette analyse du concept de nature dissout l’opposition entre le naturel et l’artificiel, puisque la nature d’une chose ne lui est conférée que par son origine.

C’est parce que le bois vient de l’arbre que je peux en distinguer la nature, et c’est parce que la technique vient de l’homme que je peux la définir.

La nature c’est donc le processus par lequel toutes les choses sont engendrées et acquièrent ainsi leur identité, leur essence.

Ce qui est naturel, c’est donc ce qui est nécessaire : il était nécessaire que la technique advienne du fait que l’homme est essentiellement homo faber.

Pourtant, la technique semble être ce qui s’est arraché de ce processus d’engendrement.

Elle devient disproportionnée, et ainsi, se retourne contre le processus d’engendrement lui-même.

L’industrialisation est donc le résultat d’un imprévu du processus d’engendrement.

Si.... »

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