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Bergson: l'intelligence est modélée sur la matière

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C'est un fait digne de remarque que l'extraordinaire disproportion des conséquences d'une invention à l'invention elle-même. Nous disions que l'intelligence est modelée sur la matière et qu'elle vise d'abord à la fabrication. Mais fabrique-t-elle pour fabriquer, ou ne poursuivrait-elle pas, involontairement et même inconsciemment, tout autre chose ? Fabriquer consiste à informer la matière, à l'assouplir et à la plier, à la convertir en instrument afin de s'en rendre maître. C'est cette maîtrise qui profite à l'humanité, bien plus encore que le résultat matériel de l'invention même. Si nous retirons un avantage immédiat de l'objet fabriqué, comme pourrait le faire un animal intelligent, si même cet avantage est tout ce que l'inventeur recherchait, il est peu de choses en comparaison des idées nouvelles, des sentiments nouveaux que l'invention peut faire surgir de tous côtés, comme si elle avait pour effet essentiel de nous hausser au-dessus de nous-mêmes et, par là, d'élargir notre horizon. Entre l'effet et la cause la disproportion, ici, est si grande qu'il est difficile de tenir la cause pour productrice de son effet. Elle le déclenche, en lui assignant, il est vrai, sa direction. Tout se passe enfin comme si la mainmise de l'intelligence sur la matière avait pour principal objet de laisser passer quelque chose que la matière arrête. Bergson

« "C'est un fait digne de remarque que l'extraordinaire disproportion des conséquences d'une invention à l'invention ellemême.

Nous disions que l'intelligence est modelée sur la matière et qu'elle vise d'abord à la fabrication.

Mais fabrique-t-elle pour fabriquer, ou ne poursuivrait-elle pas, involontairement et même inconsciemment, tout autre chose ? Fabriquer consiste à informer la matière, à l'assouplir et à la plier, à la convertir en instrument afin de s'en rendre maître.

C'est cette maîtrise qui profite à l'humanité, bien plus encore que le résultat matériel de l'invention même.

Si nous retirons un avantage immédiat de l'objet fabriqué, comme pourrait le faire un animal intelligent, si même cet avantage est tout ce que l'inventeur recherchait, il est peu de choses en comparaison des idées nouvelles, des sentiments nouveaux que l'invention peut faire surgir de tous côtés, comme si elle avait pour effet essentiel de nous hausser au-dessus de nous-mêmes et, par là, d'élargir notre horizon.

Entre l'effet et la cause la disproportion, ici, est si grande qu'il est difficile de tenir la cause pour productrice de son effet.

Elle le déclenche, en lui assignant, il est vrai, sa direction.

Tout se passe enfin comme si la mainmise de l'intelligence sur la matière avait pour principal objet de laisser passer quelque chose que la matière arrête.

" BERGSON. a) Situation du texte. O n peut c lasser en séries les termes utilisés par Bergson pour valoriser les « effets » de l'invention.

D'une part, il y a ce qui regarde la « fabrication ».

Elle est produit de l'intelligence, c'est-à-dire de l'aptitude à comprendre la « matière » et à la « maîtriser ».

Science et technique la tournent à « l'avantage de l'homme ».

D'autre part, il y a « l'invention ».

Elle provoque des « idées nouvelles, sentiments nouveaux ».

Elle « hausse » l'humanité.

Surtout, elle n'est pas réduite à du rationnel.

Par s e s cons équences, elle intègre « l'involontaire et l'inc onscient ».

Enfin, Bergson oppose la c a u s e qui « déclenche », ponctuelle, aux effets, virtuels et multiples.

Les verbes sont d'un registre du mouvement en éclatement (viser surgir hausser -- déclenc her). b) Mouvement du texte. • 1er moment (- « [...] invention même ») : l'opposition intelligence et involontaire.

L'intelligence est rationnelle, c'est-à-dire proche du réel, du présent.

Elle est utile, pragmatique puisqu'elle vise l'application c'est-à-dire l'objet fabriqué.

O r la technique relève du mort, de l'obstacle à la vie (la matière arrête). Bergson ne la condamne pas .

M ais elle cache l'essentiel, même si elle est l'originalité de l'homme.

Elle ne peut retenir ce qui est vie, c'est-à-dire virtualité d'intuition, involontaire dans les effets de l'action, mélange de cons cient et d'inconscient.

Derrière le pouvoir de l'intelligence, se cache l'élan de l'évolution de la vie. • 2e moment (de « Si nous retirons un avantage immédiat [...] » jusqu'à la fin) : évolution et liberté.

En rester à l'intelligence, c ' e s t s e c lore dans le déterminisme de la cause et de l'effet.

O r la vie « élargit notre horizon », « hausse » ce que nous sommes aujourd'hui pour déclencher le futur.

La liberté est à la fois dans l'acte de fabrication guidé par l'intelligence (lui ass ignant sa direction) mais elle est choix également dans la mesure où il y a pluralité de changement (nouvelles, nouveaux, de tous côtés ). c) Conclusion. La marge de responsabilité de l'homme qui réclame de sa part « un supplément d'âme » (chap.

IV des Deux sources de la morale et de la religion) est dans la sélection des effets pour hausser l'humanité. BERGSON (Henri-Louis).

Né et mort à P aris ( 1 8 5 9 - 1 9 4 1 ) . Il fit ses études au lycée C ondorcet et à l'École normale supérieure.

Il fut reçu à l'agrégation de philosophie en 1881.

Il fut professeur de philosophie aux lycées d'A ngers et de C lermont-Ferrand.

Docteur ès lettres en 1881, il ens eigna successivement, à P aris, au collège Rollin, puis au lycée Henri IV , et, à partir de 1898, à l'École normale.

T itulaire, en 1900, de la chaire de philosophie grecque au C ollège de France, puis de celle de philosophie moderne, il entra à l'A cadémie des Sciences morales et politiques en 1 9 0 1 , à l ' A cadémie française en 1914, et reçut le P rix Nobel de littérature e n 1 9 2 7 .

— La méthode philosophique de Bergson est l'intuition :« Nous appelons intuition la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable.

» Les données immédiates de la conscience doivent être saisies dans leur vraie nature et non à travers des notions que nous emprunterions à la connaiss ance de l'espace.

L'intuition pose les problèmes en termes de durée.

« Les questions relatives au sujet et à l'objet, à leur distinction et à leur union, doivent se poser en fonction du temps plutôt que de l'espace.» — Bergson distingue le temps véritable et psychologique du temps mathématique, qui est sa traduction en espace.

L'être est altération et l'altération est substance.

La durée, c'est « la forme que prend la succession de nos états de conscience quand le moi se laisse vivre.» Entre les choses, il n'est que des différences de degré.

C 'est seulement entre deux tendances qui traversent une chose, qu'il y a différence de nature.

La matière est ce qui ne change plus de nature ; mais elle est aussi durée.

Elle est le plus bas degré de la durée, elle est un « passé infiniment dilaté ».

C ar la durée est une mémoire, elle prolonge le passé dans le présent.

Le pas sé survit en soi ; il coexiste avec soi comme présent.

Le présent est le degré le plus c ontracté du passé.

Le passé et le présent sont contemporains l'un de l'autre. L'élan vital est la durée en tant que différence de soi avec soi, en tant qu'elle s'actualise, en tant qu'elle passe à l'acte.

La durée vraie est une création continue.

La vie, de même que la cons cience, est durée, mobilité, création c ontinue, liberté.

— Bergson distingue deux sortes de mémoire : « Le passé se survit sous deux formes distinctes : 1) Dans des mécanis mes moteurs ; 2) D ans des souvenirs indépendants...

En poussant jusqu'au bout cette distinction fondamentale, on pourrait se représenter deux mémoires théoriquement indépendantes.» Il parle de mémoire-souvenir et de mémoire-contraction.

« T oute conscience est mémoire — c onservation et accumulation du passé dans le présent.

» C 'est en ce sens que le présent est le degré le plus contracté du passé.

O n peut rattacher à cette théorie la phrase célèbre du philosophe :« C omprendre, c'est savoir refaire.» — Bergson applique le principe de l'élan vital à la morale et à la religion.

« Les grands entraîneurs de l'humanité semblent bien s'être replacés dans la direction de l'élan vital.

» Il distingue la morale close que la société impose aux individus, et la morale ouverte, qui est celle du héros.

Il dis tingue la forme statique de la religion, représentée par les dogmes et les rites , et sa forme dynamique représentée par ceux qui ont retrouvé l'élan créateur distinctif de la vie, c'est-à-dire par les s aints et les mystiques , Saint François d'A ssise ou Pascal. Oeuvres principales : Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Q uid A ristoteles de loco senserit (1889), Matière et mémoire, essai sur la relation du corps à l'esprit (1897), Le Rire, essai sur la signification du comique (1900), L'Evolution créatrice (1907), L'Energie spirituelle (1919), Durée et simultanéité (1922), Les deux sources de la morale et de la religion (1932), La pensée et le mouvant (1934).. »

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