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BERGSON: INTELLIGENCE, CONSCIENCE

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Comment n'être pas frappé du fait que l'homme est capable d'apprendre n'importe quel exercice, de fabriquer n'importe quel objet, enfin d'acquérir n'importe quelle habitude motrice, alors que la faculté de combiner des mouvements nouveaux est strictement limitée chez l'animal le mieux doué, même chez le singe ? La caractéristique cérébrale de l'homme est là. Le cerveau humain est fait, comme tout cerveau, pour monter des mécanismes moteurs et pour nous laisser choisir parmi eux, à un instant quelconque, celui que nous mettrons en mouvement par un jeu de déclic. Mais il diffère des autres cerveaux en ce que le nombre des mécanismes qu'il peut monter, et par conséquent le nombre des déclics entre lesquels il donne le choix, est indéfini. Or, du limité à l'illimité il y a toute la distance du fermé à l'ouvert. Ce n'est pas une différence de degré, mais de nature. Radicale aussi, par conséquent, est la différence entre la conscience de l'animal, même le plus intelligent, et la conscience humaine. Car la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l'être vivant dispose ; elle est coextensive à la frange d'action possible qui entoure l'action réelle : conscience est synonyme d'invention et de liberté. Or, chez l'animal, l'invention n'est jamais qu'une variation sur le thème de la routine. Enfermé dans les habitudes de l'espèce, il arrive sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n'échappe à l'automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau : les portes de sa prison se referment aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne il ne réussit qu'à l'allonger. Avec l'homme, la conscience brise la chaîne. Chez l'homme, et chez l'homme seulement, elle se libère.BERGSON

« C omment n'être pas frappé du fait que l'homme est capable d'apprendre n'importe quel exercice, de fabriquer n'importe quel objet, enfin d'acquérir n'importe quelle habitude motrice, alors que la faculté de combiner des mouvements nouveaux est stric tement limitée chez l'animal le mieux doué, même chez le singe ? La caractéristique cérébrale de l'homme est là.

Le cerveau humain es t fait, comme tout cerveau, pour monter des mécanismes moteurs et pour nous laisser choisir parmi eux, à un instant quelconque, celui que nous mettrons en mouvement par un jeu de déclic.

M ais il diffère des autres cerveaux en ce que le nombre des mécanismes qu'il peut monter, et par conséquent le nombre des déclics entre lesquels il donne le choix, est indéfini.

O r, du limité à l'illimité il y a toute la distance du fermé à l'ouvert.

C e n'es t pas une différence de degré, mais de nature. Radicale aussi, par conséquent, est la différence entre la consc ience de l'animal, même le plus intelligent, et la conscience humaine.

C ar la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l'être vivant dispose ; elle est coextensive à la frange d'action possible qui entoure l'action réelle : conscience est synonyme d'invention et de liberté.

Or, chez l'animal, l'invention n'est jamais qu'une variation sur le thème de la routine.

Enfermé dans les habitudes de l'espèce, il arrive sans doute à les élargir par son initiative individuelle ; mais il n'échappe à l'automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau : les portes de sa pris on se referment aussitôt ouvertes ; en tirant sur sa chaîne il ne réussit qu'à l'allonger. A vec l'homme, la conscience brise la c haîne.

C hez l'homme, et chez l'homme seulement, elle se libère. BERGSO N Le thème de la différence anthropologique est récurrent tout au long de L'Evolution créatrice, il se cris tallise dans cet extrait sur le statut du cerveau et de la conscience chez l'homme et chez l'animal.

A partir d'observations empiriques concernant les comportements humains et animaux Bergson pose une inégalité quant aux dispositions cérébrales de chacun : le cerveau humain es t caractérisé par une plus grande plasticité.

L'auteur en infère une différence de nature entre hommes et animaux, attestable aus si au niveau de la c onscience qui chez l'homme correspond à un état de liberté Le texte s'ouvre sur un constat : l'impres sion frappante d'une inégalité quant aux capacités d'action de l'homme et de l'animal.

T andis que la faculté d'invention, à entendre comme pouvoir d'improvisation face à une situation inédite, se révèle limitée chez le singe, elle correspond à une dimension manifeste du potentiel humain.

Du point de vue de l'agir l'homme s e caractérise par la variabilité de ses attitudes, de ses réponses, il n'y a pas pour lui de solution préexistante et imposée : «…l'homme est capable d'apprendre n'importe quel exercice, de fabriquer n'importe quel objet, enfin d'acquérir n'importe quelle habitude motrice… ».

L'homme se distingue de l'animal par cette plasticité qui qualifie s a c a p a c i t é d'apprendre, de fabriquer ou d'acquérir une habitude.

C 'est une autre faç on de dire que l'homme est à la fois homo sapiens et homo faber. Le point capital est que l'auteur relie cet écart de c apacité entre hommes et animaux à une différence quant à la nature même de leur type de cerveau respectif.

D'un cons tat empirique Bergson passe à une hypothèse s ur la phys iologie c érébrale de l'homme et de l'animal.

Le cerveau est un objet fétiche de la pensée bergsonienne, il en fait un outil de connaissance et d'action et non l'origine de la pens ée (cf Matière et mémoire), c'est un organe modulateur.

Ici le cerveau est défini par sa fonction : « Le cerveau humain est fait, c omme tout cerveau, pour monter des mécanismes moteurs et pour nous laisser choisir parmi eux, à un ins tant quelc onque, celui que nous mettrons en mouvement par un jeu de déclic.

».

A utrement dit le cerveau est un champ où s'inscrit la pluralité des réactions possibles pour une situation x, il y a à la fois mécanisme et une certaine marge de liberté puisque parmi divers montage c 'est encore nous qui choisissons lequel utiliser ; cette opération, c'est important, est commune à l'homme et à l'animal.

En effet, quoique ses capacités soient en défaut par rapport à celles de l'homme, quant au point de vue de la variation, il n'en reste pas moins que Bergson ne fait pas de l'animal une s imple machine, sur le modèle cartésien. La divergence entre hommes et animaux concerne plutôt le nombre des montages possibles au sein du cerveau : « le nombre des mécanismes qu'il peut monter, et par conséquent le nombre des déclics entre lesquels il donne le choix, est indéfini.

».

O r cette pluralité, Bergson l'interprète au sens fort : l'écart n'est pas quantitatif mais qualitatif, la différence de nombre prend une valeur qui excède le plan de la quantité : « O r, du limité à l'illimité il y a toute la distance du fermé à l'ouvert.

C e n'est pas une différence de degré mais de nature ».

O n voit le chemin emprunté par Bergson pour en arriver à cette thèse d'une différence de nature, il propose en effet de lire la différence numérique non pas de façon linéaire (passage du limité à l'illimité) mais en la comprenant comme saut, du fermé pour l'animal à l'ouvert chez l'homme.

Il n' y a pas de passage à la limite entre les deux « genres », mais pour autant il faut se garder de comprendre cet écart de nature par opposition à l'attitude réaliste des divers types d'évolutionnisme omniprésent dans la vie intellectuelle de l'époque. Q uoique qu'avec L'Evolution créatrice Bergson propose une alternative aux apories des doctrines de l'évolution, il ne s'en situe pas moins de leur côté, c'està-dire contre toute attitude créationnis te (cf le premier chapitre du livre). La seconde partie du texte s'atèle au problème de la conscience dans le cadre de la différence anthropologique, autrement dit, Bergson tente de répondre à la question « qu'est-ce qui caractérise en propre la conscience humaine ? ».

S'il s 'autorise à passer au plan de la cons cience, c'est que sa conception même de la conscience le justifie : « C ar la conscienc e correspond exac tement à la puissance de choix dont l'être vivant dispos e ; elle est coextensive à la frange d'action possible qui entoure l'ac tion réelle : conscience est synonyme d'invention et de liberté.

».

La conscience est caractérisé comme « puissance de choix », c'est-à-dire qu'avoir conscience c'est pouvoir choisir, ailleurs dans son livre Bergs on exprime la même idée en posant que la conscience naît dans l'hés itation.

Il y a là un renversement philosophique : ce n'est pas parce que nous sommes doués de conscience que nous avons le choix, mais c'est d'abord parce qu'un c hoix se pose à nous que nous sommes des êtres conscients.

La c onscience c'est littéralement le fait de ne pas être rivé à l'automatisme, sans la bordure du possible la c o n s c i e n c e du réel est appauvrie, elle n'est vecteur que de réactions et non de choix véritables, animalité et non enc ore humanité. Dans un ultime moment Bergson qualifie la différence anthropologique du point de vue de la liberté, la conscience humaine est le corrélat d'une liberté certaine : celle de pouvoir choisir, de ne pas être enfermé dans une logique de réaction immuable : « A vec l'homme, la consc ience brise la chaîne. C hez l'homme, et c hez l'homme seulement, elle se libère.

».La marge des possibilités offertes à l'homme correspond à une libération et à l'ouverture sur le monde proprement humain, notamment sur l'art, qui nécessite une posture désintéressée quant aux exigences de l'adaptation (collectionner selon des critères esthétiques serait le premier acte libre de l'humanité ?). L'animal, lui, n'est pas libre, sa relation au monde est sans distance : « Or, chez l'animal, l'invention n'est jamais qu'une variation sur le thème de la routine.

Enfermé dans les habitudes de l'espèce, il arrive sans doute à les élargir par s on initiative individuelle ; mais il n'échappe à l'automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatis me nouveau : les portes de sa prison se referment aussitôt ouvertes ; en tirant sur s a chaîne il ne réus sit qu'à l'allonger.

».

Bergson ne réduit pas l'animal à un pur mécanisme mais sa marge d'invention est trop faible pour correspondre à une liberté réelle.

L'agir animal es t encadré par des impératifs qui le dépassent, il ne peut s'affranchir de sa condition.

Il n'y a pas de progrès possibles pour l'animal, au sens où il sortirait de la sphère des instincts pour pénétrer celle de l'intelligence, (et les singes les plus intelligents dont parle ici Bergs on sont encore des êtres avant tout instinctifs) seulement des améliorations de circonstance.

L'animal est incapable de se libérer suffisamment des exigenc es de son milieu, c ertainement parce qu'il y est fondamentalement adapté, tandis que l'homme s'affranchit du monde naturel pour créer le sien, s a conscience le libère des impératifs de l'adaptation pour le projeter dans la sphère de la créativité. La relation de l'homme au monde n'obéit pas à la même temporalité que pour l'animal, en effet, avoir le choix implique une certaine distanciation, et c'est d'ailleurs dans cet intervalle qu'émerge l'intelligence, corrélat implicite de la libération anthropologique. Nous pouvons nous étonner devant la radicalité de la démarche bergsonienne, en effet, il affirme l'idée d'une conscience humaine libre en raison de la pluralité de ses attitudes possibles dans le monde.

Il est certes c onséquent de relier la potentialité à la liberté, la liberté naissant dans le « peut-être », mais cette potentialité, Bergson la trouve dans la physiologie cérébrale dont il infère la nature à partir d'un constat empirique.

C e qui est saisissant c'est qu'il semble fonder la différence de nature entre homme et animal, qui s'éprouve a maxima en ce que l'homme se libère des chaînes de l'automatisme, à partir d'une différence physique, en réalité hypothétique, selon laquelle les structures cérébrales de l'homme diffèrent de celles animales.. »

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