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Avons-nous le droit de nous venger ?

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« Quelles sont les caractéristiques de la vengeance ? Qu'est-ce qui la distingue de la légitime défense, qui est toujours immédiate et proportionnée ? Dans le désir de vengeance nous ressentons une sorte de légitimité à "se faire justice soi-même".

Mais cette pseudo-légitimité peut-elle constituer un droit ? Ne doit-on pas distinguer justice et vengeance ? Si l'on admet un droit à la vengeance, comment constituer le droit de la vengeance, comment envisager une législation, une jurisprudence de la vengeance ? Cela semble absurde, car dans ce cas la justice reconnaîtrait à de simples particuliers d'être à la fois partie, juge d'instruction, juge et exécuteur de la sanction.

En particulier, elle reconnaîtrait à chacun le droit de déterminer la nature et la gravité de l'offense qui lui a été faite. Bien sûr, selon la loi même, nul n'est censé ignorer la loi ; mais même la connaissance de la loi par tous (si elle existait) ne justifierait pas chacun dans sa vengeance.

On voit qu'un droit de la vengeance est absurde, donc on se demande comment le droit à la vengeance, impossible à transcrire en droit positif, serait autre chose qu'un désir de vengeance usurpant l'idée de droit.

Si la justice remplace la vengeance, pourquoi les gens ayant purgé leur peine sont-ils encore l'objet de discriminations de la part de la société (vengeance collective) et de haine de la part de leurs victimes (désir de vengeance demeure) ? Alors qu'au terme d'une vengeance bien menée, on est "quitte".

On constate que l'exercice de droit positif permet en partie de supprimer le système de la vengeance, mais qu'il n'étouffe pas le désir de vengeance lui-même.

Faut-il en appeler à une morale du pardon ? Ou bien peut-on accepter un droit au désir de vengeance (quand les familles des victimes de Pinochet réclament justice, n'ont-elles pas un juste désir de venger leurs morts) ? Si nous n'avons pas le droit de nous venger, ni (quand nous sommes de simples particuliers) de venger les autres, peut-on compter sur la justice pour venger le citoyen lésé (passage important de la forme pronominale à la forme transitive) ? Il est sous-jacent dans la question que la justice n'est pas la vengeance.

Mais il doit y avoir une connexité entre les deux pour que l'une, la justice, puisse devenir l'autre, la vengeance.

Il faut comprendre que la justice se distingue spécifiquement de la vengeance, mais qu'elle menace de se transmuer en vengeance.

Or comment cela est-il possible si, par définition, la justice s'inscrit dans le cadre de la loi, là où la vengeance est hors la loi? Le rapprochement entre justice et vengeance est suggéré par la façon dont elles se manifestent.

En elles deux, s'affirme l'acte commun du châtiment.

Celui-ci peut être de même nature, qu'il soit infligé par la justice, ou perpétré par vengeance.

Peine capitale, meurtre de l'autre, dira-t-on par exemple ! Mais, dans les deux cas, on avancera qu'il s'agit de châtier un coupable.

Justice pénale, ou justice privée, on répond à un crime par une peine. Un acte de justice, comme application d'une sanction pénale, ne diffère donc pas en apparence d'un acte de vengeance.

La phénoménalité de l'acte confond justice et vengeance dans le creuset du châtiment.

De là, on peut croire naïvement que se venger, c'est faire respecter la justice. Il faut donc oublier momentanément la question de la peine, qui obscurcit les esprits, et réfléchir à celle de la légitimité.

Qu'est-ce qui fait alors que la même action passe pour la marque de la meilleure justice ou, au contraire, pour un crime épouvantable? Il n'y a pas de risque que la vengeance devienne justice (mais cela n'a pas de sens non plus), car il n'y aurait là aucun danger.

Mais que la vengeance se fasse passer pour la justice, voilà le vrai péril.

Nous reconnaissons qu'un malheureux qui se fait justice, en décidant arbitrairement du sort de sa victime, n'exerce en fait aucune justice, mais accomplit un acte de vengeance.

De la vengeance on ne saurait remonter à la justice.

Au contraire, si parcourant le chemin en sens inverse, on examine la justice d'État, en quoi sommes-nous assurés que cette justice ne participe pas en réalité d'une forme de vengeance de la société à l'égard de qui lui aurait porté préjudice, en s'attaquant à l'un de ses membres? L'État se vengerait ainsi subtilement de dommages subis, sous couvert d'exercer une justice neutre et impartiale en toute transparence. N'y aurait-il donc pas, derrière la justice pénale institutionnelle, un esprit de vengeance collective? La question se pose avec d'autant plus d'acuité, à propos de la peine de mort, souvent interprétée comme effet d'une vengeance aveugle du corps social. 1.

La justice exclut la vengeance 1.

La vengeance, croit-on, définirait la situation de l'homme, antérieurement à son entrée en société.

Mais aussi bien, dans l'état de nature, l'homme ne connaît pas le désir de vengeance, car il lui manque ce qui en est la condition essentielle, l'amour propre.

Conformément à la terminologie de Rousseau, il ne faut pas confondre l'amour de soi «qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation», et l'amour propre «qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi, que de tout autre» (Discours sur l'origine de l'inégalité). L'amour propre se nourrit de la comparaison que les hommes opèrent entre eux.

Chacun en se préférant aux autres cherche à être préféré à ces autres.

De là, naît le besoin d'être reconnu, et la possibilité de l'offense, qui fonde le désir de vengeance.

Il ne suffit pas en effet, pour vouloir se venger, d'avoir subi un préjudice.

Il faut encore avoir le sentiment d'être visé dans sa personne propre. Rousseau conçoit que l'homme naturel, livré au seul sentiment de l'amour de soi, ne se sentira pas offensé de la peine éventuelle qu'on lui infligera.

Vol ou violence, et celle-ci peut atteindre des degrés extrêmes, ils ne laisseront aucune trace, car «l'orgueil ne se mêle pas du combat ».

Il y aura un échange de coups, et celui qui en sortira vaincu ne souffrira que du mal qu'on lui a fait.

Il sera d'ailleurs aussi vite oublié, que le mal pourra être réparé aisément, en poursuivant par exemple une autre proie, en remplacement de celle qui aura été volée.

Il n'y a dans tout cela aucun mal moral. La vengeance se nourrit du souvenir.

Or l'homme naturel vit dans l'immédiateté de l'amour de soi.

La vengeance se prépare et se rumine.

Elle peut être d'autant plus impitoyable qu'elle se donne le temps de la réflexion.

Il n'y a rien en elle de nécessairement aveugle.

La réponse instinctive et spontanée de la violence à la violence n'emprunte rien à la vengeance qui est plutôt calculatrice.. »

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