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AVONS-NOUS LE DEVOIR D’AIMER ?

Publié le 17/09/2023

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« 1 AVONS-NOUS LE DEVOIR D’AIMER ? I – Analyse problématisante 1-la question est paradoxale, voire saugrenue si nous entendons d’abord par aimer le fait de ressentir une attirance et une affection envers un autre, si nous définissons l’amour comme la relation d’attachement entre deux êtres humains – définition qui intègre alors l’amour comme Eros, comme Philia, et dans la Philia, l’amour comme Physikè (ou amour filial, des parents envers leurs enfants ou des enfants envers leurs parents). D’abord parce que cette dimension essentiellement charnelle et affective de l’amour ne se commande pas : elle est l’affaire du cœur et non de la raison.

A ce titre, l’amour peut relever soit de la contingence, du hasard de la rencontre, de l’affinité élective secrète ; soit, au contraire, de la nécessité biologique et naturelle qui commande mais qui n’a pas besoin du devoir car la nature suffit à imposer ses lois… Mais, plus encore, d’un côté, le devoir en tant qu’obligation instituée par l’homme dénaturerait l’amour, détruirait l’essence même de l’amour, mettant à mal sa spontanéité, sa sincérité, le rendant faux et forcé. D’un autre côté, l’amour ne pourrait avoir une dimension morale, étant profondément immoral dans certains de ses aspects (narcissisme, recherche égoïste et démesuré du plaisir, violence de la possession charnelle et de la passion) et, à tout le moins amoral (dans le fait même du choix électif parfaitement injuste puisqu’excluant des objets ou des êtres possiblement plus méritants, ou bien encore dans l’évidence de la non-réciprocité et de l’inégalité du don…). 2-Pourtant, les faits culturels et l’histoire des sociétés humaines nous obligent à reconnaître l’existence du devoir d’aimer. Nombre de philosophes analysent la constitution des sociétés humaines comme une construction de la concorde et de la paix : Platon et le mythe du Protagoras qui fait de la politique une invention des hommes en vue de trouver une solution aux conflits qui ont été engendrés par l’invention des sociétés ; Aristote et son analyse de l’amitié comme vertu politique par excellence ; Rousseau et sa description, dans le Second Discours, de la naissance de l’amour se substituant à l’instinct sexuel brutal dans les premiers regroupements humains de l’état barbare ; Freud dans Le Malaise dans la culture expliquant que toute société humaine se serait fondée sur des interdits premiers et religieux pour obtenir des hommes le nécessaire renoncement pulsionnel ; thèse assez identique d’ailleurs développée par Nietzsche dans la 2ème dissertation de la Généalogie de la Morale – les deux maîtres du soupçon ajoutant que ce renoncement n’a jamais vraiment eu lieu mais s’est transformé en refoulement névrotique pour le premier et en ressentiment et réactivité haineuse pour le second. La plus belle construction du devoir social d’aimer serait sans aucun doute celle du christianisme dont le message est tout entier un message d’amour. 3-Faut-il donc souscrire à ces analyses et reconnaître avec ces auteurs et cette tradition évangélique un devoir d’aimer ? 2 a-Force est d’abord de constater que la morale sociale ne prône pas toujours l’amour et que, quand elle le prône, elle le fait au nom d’un principe d’utilité dont la valeur morale peut être contestée.

Car s’il faut aimer parce que c’est utile, d’abord à qui cela est-il utile ? De plus, aimer, est-ce toujours utile ? Dans une société libérale et capitaliste, dans un Etat autoritaire, dans un état de guerre, l’amour est-il utile ou ne devient-il pas une gêne ? Mandeville dans sa Fable des abeilles, Machiavel dans Le Prince ne considèrent-ils pas l’amour comme un vice politique et social ? Force est aussi de constater que l’application de ce devoir social d’amour peut avoir des conséquences qui sont bien loin de celles de l’amour du prochain… L’amour de la patrie ne conduit-il pas à aller se battre et à tuer des ennemis ? L’amour pour Dieu n’a-t-il pas conduit aux pires atrocités et crimes de l’histoire ? b-Pour sortir de l’impasse où nous sommes entre la thèse qui refuse de soumettre l’amour au devoir et qui en légitime tous les excès, confondant la liberté et la licence, et celle qui, à l’inverse, fait de l’amour un devoir social contraignant et ambigu, il faut reprendre plus justement et plus précisément l’analyse du concept de devoir. 4-On se rappellera alors que le grand philosophe du devoir est Kant et que, dans Les Fondements de la Métaphysique des mœurs, 1-il définit le devoir comme une obligation faite à la conscience morale de chacun, distinguant la vraie morale de la morale sociale 2-il oppose le fait d’agir par devoir du fait d’agir par sentiment ou par intérêt 3-il distingue le fait d’agir seulement conformément au devoir (selon une conformité extérieure) et le fait d’agir par devoir (conformité intérieure) parce que c’est un devoir d’agir ainsi.

4-Ainsi, le vrai devoir est le respect de la loi morale en tant qu’elle est universelle.

« Agis d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir qu’elle devienne une loi universelle de l’action ». 5-Appliqué au devoir d’aimer, qu’est-ce que cela implique ? a-que le devoir d’aimer ne peut être reconnu que par la conscience de chacun. b-qu’il ne peut pas s’appuyer sur un amour sentimental ou intéressé car ces caractères n’ont pas de valeur morale, qu’il doit poser l’amour comme strict devoir : je dois vouloir le bien des autres que cela soit ou non dans mon intérêt, que j’éprouve ou non de l’attachement pour ces hommes, que j’en retire ou non de la satisfaction.

Ainsi, même le pire des misanthropes doit pouvoir obéir au devoir d’aimer… c-que le devoir d’aimer fait de l’amour une action morale, et non un état passif.

Aimer relève alors d’un certain volontarisme, un effort pour aider les autres et les aider à être plus heureux. d-que ce devoir est universel et universalisable, s’adressant à tout homme quel qu’il soit. 6-C’est donc parce que le sentiment spontané et naturel de l’amour comme Eros et comme Philia (et notamment storgê grecque ou physikè aristotélicienne) est exclusif qu’il faut aussi faire de l’amour un devoir moral ; c’est parce que l’amour affectif peut devenir démesuré et immoral qu’il faut aussi faire de l’amour un devoir moral. Kant présentera ces devoirs d’aimer les autres hommes dans le livre 2 de sa Métaphysique des mœurs consacré aux devoirs envers les autres hommes et notamment dans la première section du chapitre 2 consacrée au devoir d’aimer.

CF.

Cours. 3 Ajoutons qu’il y ajoutera un autre argument justifiant la nécessité d’un devoir d’aimer : à savoir le fait que le respect d’autrui, second devoir que nous avons vis-à-vis des autres hommes ne suffit pas, que l’amour donc vient combler les failles du droit, de la justice et des droits accordés à chaque homme. 6-Ainsi donc ma conscience morale se doit de reconnaître un devoir d’aimer.

Mais de quelle nature est-il ? Quelle forme d’amour consacre-t-il ? Comment ce devoir résout-il le problème du sentiment et celui du destinataire de l’amour.

Car puis-je aimer une abstraction et faire de mon amour un simple commandement de ma raison ? Là encore, on trouve des solutions à cette difficulté dans le texte de Kant ainsi que dans le chapitre 6 du tome II du Traité des vertus de Jankélévitch. II – Progression (1-Aimer ne peut ni ne doit relever du devoir) (a- le sentiment amoureux ne relève pas de l’obligation) (α- 1ère définition de l’amour et 1ère définition du devoir) Si l’on définit le devoir comme une obligation que la volonté pourrait réaliser en soumettant les désirs, alors parler d’un devoir d’aimer ressemble fort à un oxymore cachant un véritable non-sens.

Car si aimer relève d’un sentiment d’affection et d’attirance pour quelque chose ou pour quelqu’un, rien ne semble pouvoir forcer ce sentiment.

On ne peut pas contraindre à aimer. (β- de la contingence du sentiment amoureux) L’amour ne pourrait donc pas relever d’une obligation dans la mesure même où ce sentiment s’inscrirait dans la contingence.

Dans Les métamorphoses de l’amour (2011), Nicolas Grimaldi commente l’œuvre de Georges Simenon comme une œuvre insistant sur la contingence de l’amour.

Dans ces trois romans que sont Trois chambres à Manhattan (1946), Lettre à mon juge (1947), et Le Train (1961), Simenon imagine une relation amoureuse impromptue, hasardeuse, sans connaissance préalable de l'autre et sur fond de solitude. Mais cette contingence est aussi temporelle : la fragilité d’un amour en fait aussi la beauté mais elle empêche tout engagement.

Le serment d’amour est toujours l’expression d’un égarement, d’une exaltation momentanée, d’une forme de naïveté innocente et ignorante des « méchancetés » de la vie.

Les serments d’amour semblent donc des déclarations superficielles et naïves, car on ne peut ni promettre d’aimer toujours, ni être assuré d’être aimé pour toujours – ceci pouvant provoquer cela… C’est en ce sens qu’aimer ne peut être un devoir. C’est ainsi que dans son roman Adolphe, B.

Constant rend compte de l’impossible amour entre Adolphe et Ellénore : « Ni résolution ni devoir ne peuvent ranimer un sentiment éteint » ; ou bien encore que 4 Balzac, dans Le lys dans.... »

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