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Avantages et dangers de l'abstraction

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« Position de la question.

Depuis les Sophistes de l'antiquité qui ravalaient la pensée abstraite au plan d'un pur verbalisme, jusqu'aux existentialistes contemporains qui dénoncent « les dangers des concepts » et prétendent substituer une Morale concrète aux « Morales abstraites », — en passant par les critiques des Cartésiens contre les universaux des Scolastiques, et par celles de BERGSON et des pragmatistes contre le caractère artificiel des concepts — la pensée abstraite s'est souvent trouvée en butte aux objections des philosophes. I.

Dangers de l'abstraction. De fait, il est incontestable que l'abstraction présente certains dangers. 1° Sa nature même nous l'indique.

Qu'est-ce qu'abstraire ? C'est isoler, pour les considérer à part, un ou plusieurs éléments du concret.

Le danger est donc ici de morceler, comme a dit BERGSON, le réel; et l'on comprend qu'une pensée aussi avide de « totalité » que la pensée contemporaine se soit souvent montrée hostile à l'abstraction.

— Mais cela signifie seulement que l'abstraction ne peut jamais remplacer le réel. 2° Un autre danger de l'abstraction, sur lequel a insisté également BERGSON, est de fixer sous une notion rigide — et ici le mot « aux contours bien arrêtés, le mot brutal », vient renforcer l'œuvre du concept — les aspects toujours mouvants et changeants de la réalité vivante.

— Il n'est pas certain cependant que nos concepts abstraits soient toujours formés, comme l'a prétendu BERGSON, à « l'image des solides », et la pensée scientifique nous montre comment on peut conjurer ce danger, non pas à l'aide d'illusoires « concepts fluides », mais en renouvelant nos concepts.

Les vrais concepts sont « toujours ouverts » (H.

DELACROIX). 3° Un troisième danger est que l'abstraction risque ainsi de contrefaire le réel et de lui substituer ainsi un monde artificiel et mort d'idées qui flottent à la surface de notre conscience « comme des feuilles mortes sur l'eau d'un étang » (BERGSON, Données immédiates, p.

103).

Non seulement ces idées sont celles qui « nous appartiennent le moins », mais elles ne peuvent que « symboliser certains aspects généraux et en quelque sorte impersonnels » et, par là même, elles « déforment » les propriétés qu'elles rendent « communes » en les généralisant (La pensée et le mouvant, p.

212). — Il est certain qu'il y a quelque danger pour la pensée à vivre dans un monde d'abstractions, danger d'autant plus redoutable qu'elle a toujours tendance à réaliser ces abstractions, à en faire de véritables « entités », comme il est arrivé au moyen âge avec la doctrine des qualités occultes.

Mais ce danger peut être évité si, au lieu de se contenter d'abstractions vides et creuses, on construit et l'on modifie les concepts, tels les concepts scientifiques, sous les leçons de l'expérience. II.

Avantages de l'abstraction. En revanche, l'abstraction, pourvu qu'elle soit bien Conduite, présente des avantages incontestables qui la rendent indispensable aussi bien du point de vue de la connaissance que du point de vue de Y action. A.

— DU POINT DE VUE DE LA CONNAISSANCE : 1° Il y a beaucoup d'illusion dans cette ambition d'une « connaissance totale » des doctrines qui prétendent nous ramener au concret. C'est là une des formes de cet « angélisme » qu'a dénoncé J.

MARITAIN : « Pour un pur esprit, écrit ce philosophe, il n'y aurait pas d'abstraction.

» Mais tel n'est pas le cas de l'homme : « Refuser l'abstraction, c'est refuser la condition humaine ».

L'homme ne peut rien connaître, en effet, qu'en analysant, en distinguant, en définissant, en considérant tout à tour chaque élément de la réalité afin de le concevoir, non sous la forme enveloppée et confuse du sensible, mais sous la forme claire et distincte de Y intelligible.

Comme l'a écrit le P.

André MARC, « abstraire, c'est intellectualiser les données sensibles en laissant tomber les particularités individuelles ». 2° D'où un autre avantage de l'abstraction : elle est la condition de la généralisation.

De toute évidence, il nous est impossible de connaître la totalité des êtres et des événements singuliers : cette connaissance irait à l'infini.

La science ne parvient à connaître l'univers qu'en ramenant cette infinie diversité à des types généraux, puis à des relations générales qu'on appelle des lois, enfin à ces synthèses très générales que sont les grandes théories.

L'induction qui aboutit à renonciation des lois n'est elle-même possible que par le concept, c'est-à-dire par l'analyse et l'abstraction. B.

— DU POINT DE VUE DE L'ACTION : 1e Par là même, l'abstraction est en même temps la condition de notre action, et d'abord de notre action pratique, technique sur la nature : « Sans l'abstraction, dit COMTE, nous ne pourrions jamais instituer les lois générales qui seules nous permettent des prévisions capables de guider notre intervention.

» Toute action escompte des constances, des régularités et, pour cela, elle fait nécessairement abstraction des circonstances de détail, qui ne se retrouvent jamais exactement les mêmes. 2° L'abstraction est même, au fond, la condition de toute action morale.

Les critiques qu'on a élevées de nos jours contre les « Morales abstraites » n'oublient que trois choses : a) d'abord que toute réflexion morale met nécessairement en jeu des principes abstraits : « L'examen moral, écrit D.

PARODI, ne peut se faire, comme tout travail rationnel, que par des séries d'abstractions » ; — b) qu'il n'est pas de morale sans règle; or, qui dit règle, dit nécessairement énoncé général, faisant abstraction des circonstances accidentelles; — c) que l'action morale est une action, non pas instinctive, mais volontaire : or, comme l'a dit le psychologue Ch.

BLONDEL, vouloir, c'est agir par concepts; c'est s'affranchir des contingences du présent grâce aux notions abstraites. Conclusion.

L'abstraction présente donc, en définitive, plus d'avantages que de dangers, pourvu : 1° qu'elle soit constituée à partir de l'expérience; 2° qu'on ne perde jamais de vue la distance qu'il y a entre l'abstraction et la réalité concrète.. »

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