Apprendre à être libre
Publié le 06/10/2022
Extrait du document
«
Khôlle Philo n°3 : Apprend-on à être libre ?
De prime abord, la liberté peut se définir comme la volonté de faire ce que nous voulons
indépendamment des circonstances extérieures.
De ce point de vue, elle ne peut
s’acquérir, s’apprendre, puisqu’elle est affaire de pure volonté et repose sur l’expression
du désir de chacun qui par définition ne s’enseigne pas.
Pourtant une volonté qui s’exerce sans contrainte ne se contredit-elle pas elle-même ?
L’homme qui agit par impulsion, sous l’emprise de ses passions, est-il libre de ses
agissements ? Peut-il se reconnaître dans les conséquences de son action et agir en
connaissance de cause ? En somme, est-il libre au sens de responsable ? La
responsabilité suppose le recours à la raison par laquelle l’homme pourra délibérer avant
d’agir et par conséquent se reconnaître dans le développement temporel de ce qu’il fait.
Or la raison n’est pas innée en l’homme.
Elle existe certes, mais en puissance et doit
s’exercer pour pouvoir s’actualiser.
De ce point de vue, nous pouvons dire que les lois
sociales qui sont rationnelles et universelles guident les hommes quant à l’usage qu’ils
doivent faire de leur raison afin de devenir responsables.
Pourtant les lois étant extérieures à l’homme, ne l’empêchent-elles pas de devenir
pleinement autonome, pleinement majeur ? Ne l’infantilisent-elles pas d’une certaine
façon en lui proposant une autorité extérieure ?
PB : La liberté, par nature, ne requiert-elle aucun apprentissage de la part de l'Homme, ou
bien se trouve-t-elle menacée lorsque l'humain, en tant qu'être de raison, ne procède pas
à cet apprentissage, d'autant plus lorsqu'il vit en société ?
I.
La liberté, par nature, ne requiert pas d'apprentissage
Si être libre c’est agir sans contrainte en suivant les seules impulsions de sa nature ou de
ses tendances, alors l’usage de la liberté ne requiert aucun apprentissage préalable.
La liberté est affaire de pure volonté diront certains.
Il suffit d’agir comme nous le
souhaitons, c’est-à-dire de façon spontanée, sans se conformer aux règles extérieures
qui nous briment et nous entravent pour être vraiment libres.
Telle est notamment
l’affirmation de Calliclès dans le Gorgias.
Pour lui l’acte libre consiste à satisfaire toutes
ses passions, à réaliser sa nature spontanée sans tenir compte des lois (nomos) qui sont
conventionnelles et arbitraires autrement dit inventées par les hommes.
L’homme libre est
donc celui qui a le courage de donner entière satisfaction à ses passions sans se
soumettre aux brimades de la justice et de la tempérance qui l’autocensure.
Ce que
condamne Calliclès, ce sont donc les actions raisonnables réalisées au nom de valeurs
soi-disant supérieures qui ne font que condamner les valeurs authentiques, celles de la
nature, de la « phusis » qui correspondent aux valeurs spontanées des êtres vivants.
Ainsi les actions raisonnables sont-elles accomplies par des lâches, par ceux qui habités
par le ressentiment sont incapables d’assumer leur spontanéité.
Ainsi l’homme vraiment
libre est-il celui qui est capable de s’affranchir des valeurs de la foule qui sont des valeurs
rassurantes pour agir conformément à sa spontanéité.
Nous pouvons reconnaître dans
cette théorie les affirmations de Nietzsche pour qui les actions raisonnables fondées sur
la morale judéo-chrétienne sont des actions d’esclaves, enfermés dans leur morbidité et
incapables d’assumer l’existence authentique.
Être libre consisterait donc à agir sans contrainte en suivant les seules tendances de sa
nature.
De ce point de vue aucun apprentissage ne serait requis, car les élans spontanés
faisant partie de mes tendances naturelles ne peuvent s’enseigner.
Par ailleurs ces
tendances étant associées à chaque individu ne peuvent se transmettre puisqu’elles sont
particulières et que seule une expérience commune peut être dispensée par le biais de
l’apprentissage.
II.
Mais sans apprentissage, notre liberté en tant qu'êtres de raison est menacée
Pourtant, si ces actions spontanées nous libèrent des contraintes extérieures, la liberté
n’est-elle pas alors prisonnière de contraintes internes comme celles qui viennent de ses
passions ?
La liberté qui fait usage de la raison doit s’enseigner.
La volonté libre implique quelque
chose de plus que la simple faculté d’agir sans contrainte extérieure.
Il y a quelques
ambiguïtés, en effet, à définir la liberté comme le pouvoir de faire ce que l’on veut, car la
volonté peut recouvrir simplement le caprice ou la passion, c’est-à-dire la spontanéité
irréfléchie de l’enfant ou de l’homme esclave de ses désirs.
Or ce n’est pas là ce qu’on
appelle proprement vouloir ou choisir, car la liberté désigne une activité réfléchie et
maîtresse d’elle-même.
Une action spontanée, mue par des mobiles, c’est-à-dire par le
corps de nos passions, peut en effet entraîner l’homme passionné à devenir étranger à lui
même car il peut regretter l’action qu’il a pourtant réalisée.
Or le regret est l’expression
d’une étrangeté, car l’homme ne se reconnaît pas, ne reconnaît pas sa volonté, dans
l’action accomplie.
Ainsi devient-il aliéné à lui-même et à sa propre décision.
Pour être vraiment libre, la volonté doit donc assumer son propre choix, mais également
les implications que celui-ci peut développer.
Or pour reconnaître comme siens les
résultats enchaînés de son action, l’homme doit avant même de s’engager, faire usage de
sa raison pour analyser les répercussions de sa décision et connaître les lois rationnelles
et universelles qui régissent le monde extérieur.
Or la raison n’est pas innée en l’homme.
Certes tous les hommes possèdent la raison en puissance, mais celle-ci doit se
développer, se cultiver grâce à l’apprentissage pour devenir véritablement efficiente.
Ainsi
si la liberté suppose l’usage de la raison et que la raison s’affermit avec l’apprentissage, il
faut donc apprendre à être libre.
Par ailleurs, si être libre suppose la connaissance des lois naturelles et sociales qui
structurent la réalité....
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