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Alain et la technique

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Il est remarquable que le monde animal ne fasse point voir la moindre trace d'une action par outil. Il est vrai que les animaux n'ont point de monuments ni aucun genre d'écriture. Aucun langage véritable ne lie une génération à l'autre. Ils ne reçoivent en héritage que leur forme ; aussi n'ont-ils d'autres instruments que leurs pattes et mandibules, ou, pour mieux dire, leur corps entier qui se fait place. Ils travaillent comme ils déchirent, mastiquement et digèrent, réduisent en pulpe tout ce qui se laisse broyer. Au contraire, l'outil est quelque chose qui résiste, et qui impose sa forme à la fois à l'action et à la chose faite. Par la seule faux, l'art de faucher est transmis du père à l'enfant. L'arc veut une position des bras et de tout le corps, et ne cède point. La scie de même ; les dents de fer modèrent l'effort et réglementent le mouvement ; c'est tout à fait autre chose que de ronger. Tel est le premier aspect de l'outil. J'en aperçois un autre, qui est que l'outil est comme une armure. Car le corps vivant est aisément meurtri, et la douleur détourne ; au lieu que l'outil oppose solide à solide, ce qui fait que le jeu des muscles perce enfin le bois, la roche, et le fer même. Le lion mord vainement l'épieu, le javelot, la flèche. Ainsi l'homme n'est plus à corps perdu dans ses actions mais il envoie l'outil à la découverte. Si le rocher en basculant retient la pioche ou le pic, ce n'est pas comme s'il serrait la main ou le bras. L'homme se retrouve intact, et la faute n'est point sans remède. D'où un genre de prudence où il n'y a point de peur. On comprend d'après ces remarques la puissance de l'outil. ALAIN

« Il est remarquable que le monde animal ne fasse point voir la moindre trace d'une action par outil.

Il est vrai que les animaux n'ont point de monuments ni aucun genre d'écriture.

Aucun langage véritable ne lie une génération à l'autre.

Ils ne reçoivent en héritage que leur forme ; aussi n'ont-ils d'autres instruments que leurs pattes et mandibules, ou, pour mieux dire, leur corps entier qui se fait place.

Ils travaillent comme ils déchirent, mastiquement et digèrent, réduisent en pulpe tout ce qui se laisse broyer.

Au contraire, l'outil est quelque chose qui résiste, et qui impose sa forme à la fois à l'action et à la chose faite.

Par la seule faux, l'art de faucher est transmis du père à l'enfant.

L'arc veut une position des bras et de tout le corps, et ne cède point.

La scie de même ; les dents de fer modèrent l'effort et réglementent le mouvement ; c'est tout à fait autre chose que de ronger.

Tel est le premier aspect de l'outil.

J'en aperçois un autre, qui est que l'outil est comme une armure.

Car le corps vivant est aisément meurtri, et la douleur détourne ; au lieu que l'outil oppose solide à solide, ce qui fait que le jeu des muscles perce enfin le bois, la roche, et le fer même.

Le lion mord vainement l'épieu, le javelot, la flèche.

Ainsi l'homme n'est plus à corps perdu dans ses actions mais il envoie l'outil à la découverte.

Si le rocher en basculant retient la pioche ou le pic, ce n'est pas comme s'il serrait la main ou le bras.

L'homme se retrouve intact, et la faute n'est point sans remède.

D'où un genre de prudence où il n'y a point de peur.

On comprend d'après ces remarques la puissance de l'outil.

ALAIN QUESTIONS 1. 2. a. b. 3. Dégagez les principales étapes de l'analyse de l'outil. Expliquez les phrases : « Par la seule faux, l'art de faucher est transmis du père à l'enfant.

» « [...] la faute n'est point sans remède.

» Dans un développement argumenté, vous examinerez en quoi il n'y a de technique qu'humaine. QUESTION 1 • Le premier outil de tout vivant, humain, animal et même végétal, c'est son corps, c'est-à-dire sa forme.

Certains ont des « pattes, mandibules » qui leur permettent de survivre, de travailler la nature.

Ils ne peuvent jamais la transformer. • L'animal répète sans cesse les mêmes gestes.

Par contre, l'homme prolonge son corps par l'outil qu'il fabrique et qu'il transmet.

Non seulement cet outil lui permet de travailler la nature et de la façonner, mais cet outil façonne aussi le corps de l'homme.

De plus, l'outil protège le corps humain : « il est comme une armure ».

Le corps le plus solide reste fragile, a des limites : pas l'outil. • Ainsi, l'outil remplace le corps de l'homme dans la transformation de la nature, et dans son exploration. Nous pouvons résumer ainsi les principales étapes de l'analyse de l'outil dans ce texte : – L'outil, c'est d'abord le corps. – L'outil remplace peu à peu le corps humain : - il travaille à sa place ; - il le protège. – C'est par l'outil que l'homme peut devenir sans crainte comme « maître et possesseur de la nature » (Descartes). QUESTION 2 a.

« Par la seule faux [...] l'enfant.

» Un seul instrument fabriqué par l'homme permet aux générations futures de s'approprier cette technique.

La faux est l'un des plus anciens outils de l'homme.

La moissonneuse-batteuse a aujourd'hui remplacé la faux, mais elle n'existe que parce que l'homme a inventé la faux. L'homme transmet ses techniques qui s'améliorent au fil du temps. L'animal le plus intelligent, le singe par exemple, même s'il découvre comment casser plus facilement une noix de coco, ne transmet pas ce savoir.

Tout est toujours à recommencer.

L'homme hérite, lui, des techniques de ses ancêtres.

L'animal agit mais son action ne sert pas à ses descendants : d'ailleurs, il n'existe pas de civilisation animale, et le langage animal est un code instinctif et limité, fait de signes compris uniquement par leur espèce, toujours les mêmes. b.

« [...] la faute n'est point sans remède.

» Grâce à l'outil, l'homme peut se permettre de prendre des risques qui ne mettent pas sa vie en danger.

Si l'outil vient à faillir, s'il casse, s'il dévie, s'il ne correspond pas à la matière sur laquelle il agit, il est toujours possible de trouver une solution. Le corps de l'homme n'est ni blessé, ni mutilé, ni mort.

C'est pourquoi l'homme reste prudent, c'est-à-dire qu'il apprend à diriger ses actions pour se protéger dans les meilleurs conditions, mais il agit sans peur car l'outil lui sert de protection. Platon considère la prudence comme l'une des quatre vertus cardinales avec la tempérance, le courage et la justice.

Chez Aristote, la prudence est une vertu intellectuelle, capable de juger avec discernement l'habileté de l'homme vertueux qui sait mettre en oeuvre les moyens propres à réaliser le bien. La prudence dont il est question ici est plus pragmatique, mais elle implique néanmoins la sagesse de l'action réfléchie. C'est la technique qui, finalement, a permis à l'homme d'évoluer dans un environnement moins dangereux pour lui, pour sa vie. QUESTION 3 (pistes de réflexion) -> La technique est d'abord un art, un savoir-faire, une praxis. Le mythe de Prométhée dans le Protagoras et le mythe du démiurge dans le Timée (deux dialogues de Platon) montrent que la matière est toujours brute, informe et qu'il faut la façonner : « La technique réalise ce que la nature est impuissante à effectuer.

» Les hommes n'ont survécu que grâce à leurs inventions techniques : l'homme est un homo faber (cf.

Bergson). -> La technique dégage définitivement l'homme de la nature, jusqu'à en faire le maître (cf.

Descartes).

L'invention de techniques toujours nouvelles montre la supériorité de l'intelligence humaine sur toutes les autres espèces.

Toute nouvelle technique est donc une tactique vitale dont le but, hasardeux, est d'approfondir notre maîtrise de la nature. -> La technique est liée au travail (cf.

Karl Marx).

Interviennent les questions économiques et la notion d'exploitation des individus.

La technique a libéré l'homme de la nature, mais ne l'a-t-elle pas aussi asservi d'une autre façon ? -> Quoiqu'il en soit, il n'y a de technique qu'humaine : qu'elle produise du bien-être ou qu'elle soit à l'origine des pires dangers (déforestation massive, nucléaire, biotechnologies, etc.), elle reste la marque indélébile de l'humanité sur la nature et sur l'homme luimême.. »

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