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Alain

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Un sage, qui cultive son jardin et ne parle guère, se vante d'avoir fait tenir toute la doctrine de l'action en deux chapitres dont chacun n'a qu'un mot. Premier chapitre, continuer, deuxième chapitre, commencer. L'ordre, qui étonne, fait presque toute l'idée [...]. Continuer, c'est le seul moyen de changer. Quand l'idée vous vient de changer, c'est signe que le métier commence à entrer et à piquer, au lieu de caresser. C'est le moment rugueux; c'est l'épreuve de l'homme. Un métier qui n'est pas rebutant n'est pas encore un métier; l'homme n'y est qu'amateur, selon un admirable mot, et qui enferme un juste mépris. L'amateur s'amuse; le point où cesse l'amusement, il ne le passe jamais. Quand donc le métier ne va plus tout seul, cela nous avertit de le faire. Il faut alors se tourner vers soi et donner de soi. Enfin le métier n'est plus agréable; il n'y a plus qu'à bien le faire. L'athlète qui est récompensé au commencement est bien trompé par cette faveur de fortune; ce qu'il amasse, c'est le contraire du courage. L'heureux succès lui fait perdre de vue la nécessité de vouloir. Quand vient le moment difficile, où il faut tenir bon, c'est alors qu'il lâchera tout, cherchant un métier qui aille tout seul ; mais un tel métier n'existe pas [...] Le deuxième chapitre attend. Commencer, si ce mot vient après l'autre, c'est s'y mettre tout de suite, et réduire, comme je dis souvent, le temps de la mise en train à zéro. Le petit mot : « Je ferai » a fait perdre des empires. Le futur n'a de sens qu'à la pointe de l'outil. Prendre une résolution n'est rien; c'est l'outil qu'il faut prendre. La pensée suit. Réfléchissez à ceci que la pensée ne peut nullement diriger une action qui n'est pas commencée [...]. Notre pensée n'est pas ainsi faite qu'elle puisse marcher la première; qui pense ses actions n'agit jamais. Alain

« "Un sage, qui cultive son jardin et ne parle guère, se vante d'avoir fait tenir toute la doctrine de l'action en deux chapitres dont chacun n'a qu'un mot.

Premier chapitre, continuer, deuxième chapitre, commencer. L'ordre, qui étonne, fait presque toute l'idée [...]. Continuer, c'est le seul moyen de changer.

Quand l'idée vous vient de changer, c'est signe que le métier commence à entrer et à piquer, au lieu de caresser.

C'est le moment rugueux; c'est l'épreuve de l'homme. Un métier qui n'est pas rebutant n'est pas encore un métier; l'homme n'y est qu'amateur, selon un admirable mot, et qui enferme un juste mépris.

L'amateur s'amuse; le point où cesse l'amusement, il ne le passe jamais.

Quand donc le métier ne va plus tout seul, cela nous avertit de le faire.

Il faut alors se tourner vers soi et donner de soi.

Enfin le métier n'est plus agréable; il n'y a plus qu'à bien le faire.

L'athlète qui est récompensé au commencement est bien trompé par cette faveur de fortune; ce qu'il amasse, c'est le contraire du courage.

L'heureux succès lui fait perdre de vue la nécessité de vouloir.

Quand vient le moment difficile, où il faut tenir bon, c'est alors qu'il lâchera tout, cherchant un métier qui aille tout seul ; mais un tel métier n'existe pas [...] Le deuxième chapitre attend.

Commencer, si ce mot vient après l'autre, c'est s'y mettre tout de suite, et réduire, comme je dis souvent, le temps de la mise en train à zéro.

Le petit mot : « Je ferai » a fait perdre des empires.

Le futur n'a de sens qu'à la pointe de l'outil.

Prendre une résolution n'est rien; c'est l'outil qu'il faut prendre.

La pensée suit.

Réfléchissez à ceci que la pensée ne peut nullement diriger une action qui n'est pas commencée [...].

Notre pensée n'est pas ainsi faite qu'elle puisse marcher la première; qui pense ses actions n'agit jamais." ALAIN. § 1.

Étude ordonnée On a souvent rapproché Alain de Socrate et plus encore de Montaigne, il serait ici plus près d'Épictète.

C'est le même ton d'exhortation familière, on y entend aussi l'écho de son enseignement et même le fond doctrinal l'évoque.

Ce qui est propre à Alain, et qui est sans doute le trait le plus apparent de ses célèbres Propos, c'est l'usage constant du paradoxe.

Alors que, chez beaucoup d'auteurs, l'analyse détaillée prépare la formule finale qui la condense, Alain lance d'abord la formule.

Elle choque et réveille comme ici.

«Premier chapitre, continuer ; deuxième chapitre, commencer.

» Par la méthode et par le style, il fait d'abord secouer les lieux communs et les fausses évidences.

Cela dit, il n'est aucune expression dans ce texte qui demande explication, il est écrit dans la langue la plus courante sans aucun caractère technique et c'est donc avant tout à la signification de la thèse qu'il faut s'attacher. § 2.

Portée philosophique C'est une thèse qu'Alain a maintes fois reprise que «nul ne peut vouloir sans faire» et que «l'exécution doit précéder le vouloir».

Elle est au centre de sa conception de l'artiste créateur qui fait de l'artiste d'abord un homme de métier, un artisan, même s'il le dépasse.

Ce paradoxe domine toute sa théorie de l'action, mais «rien n'est plus aisé à comprendre si l'on considère l'homme tout entier, l'homme dans la situation de l'homme, tel qu'il est né, tel qu'il a grandi.

Que l'homme agisse avant de vouloir, c'est ce qui est évident pour l'enfance.

L'homme nage dans l'univers dès qu'il y est jeté ; et il s'y trouve toujours jeté et jamais d'aucune manière il ne peut s'en retirer.

L'action réelle est donc toujours commencée». Il suit donc de là que, puisque «tout est commencé, nous n'avons qu'à continuer.

Que chacun se prenne au point où il est arrivé, chacun peut le connaître mieux par un mouvement d'attention.

Le mouvement qu'il va faire, par la nature, par le besoin, par la coutume, chacun peut mieux le faire par un mouvement de volonté.

Songez-y, la volonté n'a absolument aucune prise hors de la situation présente, et de ce pas que vous allez faire [...].

Ce que je ferai dépend de ce que je fais.

L'action compte double ; elle change la situation ; elle me change moi-même.

Le bûcheron fend l'arbre et se fait des bras». La seconde conséquence, c'est que «personne n'a choisi, puisque nous sommes tous d'abord des enfants », et si « nul ne choisit», il faut ajouter que «tous les chemins sont bons.

Il n'y a pas de mauvais lot, mais tout lot est bon si on veut le rendre bon».

C'est presque textuellement ce que dit Épictète, et Alain en tire une leçon fondamentale de pédagogie : «Un enfant, qui est né tel, il faut l'élever selon sa nature, au lieu de vouloir follement qu'il soit autre.

Et chacun est pour lui-même un enfant qu'il a et qu'il n'a pas choisi, qu'il doit prendre d'abord comme il est, et conduire pour le mieux partant de là.» Car «il n'y a qu'un mieux pour chacun, c'est de faire mieux par volonté ce qu'il allait faire par nécessité et mal».

Selon la maxime populaire, «faire de nécessité vertu est le beau et grand travail ». Reste le dernier paradoxe du texte : «Prendre une résolution n'est rien.» «Qui pense ses actions n'agit jamais.» Que veut dire exactement Alain? « Il n'est rien de plus ridicule, note-t-il, que ces analyses de l'école, où l'on pèse les motifs et les mobiles », les plus lourds faisant pencher la balance et déterminant mécaniquement la décision.

«L'homme d'action doit vaincre d'abord ce genre de méditation sur les possibles qui seraient mieux nommés impossibles», et l'on vient « à mépriser les faibles et hésitantes pensées, mais ce ne sont point des pensées».

Et «chacun connaît trop bien en lui-même cette sagesse qui toujours raisonne et jamais ne décide [...].

En un homme faible, les pensées brillent souvent comme des diamants ; mais ce ne sont que des idées.

Dans un homme qui sait vouloir, les pensées sont des jugements ; c'est-à-dire qu'elles engagent, qu'elles sont des commencements d'oeuvres et qu'il ne leur est pas laissé ce pouvoir de remordre, qui fait le supplice des faibles ».

Alain attribue à Descartes cette maxime qu'on cherche vainement dans la lettre, mais qui traduit admirablement l'esprit du Traité des Passions : «L'irrésolution est le plus grand des maux.» Encore une fois, «il faut vouloir, vouloir et faire.

Vouloir sans faire n'est rien.

C'est une contrefaçon du vouloir ». Ce qui ressort avec force de ce texte, c'est que l'irrésolution ou velléité n'a rien à voir avec la volonté.

Il peut d'abord sembler qu'Alain nie la fonction de la pensée dans l'action.

Mais, ce qu'il condamne, c'est l'idée d'une méditation qui tourne à vide dans l'esprit.

En réalité, il a bien montré que tout homme a derrière lui un passé d'actions accomplies et que quand il doit agir, ce passé lui donne la preuve de l'efficacité de son vouloir.

Vouloir, c'est ainsi être porté par ses propres oeuvres, les vrais motifs sont des puissances déjà éprouvées.

En ce sens, il est bien vrai que la volonté continue toujours quelque chose, qu'elle ne commence jamais absolument et, dans toute action véritable, il n'y a de délibération réelle qu'au sein de cette action même et sur le choix des moyens.

La volonté inflexible se reconnaît à la souplesse des moyens et c'est seulement la visée du but qui est inébranlable.

Pour sortir de l'irrésolution, pour dépasser la velléité, le vrai problème de la volonté n'est pas de passer de la pensée à l'action mais de l'action à l'action en l'éclairant par la pensée.. »

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