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Alain

Extrait du document

Quand vous aurez rendu les hommes pacifiques, et secourables les uns aux autres seulement par peur, vous établissez bien, il est vrai, une espèce d'ordre dans l'Etat ; mais en chacun d'eux, ce n'est qu'anarchie ; un tyran s'installe à la place d'un autre ; la peur tient la convoitise en prison. Tous les maux fermentent au - dedans ; l'ordre extérieur est instable. Vienne l'émeute, la guerre, ou le tremblement de terre, de même que les prisons vomissent alors les condamnés, ainsi, en chacun de nous, les prisons sont ouvertes et les monstrueux désirs s'emparent de la citadelle. C'est pourquoi je juge médiocres, pour ne pas dire plus, ces leçons de morale fondées sur le calcul et la prudence. Sois charitable, si tu veux être aimé. Aime tes semblables, afin qu'ils te le rendent. Respecte tes parents, si tu veux que tes enfants te respectent. Ce n'est là que police des rues. Chacun attend toujours la bonne occasion, l'occasion d'être injuste impunément. Alain

« Quand vous aurez rendu les hommes pacifiques, et secourables les uns aux autres seulement par peur, vous établissez bien, il est vrai, une espèce d'ordre dans l'État ; mais en chacun d'eux, ce n'est qu'anarchie ; un tyran s'installe à la place d'un autre ; la peur tient la convoitise en prison.

Tous les maux fermentent au - dedans ; l'ordre extérieur est instable.

Vienne l'émeute, la guerre, ou le tremblement de terre, de même que les prisons vomissent alors les condamnés, ainsi, en chacun de nous, les prisons sont ouvertes et les monstrueux désirs s'emparent de la citadelle. C'est pourquoi je juge médiocres, pour ne pas dire plus, ces leçons de morale fondées sur le calcul et la prudence.

Sois charitable, si tu veux être aimé.

Aime tes semblables, afin qu'ils te le rendent.

Respecte tes parents, si tu veux que tes enfants te respectent.

Ce n'est là que police des rues.

Chacun attend toujours la bonne occasion, l'occasion d'être injuste impunément." ALAIN. La peur permet - elle vraiment d'améliorer le comportement des hommes ? Est - elle un moyen sûr pour amender leurs moeurs ? ALAIN en doute et montre, tout au contraire, que les contraintes qui pèsent sur les hommes ne font qu'envenimer leurs désirs.

Ce n'est pas là la vraie morale.

"Ce n'est là que police des rues" : un dressage du comportement et, qui pis est, un dressage inefficace.

L'auteur a beau jeu de souligner les inconvénients des contraintes. Mais ne sont - elles pas nécessaires pour sauvegarder l'ordre ? L'homme peut - il vivre pacifiquement et charitablement sans elles ? La peur ne saurait contribuer à la formation morale de la personnalité de chacun : elle contraint à l'ordre ; l'ordre ne vient pas de la personnalité : il est subi et chacun n'aspire qu'à s'en défaire. La peur peut agir certes sur le comportement des hommes ("Quand vous aurez rendu les hommes pacifiques, et secourables les uns aux autres seulement par peur, vous établissez bien, il est vrai, une espèce d'ordre dans l'État"). La peur transforme : "Quand vous aurez rendu les hommes pacifiques, et secourables les uns aux autres seulement par peur".

Les vertus ici présentes de paix et de charité ne sont donc pas innées ni constitutives de l'humanité : elles doivent être acquises.

Ces vertus ne sont pas quelconques : l'une est politique, l'autre est morale.

La paix est la garantie et la condition de la stabilité et de la continuité de l'ordre social.

La charité est une vertu chrétienne et même elle est la première des vertus du chrétien.

Le choix de ces deux vertus montre que pour ALAIN, fidèle en cela à la thèse de la République de PLATON, l'homme est une petite Cité comme la Cité est comme un homme agrandi.

En effet l'ordre de l'homme et l'ordre de la Cité sont homologues : les deux disposent d'un gouvernement, d'une force qui assure l'ordre et de tendances sur lesquelles s'exerce l'autorité (République.

II, 368 e - 369 a). Pourtant l'ordre établi par la peur est une : "espèce d'ordre".

La peur instaure un ordre qui ne saurait se maintenir.

La peur ruine en réalité le but qu'elle croit pouvoir réaliser.

En effet, la peur tyrannise : "un tyran s'installe à la place d'un autre".

Conformément à la tradition platonicienne qui fait des désirs autant de tyrans, symbolisés par une hydre, ALAIN conçoit le désir comme un péril.

Mais à ce péril d'une tendance égoïste, aveugle et impérieuse, se substitue une tendance non moins impérieuse et tout aussi aveugle, irrationnelle et déraisonnable.

Si bien que : "la peur tient la convoitise en prison".

Régner par la peur, c'est régner à l'aide d'un rapport de force tant dans l'État qu'en chaque homme.

ALAIN recourt à une métaphore politique pour éclairer un comportement moral.

La peur ne gouverne pas ; elle domine : elle exerce une contrainte.

Elle n'est pas choisie, mais subie ; elle ne laisse aucune place à l'initiative de chacun.

Elle réprime les désirs ("la peur tient la convoitise en prison") ; elle ne les maîtrise pas.

De ce fait, si à l'extérieur, et dans l'ordre de la coexistence des hommes, une forme de paix règne, à l'intérieur de chaque homme : "ce n'est qu'anarchie".

Ainsi l'ordre extérieur dans l'État s'obtient au prix d'un désordre intérieur dans chaque homme. L'ordre politique réalisé par la peur provoque un désordre moral.

Mais ce désordre intérieur compromet et menace l'ordre précaire dans l'État ("l'ordre extérieur est instable").

Les désirs contraints ne restent pas immobiles ; ils s'altèrent et "fermentent".

Ils ne sont plus désirs ("la convoitise"), mais ils deviennent des maux ("Tous les maux").

Les désirs contraints vont gagner en force.

Réprimer les désirs par une force aussi aveugle qu'eux, c'est perdre tout le bénéfice d'un ordre que l'on voulait pacifique. La première occasion de révolte sera la bonne : "Vienne l'émeute, la guerre, ou le tremblement de terre".

L'occasion fera le larron.

L'ordre dans l'État ne peut durer et se maintenir seulement par la répression des désirs.

Les occasions de révolte et du citoyen dans l'État et des désirs dans chaque homme sont des circonstances exceptionnelles et indépendantes de la volonté de chacun, et sur lesquelles ni l'État ni l'homme individuel n'ont pas toujours de pouvoir (le tremblement de terre).

Les désirs réapparaissent avec d'autant plus de force qu'ils ont "fermenté" ; aussi, faute d'avoir été digérés, c'est - à - dire et littéralement : mis en ordre, ils seront "vomis" ("prisons vomissent alors les condamnés").

ALAIN prolonge la comparaison platonicienne des hommes et de l'État.

Comme la citadelle maintient par la peur les condamnés, l'âme de chacun voudrait maintenir, par la peur et la contrainte, les désirs.

Mais cela n'est plus possible : les désirs se sont transformés ; ce sont désormais de : "monstrueux désirs".

Ils ont gagné en vigueur ; ils sont plus effrayants qu'ils n'étaient. Ainsi gouverner par la peur va tout juste à l'encontre du but escompté.

pour obtenir l'ordre extérieur, un désordre intérieur est suscité qui, le moment venu va se retourner contre l'ordre extérieur.

Les conséquences ne sont pas seulement politiques ; elles sont aussi morales.

ALAIN va s'en expliquer.. »

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