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Alain

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Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain... Il faut donner d'abord. Alain

« "Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain...

Il faut donner d'abord." Alain Trop souvent, le réalisme invoqué par ceux qui, se satisfaisant de ce qui est, refusent tout effort pour rendre possible l'avènement de ce qui pourrait être, sert à disqualifier l'idéal.

Trop souvent, une confusion entre déterminisme naturel et règles d'action humaines a pour effet de justifier ce qui est et de démobiliser toute volonté de progrès.

Trop souvent aussi, l'idée négative que l'on a d'une personne induit ce qu'elle prétend dénoncer, croyant ainsi se confirmer elle-même alors qu'elle ne fait que désigner les effets qu'elle provoque comme des propriétés « naturelles » de l'être qu'elle juge. Le texte d'Alain, en s'attachant à bien souligner les deux distinctions (de ce qui est et de ce qui pourrait ou devrait être ; du déterminisme naturel et de l'action humaine), remet les choses au point avec netteté.

Et sa mise au point a d'autant plus de portée qu'il rappelle la vanité du volontarisme là où la volonté humaine n'a pas de prise, tout en précisant, dans la seconde partie du texte, que la volonté peut devenir à son tour facteur déterminant lorsqu'il s'agit des rapports entre les hommes.

L'examen des exemples qu'il donne suffirait, à lui seul, à montrer l'intérêt du texte et son actualité au sens philosophique du mot.

Mais il convient de revenir sur le statut de l'idéal tel qu'il est esquissé dans le texte, en tant qu'acte de foi et croyance dont la fécondité pratique est manifeste.

Une première remarque, de fait, est que si les hommes s'en étaient constamment tenus à ce qui est, disqualifiant et la croyance en un monde meilleur et la confiance en un progrès moral de l'humanité, il n'y aurait eu dans l'histoire ni évolution ni période de progrès.

La servitude aurait été entérinée, et l'injustice consacrée comme appartenant à l'ordre des choses.

Le statut de la croyance — et de la confiance — qui crédite les hommes de « perfectibilité » est ici en jeu.

Pour Kant, le domaine de la croyance est indispensable à l'action.

Non pas, comme on l'interprète trop souvent, par le biais d'une foi aveugle figeant les normes morales en dogmes religieux.

Mais plutôt dans la position, par l'homme, d'une valeur qui dépasse peut-être les limites de son expérience présente, et constitue à ce titre une référence lui permettant de se dépasser lui-même, de progresser.

Commentant dans la Critique de la raison pure le statut des idées chez Platon, Kant fait remarquer que la fonction normative et régulatrice de l'idée (forme ou principe idéal) est irréductible, et justifie amplement son importance philosophique.

La non-correspondance entre l'idée et le réel n'est donc pas une disqualification de l'idée, pas plus que les entorses trop fréquentes aux droits de l'homme ou à la justice ne disqualifient ces idéaux.

Dans une perspective similaire, Rousseau écrivait que, si la force des choses tend à détruire l'égalité, le rôle de la loi et des actions humaines doit être de la restaurer. Ainsi l'acte de foi, qui est position de valeur et d'idéal, n'a rien d'illégitime lorsqu'il s'agit de l'homme ; et il serait erroné de le confondre avec le fidéisme religieux ou avec l'obscurantisme d'une certaine croyance (« la volonté de Dieu, asile de l'ignorance » selon Spinoza).

Il faut, bien sûr, admettre le présupposé d'une plasticité (Rousseau disait d'une perfectibilité) de la nature humaine, voire aussi celui du libre arbitre qui fait que l'homme peut se choisir — la confiance dont il fait l'objet lui permettant de faire effort sur lui-même et de progresser.

Les exemples donnés par Alain sont à cet égard très remarquables.

Leur point commun est l'importance conférée à la confiance, évoquée sous des formes multiples, dans les progrès que peut accomplir la personne qui est objet de cette confiance.

Dans la relation à autrui, cette forme d'amour et de respect qu'est la confiance mutuelle ; dans la relation éducative ou l'instruction, le rôle stimulant de la confiance placée dans l'élève ; en politique, le rôle de l'estime dont le peuple fait l'objet ; enfin, en jurisprudence, dans la prévention des délits, le rôle de la confiance.

À chaque fois, c'est la force exemplaire d'une image non pas idéale, mais meilleure, qui conduit les personnes à se dépasser elles-mêmes, à progresser.

Ces exemples pourraient tous relever d'une même conception, à savoir l'optimisme raisonnable qui est lié non à l'idée hypothétique d'une bonté originelle de l'homme, mais à celle de sa perfectibilité.

Force est de constater, d'ailleurs, que souvent ceux qui nient la possibilité d'un progrès social et humain s'appuient sur une conception totalement pessimiste, négative et déterministe, de la nature humaine.

Les mêmes personnes, dont les attitudes conservatrices sont manifestes, préfèrent la répression à la réinsertion, la haine vengeresse à la confiance, l'ordre rassurant des prisons au risque généreux de l'amélioration morale des hommes grâce à une attitude de compréhension (celle-ci n'est jamais confondue, pour ceux qui en font preuve, avec la justification, et il faut être de bien mauvaise foi pour insinuer le contraire).

L'idée que le peuple a besoin de chefs relève du même type d'attitude : le mépris se conjugue ici avec la paresse qui consiste à recenser les maux et les injustices de la Terre, et à voir en eux l'expression d'un ordre immuable, inscrit dans la nature.

On sait à quelle attitude de rejet peut conduire une telle conception.

Ne voir que le négatif, et caractériser toute une personne à partir d'un acte passé est aussi inacceptable que l'attitude inverse, qui consiste à innocenter une personne sous prétexte qu'elle est « capable de mieux faire ».

Il ne s'agit en l'occurrence ni d'innocenter ni d'accabler définitivement.

Il faut donc croire, donner toute sa confiance, comme dit Alain.

Aux antipodes d'une foi obscurantiste, une telle croyance s'accorde pleinement avec la confiance philosophique dans le pouvoir de la raison, qu'il s'agit dès lors de cultiver à partir de positions qui lui donnent son plein sens et précisent son enjeu existentiel.. »

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