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Alain

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L'homme est obscur en lui-même; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses, une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je. Cette remarque est d'ordre moral. Il ne faut point se dire qu'en rêvant on se met à penser. Il faut savoir que la pensée est volontaire... On dissoudrait ces fantômes en se disant simplement que tout ce qui n'est point pensée est mécanisme ou, encore mieux, que ce qui n'est point pensée est corps, c'est-à-dire chose soumise à ma volonté, chose dont je réponds. Tel est le principe du scrupule... L'inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps, de le traiter comme un semblable; comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s'arranger. L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient; là se trouve logée la faute capitale. Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L'hérédité est un fantôme du même genre. "Voilà mon père. qui se réveille; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui possédé..." En somme, il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient: c'est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l'erreur; et bien pis, c'est une faute. Alain

« "L'homme est obscur en lui-même; cela est à savoir.

Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient.

La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses, une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller.

Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je.

Cette remarque est d'ordre moral.

Il ne faut point se dire qu'en rêvant on se met à penser.

Il faut savoir que la pensée est volontaire...

On dissoudrait ces fantômes en se disant simplement que tout ce qui n'est point pensée est mécanisme ou, encore mieux, que ce qui n'est point pensée est corps, c'est-à-dire chose soumise à ma volonté, chose dont je réponds.

Tel est le principe du scrupule... L'inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps, de le traiter comme un semblable; comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s'arranger.

L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps.

On a peur de son inconscient; là se trouve logée la faute capitale.

Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal.

L'hérédité est un fantôme du même genre.

"Voilà mon père.

qui se réveille; voilà celui qui me conduit.

Je suis par lui possédé..." En somme, il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient: c'est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l'erreur; et bien pis, c'est une faute." ALAIN. Fortement inspiré de la métaphysique cartésienne et de la morale kantienne, Alain souligne le caractère subversif de la notion d’inconscient freudien.

En ce qu’elle concourt à la démobilisation, à la fuite de nos responsabilités face à la sphère éthique.

En effet, au nom de la liberté humaine, le philosophe humaniste ne saurait accepter qu’un mécanisme corporel (ressortant de la chose étendue) vienne se substituer en lieu et place de l’activité rationnelle définie comme lucidité et maîtrise de soi. Mais, cette prééminence redonnée à la sacro-sainte volonté humaine, doit-elle impérativement passer par un refus péremptoire de l’inconscient? La psychanalyse n’est-elle pas dans sa démarche thérapeutique, une forme de renforcement de la conscience aboutissant à une prise de conscience éclairée, raffermie de ses désirs, de son agir , ... , de soi? Trois paragraphes scandent cet extrait des « Eléments de Philosophie ».

Dans le premier, Alain définit l’homme par le libre arbitre et revoit l’inconscient à un processus physiologique.

Ensuite, st souligné le vice moral inclus dans l’hypertrophie accordée aux instincts du « ça ».

Et, le dernier paragraphe réaffirme la fin de non-recevoir accordée à ce qu’Alain nomme le « diabolique conseiller ». En exorde du texte, Alain corrobore la vision freudienne d’une opacité d l’âme, d’un désir romantique de dévoiler l’irréductible mystère humain.

L’être ne se livre pas d’emblée, il s’agit de le découvrir dans son infinie complexité.

Et, c’est à cette recherche qu’Alain va nous convier dans ce qui succède. En effet, le terme d’inconscient défini comme étant un domaine échappant à la conscience, recèle un caractère à la fois émigmatique et séditieux en ce qu’il véhicule certaines méconduites au sein de la sphère éthique.

Mais, Alain commence déjà par dégager l’erreur (gnoséologique) avant la faute (morale). La plus grave de ces représentations fallacieuses consiste à diviser notre psychisme, à superposer deux sujets, l’un conscient, l’autre inconscient.

Dès lors, ce dernier se trouve substantifier, transformer en une deuxième puissance, satanique et maléfique.

Ce second moi ou second sujet pensant est censé nous égarer, induire en nous des préjugés, des pensées antérieures à toute réflexion: nous serions « pensés » en même temps que « pensée », « agis » plutôt qu’ »agent ».

En somme, l’inconscient ne serait qu’une chimère diabolique en ce que notre volonté et notre destin lui seraient assujettis.

Ces quelques lignes ne sont pas sans nous faire songer au mythe de Faust pactisant avec le diable.

Ce Faust des temps modernes serait selon Alain, Freud et sa répartition tripartite du psychisme en ça, moi et surmoi. Dans la seconde partie du paragraphe, Alain montre comment il faut se prémunir de l’erreur freudienne: en soulignant l’unité d’un moi volontaire et en dissolvant l’inconscient dans le corps. Notre psychisme doit être conçu comme une seule et même substance et non comme un mixte hétérogène d’éléments. Car, refuser la division du « Je pense », c’est déjà pénétrer dans la sphère morale, c’est considérer qu’il n’est de pensée qu’au niveau d’un choix libre et réfléchi.

Conséquemment, l’activité onirique se trouve relayer à un simple déferlement d’images subies et incohérentes.

La passivité de la raison induit la non-pensée, car durant le sommeil, la conscience, en état de relâchement, est assaillie par des représentations absurdes de nature corporelle.

En revanche, dans le choix volontaire et rationnel, il y a pensée authentique, activité consciente.

Que l’on songe ici au remords, où je rattache mon passé à mon moi fondateur. Si l’inconscient n’est pas la pensée, alors qu’est-il exactement? Afin d’encore mieux chasser ce fantôme menaçant, cette apparition dont je me veux délivrer, pour enfin exorciser cette puissance maléfique, il me reste à ne voir en elle que le produit , le succédané de purs mécanismes.

L’inconscient est donc matériel, physiologique: c’est un ensemble de phénomènes réductibles à des relations chimiques.

Ici, Alain retrouve Descartes et son dualisme: d’un côté, la pensée qui se pense (le cogito) et de l’autre, des phénomènes corporels sans conscience d’être.

En dehors de la chose ou substance pensante, tout n’est que mécanisme.

Aussi, l’inconscient est rejeté à de simples mécanismes appartenant à la chose étendue: il y a des frémissements nerfs, une activité hormonale (rien d’autre!) que je puis maîtriser et dompter, en tant que sujet libre. Voilà donc renverser la théorie freudienne et son emprise tentaculaire du « çà ».

Avec Alain, l’inconscient s’anéantit. »

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