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Alain

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J'appelle technique ce genre de pensée qui s'exerce sur l'action même, et s'inscrit par de continuels essais et tâtonnements. Comme on voit qu'un homme même ignorant à force d'user d'un mécanisme, de le toucher et pratiquer de toutes les manières et dans toutes les conditions, finit par le connaître d'une certaine manière, et tout à fait autrement que celui qui s'est d'abord instruit par la science; et la grande différence entre ces deux hommes, c'est que le technicien ne distingue point l'essentiel de l'accidentel ; tout est égal pour lui, et il n'y a que le succès qui compte. Ainsi le paysan peut se moquer d'un agronome; non que le paysan sache ou seulement soupçonne pourquoi l'engrais chimique, ou le nouvel assolement, ou un labourage plus profond n'ont point donné ce qu'on attendait; seulement, par une longue pratique, il a réglé toutes les actions de culture sur de petites différences qu'il ne connaît point, mais dont pourtant il tient compte, et que l'agronome ne peut pas même soupçonner. Quel est donc le propre de cette pensée technique? C'est qu'elle essaie avec les mains au lieu de chercher par la réflexion. Alain

« "J'appelle technique ce genre de pensée qui s'exerce sur l'action même, et s'inscrit par de continuels essais et tâtonnements.

Comme on voit qu'un homme même ignorant à force d'user d'un mécanisme, de le toucher et pratiquer de toutes les manières et dans toutes les conditions, finit par le connaître d'une certaine manière, et tout à fait autrement que celui qui s'est d'abord instruit par la science; et la grande différence entre ces deux hommes, c'est que le technicien ne distingue point l'essentiel de l'accidentel ; tout est égal pour lui, et il n'y a que le succès qui compte.

Ainsi le paysan peut se moquer d'un agronome; non que le paysan sache ou seulement soupçonne pourquoi l'engrais chimique, ou le nouvel assolement, ou un labourage plus profond n'ont point donné ce qu'on attendait; seulement, par une longue pratique, il a réglé toutes les actions de culture sur de petites différences qu'il ne connaît point, mais dont pourtant il tient compte, et que l'agronome ne peut pas même soupçonner.

Quel est donc le propre de cette pensée technique? C'est qu'elle essaie avec les mains au lieu de chercher par la réflexion." Alain On dissocie depuis si longtemps travail manuel et travail intellectuel qu'on finit par oublier qu'on a fait du feu avant de savoir ce qu'était en théorie le feu, qu'on a construit des digues, creusé des fossés et bâti des maisons bien avant d'en connaître les principes mathématiques.

Mais peut-on légitimement admettre l'antériorité de la pensée technique ? Le texte d'Alain nous place face à cette question. Pensée technique et pensée théorique • La pensée technique est liée à l'activité : c'est l'action qui la déclenche et qui constitue sa méthode.

C'est pourquoi elle procède par « essais et tâtonnements », c'est-à-dire empiriquement.

La réussite suffit à satisfaire le technicien (le paysan).

L'esprit empirique n'est intéressé ni par l'essentiel, ni par l'accidentel, mais par l'efficacité.

Peu lui importe la réelle relation causale en oeuvre. • Au contraire, la pensée théorique abstraite reste indifférente aux apparences et aux manipulations.

Elle s'instruit par l'expérience qui, à partir d'une hypothèse, élabore un raisonnement déductif et cherche à saisir les relations de causalité.

Elle suppose qu'une loi universelle existe derrière tout phénomène. L'homme, d'abord homo faber ou homo sapiens? • Alain s'oppose ici à Platon : s'il différenciait lui aussi la science (épistémé) de ce qu'il appelait la doxa, (l'opinion), pour lui seule la science permettait de connaître l'enchaînement des causes et des effets qui fonde l'explication rationnelle.

Pour accéder à la vérité, l'homme doit être un homo sapiens. • Bergson affirme cependant l'antériorité de l'homo faber sur l'homo sapiens.

En accord avec Bergson, Alain dit aussi que le paysan peut savoir, «par sa longue pratique », plus de choses que l'agronome «ne peut en soupçonner». Peut-on admettre l'antériorité de la pensée technique ? • Il y a d'abord eu des paysans avant les agronomes, des arpenteurs avant les mathématiciens.

Nous-mêmes avons été des enfants tâtonnant: c'est en tâtonnant que nous avons construit des châteaux, équilibré nos cubes, sans prendre en compte l'équilibre des forces, le volume, etc.

Le psychologue Jean Piaget (1896-1980) a d'ailleurs démontré que c'est en faisant, en jouant, que l'esprit se développe.

L'accès à la pensée abstraite n'est pas immédiat. • Ainsi, on peut admettre l'antériorité de la pensée technique.

La théorie devra s'instituer en opposition avec la richesse concrète du vécu, se méfier des évidences premières et des habitudes utilitaires. Admettre l'antériorité de la technique sur la science, c'est enfin rendre justice au travail manuel des milliards d'hommes qui nous ont précédés et qui, en tâtonnant, ont permis aux ingénieurs de théoriser le monde. CORRIGÉ INTRODUCTION Quelle est la différence entre connaissance empirique et connaissance théorique? Celle-ci est-elle seulement plus abstraite, ou sa fin est-elle différente? 1.

La «pensée technique» est seulement efficace. »

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