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Admettriez-vous que dire c'est faire ?

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« Introduction • Le premier terme qui demande à être clarifié est le verbe « admettre », qui signifie accepter et considérer comme valable pour l'esprit.

Étant donnés le temps et le sens du verbe, l'intitulé du sujet sous-entend qu'un certain nombre de raisons négatives pourraient nous conduire à refuser l'idée que dire soit un acte. Que signifie maintenant le verbe dire ? Dire, c'est exprimer et communiquer ses sentiments ou sa pensée par la parole.

Cette définition est d'importance : elle nous montre que ce sujet de dissertation n'est pas centré sur le langage, mais bien sur la parole, acte individuel par lequel s'exerce la fonction du langage.

Ce dernier se définit comme la faculté d'exprimer verbalement sa pensée, comme la fonction générale de communication.

La langue, quant à elle, désigne « le système d'expression parlée particulier à telle communauté humaine ».

La parole, enfin, sur laquelle porte l'intitulé du sujet, désigne la réalité humaine se faisant jour dans l'expression.

C'est la parole qui est véritablement concrète et chargée d'intentions particulières. Enfin, le verbe faire signifie réaliser un être, accomplir une action.

Ce terme est porteur d'une dimension pratique et non point spéculative.

On le voit, ce sont les notions d'acte, d'action, d'activité qui devront constituer l'objet de notre réflexion. Le sens du sujet est donc le suivant : considéreriez-vous (éventuellement) comme valable l'idée qu'exprimer sa pensée par la parole représente un acte ? • Bien entendu, l'idée que la parole soit un acte est, à première vue, assez paradoxale.

En effet, dire, exprimer ses sentiments ou ses pensées par la parole représente, à première vue, non point un acte, mais une constatation. Quand je dis qu'il fait beau, en quoi y a-t-il un acte ? Il s'agit, ici, d'une affirmation, ou vraie ou fausse.

Je suis alors, comme disent les linguistes, dans la sphère du « constatif».

En d'autres termes, le « dire », la parole, ne sont apparemment que des signes d'états de mon âme.

Ils semblent n'exprimer que des idées ou des sensations, mais ne s'affirment nullement, a priori, comme des actes purs et simples.

L'intitulé de sujet est donc paradoxal. Le problème est alors de savoir si la parole représente un pouvoir et possède une efficace propre.

Il s'agit de comprendre si dire est un pouvoir. A) La première parole : le primitif et l'enfant. Ainsi, dire, c'est exprimer, théoriquement et spéculativement, dirons-nous en première analyse.

Néanmoins, l'existence d'une « parole-action », d'un « dire-pratique », est tout à fait évidente au niveau de la parole première, celle du primitif ou de l'enfant ; chez le primitif, dire possède, en effet, un caractère profondément démiurgique.

Loin d'être théorique, liée à une constatation, à un état de ce qui est, sa parole transforme et fait le réel, elle le crée ex nihilo.

A partir du moment où le « dire » intervient, où le mot est prononcé, l'individu qui énonce possède véritablement une puissance sur l'objet exprimé.

La parole est, ici, tout entière thaumaturgique : elle fait des miracles, des merveilles, elle agit sur le réel qu'elle transforme.

«Par exemple, une peuplade primitive des Indes néerlandaises possède un système de médecine qui repose tout entier sur les noms des maladies et des remèdes. On utilisera les plantes et les substances dont le nom évoque la santé ou la guérison, on évitera celles dont le nom fait penser à la maladie, comme si en France on employait l'oeillet pour le mal à l'oeil, ou les pois pour les patients qui désirent gagner du poids...

Le calembour devient une technique parce que le jeu de mots indique une opération au niveau même de l'être » (G.

Gusdorf, La parole, p.

11).

Ainsi, « dire, c'est faire » ; il s'agit, en somme, d'employer le bon mot, de manière rigoureuse, et celui qui l'emploie progresse dès lors dans la voie de la thérapeutique.

Dans cette perspective, tel mot ne doit pas être divulgué ni révélé, puisqu'il possède une puissance et un pouvoir.

Aussi faudra-t-il le tenir secret. Ainsi le pouvoir thaumaturgique du sorcier peut-il s'appuyer, dans toutes les sociétés dites primitives, soit sur un fragment de la personne (cheveu, excrément, rognure d'ongle, etc.) soit sur son nom, qui est, au fond, une parcelle de la personne.

Possédant le nom, le sorcier peut, par certaines pratiques magiques, faire périr la personne.

Dire, c'est faire.

Les sorciers ou les prêtres, grâce aux noms, possèdent l'art et la « technique ».

La parole détient une puissance magique et efficace.

C'est la parole qui fait la vie. Mais ce n'est pas seulement l'humanité primitive qui est concernée par cette thaumaturgie de la parole.

L'enfant, lui aussi, voit dans le « dire » un « faire ».

S'il est si anxieux d'attribuer aux choses un nom, c'est parce que, à ses yeux, énoncer par la parole est fécond et créateur.

Le mot crée.

Le signe linguistique représente une puissance. Ainsi, l'humanité primitive et l'enfant attribuent au « dire » une valeur magique et religieuse.

En énonçant, en exprimant, ils réalisent quelque chose et ont prise sur le réel.

Leurs mots sont de la dynamite.

Loin de s'en tenir à une pure expression, ils forment les choses et les modèlent. Qu'en est-il maintenant de l'homme « adulte » et « civilisé », du « dire » qui est le nôtre dans la vie quotidienne de nos sociétés? B) Notre parole quotidienne et sociale : dire, c'est faire. • Dans nos vies quotidiennes, on notera, tout d'abord, que la magie et la thaumaturgie verbales et sociales règnent en maîtresses.

Pour nous aussi, le « dire» possède, bien souvent, une puissance magique.

Prenons, par exemple, le cas de ces inter-relations sociales où la politesse, cet art de ne pas blesser autrui et de préserver sa sensibilité, est délibérément sacrifiée.

Si je dis, en entrant dans la demeure de tel individu « C'est réellement inconfortable ici ! », ou si je remarque, à haute voix, le caractère excentrique de tel vêtement de mes proches, il est évident que, dans ces cas précis, ma parole est profondément thaumaturgique : en effet, même si la demeure de mes « amis » est suffisamment spacieuse, même si mes mots sont vides et faux, j'ai créé, grâce à eux, quelque chose qui existe et. »

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