À quoi bon raisonner ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet
La question « à quoi bon » comporte une nuance de pessimisme, de doute désabusé que ne contient pas la simple
question « pourquoi » : il faudra se souvenir de cet a priori négatif que l'on porte sur l'objet de la question lorsque
l'on demande « à quoi bon ? ».
Mot à mot, cette question porte sur l'utilité d'une chose, sur ce à quoi elle est
bonne.
« Raisonner », c'est user de sa raison (cela pourrait par exemple s'opposer à l'idée de suivre ses pulsions ou ses
passions), considérée comme une haute faculté propre à l'espèce humaine, mais ce verbe peut aussi avoir le sens
de mener un raisonnement mathématique, ou de s'efforcer de faire adopter à quelqu'un une conduite raisonnable.
Le sujet adopte donc d'emblée une position assez dubitative sur une des principales facultés humaines, peut-être
pour lui préférer d'autres attributs de l'espèce humaines (les passions, les pulsions) ou pour remettre totalement en
cause la raison et faire le constat d'une impuissance fondamentale de l'homme.
A quoi nous sert la raison ? A comprendre et organiser le monde qui nous entoure, à être capable de dépasser
certaines impulsions et de peser le pour et le contre dans diverses situations qui exigent des choix de notre part...
Qu'est-ce qui peut aller contre la raison ? Ses propres défaillances (maladies mentales, par exemple), mais aussi des
obstacles présents naturellement dans le monde environnant (d'autres personnes, également dotées de raison, qui
s'opposent à nous, des obstacles physiques, sociaux...).
La raison existe et a une puissance réelle en l'individu, mais
elle se heurte en permanence à des obstacles qui lui sont extérieurs.
Peut-on alors toujours parler de toutepuissance de la raison et dire, par exemple à la manière des stoïciens, que le plein exercice de la raison constitue à
faire en sorte qu'elle ait prise sur tout ce qui se confronte à elle, afin de lui assurer une entière domination ? Ou bien
faut-il au contraire adopter une position désabusée, qui est celle que semble présupposer la formulation du sujet, et
refuser d'accorder à la raison beaucoup de pouvoir pour peut-être lui préférer d'autres instances – et célébrer par
exemple la folie, l'intuition ?
C'est une alternative difficile à trancher ; il faudra en examiner les deux branches pour prendre finalement position.
Références utiles
Marc Aurèle, Pensées
Érasme, Éloge de la folie
Textes à utiliser
Descartes, Lettres à Elisabeth, Lettre du 18 mai 1645
Il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste
principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou
malheureuses que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres
ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus
violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les affections
mêmes leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie.
(...) Ainsi, ressentant de
la douleur en leur corps, elles s'exercent à la supporter patiemment, et cette épreuve qu'elles font de leur force,
leur est agréable, ainsi voyant leurs amis en quelque grande affliction, elles compatissent à leur mal, et font tout
leur possible pour les en délivrer, et ne craignent pas même de s'exposer à la mort pour ce sujet, s'il en est besoin.
Mais, cependant, le témoignage que leur donne leur conscience, de ce qu'elles s'acquittent en cela de leur devoir,
et font une action louable et vertueuse, les rend plus heureuses, que toute la tristesse, que leur donne la
compassion, ne les afflige.
Et enfin, comme les plus grandes prospérités de la fortune ne les enivrent jamais, et ne
les rendent point plus insolentes, aussi les plus grandes adversités ne les peuvent abattre ni rendre si tristes, que le
corps, auquel elles sont jointes, en devienne malade.
Malebranche
Tout le monde se pique de raison, et tout le monde y renonce : cela parait se contredire, mais rien n'est plus vrai.
Tout le monde se pique de raison, parce que tout homme porte écrit dans le fond de son être que d'avoir part a la
raison, c'est un droit essentiel a notre nature.
Mais tout le monde y renonce parce qu'on ne peut s'unir à la raison,
et recevoir d'elle la lumière et l'intelligence, sans une espèce de travail fort désolant, a cause qu'il n'y a rien qui
flatte les sens.
Ainsi les hommes voulant invinciblement être heureux, ils laissent la le travail de l'attention, qui les
rend actuellement malheureux.
Mais s'ils le laissent, ils prétendent ordinairement que c'est par raison.
Le voluptueux croit devoir préférer les plaisirs actuels a une vue sèche et abstraite de la vérité qui coûte néanmoins
beaucoup de peine.
L'ambitieux prétend que l'objet de la passion est quelque chose de réel, et que les biens
intelligibles ne sont qu'illusions et que fantômes ; car d'ordinaire, on juge de la solidité des biens par l'impression
qu'ils font sur l'imagination et sur les sens.
Il y a même des personnes de pitié, qui prouvent par raison qu'il faut
renoncer a la raison, que ce n'est point la lumière mais la foi seule qui doit nous conduire et que L'obéissance
aveugle est la principale vertu des chrétiens..
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