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A chacun sa vérité. Qu'en pensez vous?

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« Peut-on dire : « A chacun sa vérité » ? Introduction.

— Il est des questions capitales sur lesquelles il est impossible de parvenir à un accord.

Au lieu d'éterniser les discussions et à plus forte raison de prétendre imposer sa pensée par la violence, ne vaut-il pas mieux laisser aux autres la liberté de leurs opinions et dire : « A chacun sa vérité » ? A.

Sans doute la vérité est une.

Si ce que j'appelle ma vérité s'oppose à ce que vous professez être la vôtre, nécessairement l'un de nous deux se trompe.

Il semblerait donc qu'il faudrait répondre négativement à la question posée. Mais comment déterminer cette vérité une et qui devrait être identique pour tous ? Dans bien des domaines de la vie pratique, l'expérience, soit personnelle, soit collective, y suffit.

On ne discute pas non plus les conclusions des raisonnements mathématiques. B.

Lorsque l'accord s'avère impossible, c'est qu'interviennent : d'une part, des conceptions générales ne comportant pas une évidence qui s'impose à tous ; d'autre part, des passions ou des intérêts personnels.

Citons : la philosophie, la religion, la politique...

Peut-on, dans ces cas : « à chacun sa vérité » ? Le sophiste Protagoras, écrit Diogène Laerce « fut le premier qui déclara que sur toute chose on pouvait faire deux discours exactement contraires, et il usa de cette méthode ». Selon Protagoras, « l'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont en tant qu'elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu'elles ne sont pas » Comment doit-on comprendre cette affirmation ? Non pas, semble-t-il, par référence à un sujet humain universel, semblable en un sens au sujet cartésien ou kantien, mais dans le sens individuel du mot homme, « ce qui revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même » (Aristote, « Métaphysique », k,6) ou encore que « telles m'apparaissent à moi les choses en chaque cas, telles elles existent pour moi ; telles elles t'apparaissent à toi, telles pour toi elles existent » (Platon, « Théétète », 152,a). Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que tout est vrai ? Affirmer l'égale vérité des opinions individuelles portant sur un même objet et ce malgré leur diversité, revient à poser que « la même chose peut, à la fois, être et n'être pas » (Aristote).

C'est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe de non-contradiction., selon lequel « il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport ».

Or, un tel principe en ce qu'il est premier est inconditionné et donc non démontrable.

En effet, d'une part, s'il était démontrable, il dépendrait d'un autre principe, mais un tel principe supposerait implicitement le rejet du principe contraire et se fonderait alors sur la conséquence qu'il était sensé démontrer ; on se livrerait donc à une pétition de principe ; et d'autre part, réclamer la démonstration de toute chose, et donc de ce principe aussi, c'est faire preuve d'une « grossière ignorance », puisqu'alors « on irait à l'infini, de telle sorte que, même ainsi, il n'y aurait pas démonstration ».

C'est dire qu' « il est absolument impossible de tout démontrer », et c ‘est dire aussi qu'on ne peut opposer, à ceux qui nient le principe de contradiction, une démonstration qui le fonderait, au sens fort du terme. Mais si une telle démonstration est exclue, on peut cependant « établir par réfutation l'impossibilité que la même chose soit et ne soit pas, pourvu que l'adversaire dise seulement quelque chose ».

Le point de départ, c'est donc le langage, en tant qu'il est porteur d'une signification déterminée pour celui qui parle et pour son interlocuteur.

Or, précisément, affirmer l'identique vérité de propositions contradictoires, c'est renoncer au langage.

Si dire « ceci est blanc », alors « blanc » ne signifie plus rien de déterminé.

Le négateur du principe de contradiction semble parler, mais e fait il « ne dit pas ce qu'il dit » et de ce fait ruine « tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité, avec soi-même ».

En niant ce principe, il nie corrélativement sa propre négation ; il rend identiques non pas seulement les opposés, mais toutes choses, et les sons qu'il émet, n'ayant plus de sens définis, ne sont que des bruits.

« Un tel homme, en tant que tel, est dès lors semblable à un végétal." Si la négation du principe de contradiction ruine la possibilité de toute communication par le langage, elle détruit aussi corrélativement la stabilité des choses, des êtres singuliers.

Si le blanc est aussi non-blanc, l'homme non-homme, alors il n'existe plus aucune différence entre les êtres ; toutes choses sot confondues et « par suite rien n'existe réellement ».

Aucune chose n'est ce qu'elle est, puisque rien ne possède une nature définie, et « de toute façon, le mot être est à éliminer » (Platon). La réfutation des philosophes qui, comme Protagoras, nient le principe de contradiction a donc permis la mise en évidence du substrat requis par l'idée de vérité.

Celle-ci suppose qu'il existe des êtres possédant une nature définie ; et c'est cette stabilité ontologique qui fonde en définitive le principe de contradiction dans la sphère de la pensée.

C'est donc l'être qui est mesure et condition du vrai, et non l'opinion singulière.

« Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc que tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc qu'en disant que tu l'es nous disons la vérité » (Aristote). Puisque, s'il est vrai que tout est vrai, le contraire de cette affirmation ne saurait être faux, le relativisme trouve sa vérité dans le scepticisme.

Dire que tout est vrai, c'est dire tout aussi bien que tout est incertain et que rien ne peut être dit vrai. Il apparaît que le scepticisme comme le relativisme est une position intenable.

Dès qu'il se dit il se contredit. Non, évidemment, lorsque la mise en pratique de ce principe impliquerait sa contradiction.

C e serait le cas du fanatique qui se reconnaîtrait le droit d'éliminer par la violence ceux qui professent une opinion contraire à celle qu'il tient pour la vérité ; du procédurier qui jugerait impensable que le tribunal puisse donner raison à son adversaire.

« A chacun sa vérité dans les cas de désaccord irréductible, mais à la condition que chacun reconnaisse le droit de l'autre à sa propre vérité. Oui quand la vérité admise n'intéresse que celui qui la professe, et dans deux sens: en ce premier sens que la prise de conscience des vérités en question étant le fait de chacun, ce que chacun a reconnu vrai est bien sa vérité ; il faudrait d'ailleurs que chacun fasse siennes, c'est-à-dire s'assimile, les vérités qu'il tient de son milieu et de son éducation ; — en ce second sens qu'une règle de vie pratique, par exemple en fait de régime — intellectuel ou spirituel aussi bien qu'alimentaire —, peut être vraie, c'est-à-dire bonne, pour les uns et fausse, c'est-à-dire mauvaise, pour d'autres. Conclusion.

— Ainsi compris, le principe « à chacun sa vérité » n'implique pas une indifférence sceptique.

Peut-être même manifeste-t-il un respect plus authentique de la vérité que le principe contraire : « la même vérité pour tous ».. »

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