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Séquence IV) Apollinaire, Alcools, « Zone », 1913, du début jusqu'à « Avenue des Ternes », vers 1 à 24, EL10mn.

Publié le 18/06/2023

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« Séquence IV) Apollinaire, Alcools, « Zone », 1913, du début jusqu'à « Avenue des Ternes », vers 1 à 24, EL10mn. Introduction : Le recueil Alcools a été publié par Guillaume Apollinaire en avril 1913.

Il comprend des poèmes de tous ordres, dénués de ponctuation, écrits entre 1898 et 1912, qui ne sont pas classés chronologiquement et qui constituent une sorte de marqueterie ou de mosaïque.

« Zone » , le long poème en vers libres (=vers de longueur disparates, sans rimes au sens propre du terme, la dernière syllabe étant cependant accentuée en fin de vers) qui ouvre le recueil, est en fait le dernier poème écrit avant la publication.

Le terme « zone » offre une grande richesse : il fait partie des rares mots français commençant par la lettre Z, ce qui laisse supposer fantaisie et originalité.

Il peut tout aussi bien désigner un espace dont les frontières st peu définies ou, au contraire, bien délimitées.

Il renvoie, à l’époque d’Apollinaire, à la zone qui entourait Paris, à savoir les faubourgs, et encore à la Bohême parisienne.

Il peut s’agir également d’une zone franche, c’est-à-dire du territoire situé entre deux frontières en référence à son sens premier en grec, "zônê" , ceinture, pour désigner cet espace littéraire entre tradition et modernité où s'inscrit Apollinaire.

En quoi ce texte liminaire constitue-t-il un art poétique ( = texte qui dessine les thèmes, les enjeux du recueil et sa façon d'écrire) ? L'esprit nouveau qui souffle du v1 au v10 prépare la célébration de la ville moderne, v11 à 24. I) VERS 1 A 10 : PROCLAMATION DE L ESPRIT NOUVEAU a) Vers 1 à 4 : une volonté de renouveau V1 : A la fin tu es las de ce monde ancien - Le 1er vers, ancré dans le présent d’énonciation (2ème personne + déictique « ce »), exprime le désir d’entrer dans une ère nouvelle : - en commençant par le CCT « A la fin », en rapprochant « las » et « ancien », en rattachant le passé à la lassitude comme l’atteste le CL de l'ennui (« fin », « las », "assez" « monde ancien »), en créant un effet de sourdine avec les nasales : "fin", « ancien », et "monde") . - par la mesure indéterminée du vers (alexandrin ou hendécasyllabe : vers de 12 ou de 11 syll?) dans un poème en vers libres. - Familiarité instaurée par le tutoiement mais qui recouvre le pronom « tu » ? : le lecteur ? le poète qui se dédouble ? la tour Eiffel ? C’est également une façon de placer le lyrisme à distance. V2 Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin -Cette volonté de renouveau se concrétise, dès le 2ème vers, par la mesure inhabituelle (6 ( =3/3) +5+5 : 16 syllabes) et la revivification d’images anciennes de la pastorale1 : la bergère est associée au symbole de la modernité, la tour Eiffel, par une harmonie imitative en [ɛ] (=è), tandis que la métaphore filée se déploie grâce au jeu de mots sur bergère/berges -de Parisassociant la bergère au « troupeau des ponts » par une hypallage2 qui se substitue au « troupeau de moutons » en raison d'une analogie entre l'arche des ponts et le dos des ovidés.

Cette écriture qui semble s’engendrer elle-même 3 et qui n’est pas dénuée d’humour célèbre la vitalité ambiante. - L’invocation « ô » rend hommage à la « tour Eiffel », inspirante et moderne, avec un lyrisme teinté d’émerveillement pour des choses étonnantes, surprenantes, dans la tradition des mirabilia. V3 Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine - La volonté de renouveau est également traduite par l’écho entre le v3 et le v1 avec le refus affiché du néo-classicisme mais également avec l’ambiguïté syntaxique : « ce matin » à la fin du vers en complète la phrase mais peut éventuellement être rattaché au vers suivant dans lequel il suggère l’éveil voire le réveil, ce qui offre une certaine liberté au lecteur qui peut trancher ou, au contraire, accepter toutes les possibilités de sens. -V1, 2, 3 : Il est important de noter que ces trois vers liminaires sont mis en valeur par des blancs et contiennent déjà toute la démarche de « l'esprit nouveau » : absence de ponctuation dans ces vers libres, liberté accrue du lecteur, création d’images inhabituelles, écriture proche du cubisme par son éclatement apparent. V4 Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes - Le vers 4 fait apparaître l'image du poète, « guetteur mélancolique », selon le titre donné à des inédits du poète, qui débusque le nouveau mais qui est aussi capable de discerner ce qui, dans le moderne, est déjà ancien 4.

Ainsi les automobiles, invention pourtant récentes, lui paraissent paradoxalement déjà surannées. b) v 5 à 10 : une incursion surprenante dans le christianisme 1 2 3 Pastorale : récit, pièce ou poème évoquant les amours de bergers et bergères idéalisés. Une hypallage : consiste en un glissement d’un mot, d’une place à une autre. en rappelant l'étymologie de "poiein" (=faire, créer en grec) par les associations d'idées et de sonorités qui filent la métaphore. Dans une de ses conférences sur l’esprit nouveau, Apollinaire insiste sur l'importance de la surprise dans sa poétique : « La surprise est le grand ressort nouveau », Mercure de France, 1908, conférence au Vieux- Colombier, 1917. 4 V 5 La religion seule est restée toute neuve la religion V6 Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation -Nous sommes justement surpris par l'éloge paradoxal5 de la religion catholique ac la comparaison cocasse qui assimile le christianisme à la modernité à travers l’image de l’aviation et du prestigieux aérodrome de Viry-Châtillon (Essone) inauguré en 1909. -La répétition et la place du GN « la religion » en début et en fin de vers, la répétition de la tournure verbale au passé composé « est restée » en enjambement, l’écho sonore entre « seule » et « neuve », enfin l’adverbe « tout » signifiant totalement, entièrement provoquent d'autant plus la surprise du lecteur que ces moyens d'insistance confèrent une tonalité catégorique à cette série de paradoxes. -La comparaison de la religion avec l’aviation annonce l’analogie fantaisiste contenue dans les vers suivants, (v 40-41) entre les prouesses récentes de l’aviation et l’ascension du Christ qui « monte au ciel mieux que les aviateurs » et « détient le record du monde pour la hauteur » en lien avec la faculté d'élévation spirituelle de la religion. V7 Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme V8 L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X -Les échos tissés entre les vers 7 et 8 par les paradoxes : « Europe / européen //pas antique / le plus moderne// christianisme/pape Pie X, l 'antéposition de l'adj "seul", le recours au superlatif de supériorité « le plus moderne » , l'invocation "ô christianisme" et l'inversion syntaxique soulignant le présentatif "c'est vous" proclament à nouveau la force pérenne (=éternelle) de la religion chrétienne alors même qu'elle est souvent jugée rétrograde notamment à travers la pape Pie X, pape particulièrement conservateur. -Quant à la référence à l'Europe, elle rappelle les origines cosmopolites d'Apollinaire, issu d'une famille polonaise juive de Russie, par sa mère, et d'une famille italienne par son père, qui sillonna l'Europe (Allemagne, Belgique, Angleterre, Hollande…) avant d'obtenir sa nationalité française en 1916. c) Une conscience douloureuse : V 9 Et toi que les fenêtres observent la honte te retient V 10 D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin - Le motif religieux se prolonge à travers le CL de la culpabilité : « honte », « retient », « confesser » et le vb « retenir » souligné par l'enjambement qui renvoie peut-être à un passé trop lourd ou/et qui atteste le respect du lieu sacré, de la maison de Dieu.

D'autre part, le vb de vue « observent » et la personnification des « fenêtres » peuvent renvoyer à ceux qui derrière les « fenêtres » espionnent leur prochain, les Pharisiens, mais aussi au regard universel de Dieu. -Ces deux vers expriment également une expérience du dédoublement du poète comme du lecteur, invité à se projeter, à se laisser guider par ce tutoiement omniprésent, le pronom personnel « toi » se déclinant en « tu » ( v 1, 3, ,11), en « te » (10).

Cette mise à distance du je lyrique accentue l'originalité de ces déclarations et donne aussi l'impression que le poète fait une mise au point étonnée sur lui-même. -Quoi qu’il en soit, la récurrence de la référence temporelle « ce matin » aux vers 2, 10, 12 s’inscrit dans le présent.... »

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