Lecture linéaire n°2 : la mort de Manon
Publié le 31/10/2025
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Lecture linéaire n°2 : la mort de Manon
Objet d’étude : le roman et le récit – parcours : personnages en marge
Introduction :
L’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, plus communément
appelé Manon Lescaut est un roman mémoire de l'abbé Prévost faisant partie des
Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde, œuvre cadre
constituée de sept volumes écrits entre 1728 et 1733.
Manon Lescaut correspond au
septième et dernier volume de ces mémoires.
Ce récit a été écrit en 1731 alors que
l'abbé Prévot vit en exil.
Le volume est publié une première fois dans une édition
séparée en juin 1733.
Interdit en France il est saisi et condamné au feu point le
roman remporte néanmoins un vif succès et fait l'objet d'une dernière édition revue et
corrigée par l'abbé Prévost en 1753.
L'histoire de Manon Lescaut est rapportée par le
chevalier Des Grieux, narrateur interne qui se confie un monsieur de Renoncour,
l'homme de qualité du récit-cadre qui a rencontré le chevalier errant dans Calais et
qui l’a pris en pitié.
DG, dans un récit rétrospectif, confie à Renoncour sa passion
malheureuse pour Manon, une jeune fille avide de plaisir et de liberté.
Les
mésaventures du personnage ne sont d'ailleurs pas sans évoquer le propre parcours
de l'abbé Prévost (1697-1763) dont la vie fut au moins aussi mouvementée que celle
DG.
Moine puis curé défroqué tantôt soldat tantôt aventurier il mène une vie
d'errance avant de se stabiliser dans les 20 dernières années de son existence.
C’est
d’ailleurs pour cela qu’il s’est ironiquement nommé lui-même l’abbé Prévost d’Exiles.
Il fut, également, comme DG, amoureux d'une aventurière, Linky Eckart qui le poussa
à commettre des dettes et des délits.
Enfin, on peut le considérer comme un écrivain
précurseur des Lumières car s’il nous met en garde contre les dangers de la passion,
il dénonce aussi implicitement une société rigide qui entrave la liberté d’aimer en
dehors des convenances.
[Présentation précise du texte] : Notre passage, figurant dans la deuxième et
dernière partie du récit, évoque la mort de Manon suite à la déportation de Manon en
Amérique, sort réservée aux prostitués en France entre 1719 et 1720.
Le Chevalier
Des Grieux a accompagné Manon dans ce périple et a été accueillie dans une colonie
avec Manon.
Cette dernière a attiré l’attention du neveu du Gouverneur, Synnelet, qui
a exigé en dépit de l’amour du Chevalier que Manon devienne son épouse.
Synnelet
et le Chevalier Des Grieux se sont battus en duel pour revendiquer Manon et Synnelet
a été grièvement blessé, obligeant Manon et Des Grieux à fuir.
Manon, affaiblie par la
marche trouve la mort durant la nuit.
Le Chevalier Des Grieux fait dans ce texte le
récit de cette nuit à Renoncour.
[Problématique] : Nous chercherons à montrer que notre passage rend compte de
la violence du souvenir pour le Chevalier Des Grieux au point d’être hanté à jamais.
[Annonce des mouvements du texte] Pour traiter cette question, notre lecture
linéaire s’appuiera sur les trois mouvements suivants.
Nous verrons d’abord que, de
la ligne 1 à 4, DG rapporte à Renoncour le récit d’un souvenir extrêmement
douloureux.
Ensuite, des lignes 5 à 17 nous étudierons la mort pathétique de Manon.
Enfin, nous montrerons, de la ligne 18 jusqu’à la fin du texte que DG est hanté par ce
souvenir et montre qu’il est moralement détruit.
1er mouvement : premier paragraphe : L1 à 4 : un souvenir
extrêmement douloureux.
Pardonnez, si j’achève en peu de mots un récit qui me tue.
Je vais vous raconter un
malheur qui n’eut jamais d’exemple.
Toute ma vie est destinée à le pleurer.
Mais, quoique je
le porte sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d’horreur, chaque fois que
j’entreprends de l’exprimer.
Dès la première phrase, DG souligne son extrême difficulté à évoquer la
mort de Manon = événement trop douloureux pour être rapporté : souffrance
indicible, qui le prive de la parole : « Pardonnez, si j’achève en peu de mots un
récit qui me tue ».
L1.
Le lyrisme du chevalier des Grieux préfigure le
mouvement littéraire du romantisme.
-
Impératif pardonnez : appel à la pitié de Renoncour, mais aussi du lecteur =
mise en abyme + registre pathétique omniprésent dans le second mouvement.
-
1ère phrase : très courte, faites de termes mono ou bisyllabiques (Mono :
si ; en peu, mots etc…Bisyllabique : récit) : souffrance telle qu’elle
empêche DG de développer pour l’instant sa pensée ;
DG inscrit aussi son récit dans le registre tragique : périphrases funestes :
« qui me tue » (L1) ; « un malheur qui n’eut jamais d’exemples » (L1-2) =
annonce
le
troisième
mouvement
du
texte
(écho)=
DG
brisé,
irrémédiablement détruit par la mort de Manon, idée explicitement exprimée
par la phrase simple : « Toute ma vie est destinée à la pleurer ».
Champ lexical
de la fatalité, du malheur et de la mort : « tue ; malheur ; toute ma vie,
destinée, pleurer ».
Traumatisme
également
indélébile :
utilisation
du
présent
de
narration mais aussi d’habitude : dans tout le premier mouvement comme
le troisième (en partie aussi dans le second).
Mort de Manon : fardeau
mental qui hante Des Grieux, même avec le recul du temps : indices
fréquentatifs : « toute ma vie ; sans cesse (que je le porte sans cesse dans
ma mémoire ; chaque fois » (L3) + verbe d’action porter : supporter :
connotent le fardeau, la charge mentale insupportable.
En somme, la mort de Manon = véritable cauchemar éveillé, sorte de
damnation sur Terre qui torture sans cesse DG : tunique de Nessus : Cf
substantif hyperbolique : « horreur » corrélé au substantif « âme » : « mon
âme semble reculer d’horreur chaque fois que j’entreprends de l’exprimer.
»
A noter : le verbe « exprimer », euphémisme pour raconter, dire, expliquer.
La tunique de Nessus : Le centaure Nessus, après avoir tenté d’agresser
Déjanire, l’épouse d’Héraklès, est grièvement blessé par une flèche lancée par
le héros.
Avant de mourir, il « instruit » Déjanire que son sang a la propriété de
garantir la fidélité et que par conséquent, si elle enduit la tunique de son sang
et qu’elle fait revêtir cet habit à son ami, il lui sera à jamais fidèle.
Déjanire
n’entend pas la ruse et fait selon les indications du centaure provoquant la mort
de Héraklès avec du sang qui était en réalité du poison.
Le Chevalier Des Grieux est celui qui avait couvert de sa tunique le corps de son
épouse, littéralement et symboliquement : il est donc responsable de la mort de
Manon.
Cela explique sa difficulté à en parler.
Le Chevalier Des Grieux est celui qui avait couvert de sa tunique le corps de son
épouse, littéralement et symboliquement : il est donc …………………………….
de la mort
de Manon.
Cela explique sa difficulté à en ……………….
Mais ce premier mouvement = fonction dramatique aussi = suscite,
excite la curiosité du lecteur qui veut savoir.
Effet d’attente : « un
malheur
qui
n’eut
point
d’exemples »
(négation
totale
=
événement
exceptionnel) ; verbe d’action reculer : sorte de chantage auprès du lecteur =
DG va -t-il être capable de raconter la mort de Manon ? Manœuvre déceptive
qui attise là encore l’impatience du lecteur.
Idem : impératif : « Pardonnez » = pardonnez-moi si je vous fais attendre en
retardant le récit de la mort de Manon.
2nd mouvement : second paragraphe : Une mort pathétique (L517)
Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit.
Je croyais ma chère maîtresse
endormie et je n’osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil.
Je
m’aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains, qu’elle les avait froides et
tremblantes.
Je les approchai de mon sein, pour les échauffer.
Elle sentit ce mouvement, et,
faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit, d’une voix faible, qu’elle se croyait à se
dernière heure.
Je ne pris d’abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l’infortune,
et je n’y répondis que par les tendres consolations de l’amour.
Mais, ses soupirs fréquents,
son silence à mes interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait
de tenir les miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait.
N’exigez point
de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières
expressions.
Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour, au moment même qu’elle
expirait.
C’est tout ce que j’ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable évènement.
Rappel : la mort de Manon = désert de la Louisiane : motif préromantique de la
nature comme refuge+ exil forcé des héros incompris et rejeté par les autres
= Manon meurt « comme un chien », à l’écart de la civilisation qui ne veut pas d’elle.
Mais rappel : fille de la nature, sorte de....
»
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