La Paix dans une gorgée d’eau Un Acte par Henri Brochet 1
Publié le 09/12/2023
Extrait du document
«
La Paix dans une gorgée d’eau
Un Acte
par Henri Brochet 1
Jeux, Tréteaux et Personnages
Personnages :
LE BON PÈRE VINCENT
GUILLAUME
MARCELINE
(A gauche, le couvent du bon Père Vincent : deux maigres colonnes soutenant un
arceau.
- A droite, la maison de Guillaume et de Marceline : une table
derrière laquelle est un siège.
- Au centre, la rue.
Entre à droite, chez lui, Guillaume, le journal à la main, - Il s'arrête en voyant la table
vide ; il regarde autour de lui ; personne.
- Il regarde sa montre,
hoche la tête et va s'asseoir derrière la table, puis) :
GUILLAUME
Marceline ! (Un temps.) Marceline ! (Un temps.) Eh bien, Marceline ! (Un temps.)
Allons ! Allons ! (Un temps plus long.
- Il s'adresse au public :) Je ne suis pas méchant,
oh là non, pas méchant pour un sou, cependant il me semble que chez moi j'ai le droit
d'élever la voix.
(Il appelle de nouveau :) Marceline ! (Un temps assez long, puis, de
nouveau au public :) J'ai d'autant plus le droit d'élever la voix que j'appelle ma femme et
que ma femme ne me répond pas.
(Il tend l'oreille, puis, reprenant son discours :) Non.
Je croyais l'avoir entendue ; mais sa parole n'est pas de celles qu'on confond avec un
murmure.
(Il appelle :) Marceline ! (Même jeu que plus haut.) Je l'appellerai donc
encore et de nouveau jusqu'au moment où elle aura jugé bon de m'entendre d'abord, de
me répondre ensuite.
Marceline ! (Un temps plus court ; il continue.) Un mari qui rentre
chez lui à une heure de l'après-midi et qui ne trouve pas son dîner prêt peut n'être pas de
bonne humeur.
- Marceline ! (Un temps très court.) Non que la chose ne m'arrive
quotidiennement - quotidie - c'est-à-dire chaque jour.
- Marceline ! (Il continue
aussitôt.) Mais j'ai l'esprit ainsi formé que j'estime qu'il n'est de bon ménage que celui
où le mari commande et où la femme sait lui être soumise.
Marceline ! - Oui
Mesdames ! - Je ne dis pas « oui messieurs », car tous les hommes, mes confrères, sont
de mon avis.
Oui mesdames, il faut que l'un commande - gentiment, s'entend, gentiment,
- et si l'un commande, il faut donc que l'autre obéisse, - et non moins gentiment.
Marceline ! Vous me direz qu'au lieu de vous faire un discours, je ferai mieux de vous
donner l'exemple d'un ménage bien ordonné.
Marceline ! Marceline ! - Fais-je donc
autre chose que de donner des ordres.
- Marceline ! Mais si je connais bien mon rôle, ma
femme n'entend pas le sien.
- Et c'est pourquoi je crie : (Il hurle :) Marceline !
Marceline ! Marceline ! Marceline ! afin qu'elle ouvre les oreilles et qu'elle fasse preuve
de bonne intelligence.
- (Un temps plus long.
- Il regarde autour de lui.
Rien ne vient.
Sans se faire plus de mauvais sang, il souffle un peu, puis déplie son journal, et, avant
1
Voici une nouvelle réédition de ce petit acte qui conviait toujours le même succès.
Publié par nous le 15
janvier 1937 (Cahier.
N.
65), il avait été réédité le 15 février 1939 (Cahier n° 86).
C'est parce qu'il est de nouveau
épuisé que nous nous décidons à en donner une 3ème édition.
1
de commencer à lire :) L'offensive ayant échoué, gardons notre sang-froid, nos forces et
nos munitions pour parer à la défensive.
(Il lit.
- Un temps.) « Un mari tue sa sixième
femme ».
Eh ? Il avait tué les cinq autres ? (Il lit.) Non.
Elles étaient mortes de leur belle
mort.
- Sans doute, à la sixième, les forces de résistance lui auront-elles fait défaut.
Crime de la faiblesse : avec un peu de courage, il serait venu à bout de la dernière
comme des cinq premières.
(Instinctivement, il appelle :) Marceline ! (Puis, se
reprenant :) Non, Guillaume ! Non ! Tu n'en es qu'à la première ; conserve ton sangfroid.
(Il continue sa lecture :) « Une femme tue son mari ».
Eh ? Son premier mari ? On
reconnaît bien là le sexe faible ! (Marceline paraît au fond droit.) Pour moi...
MARCELINE, d'un ton froid, sec, rapide comme un torrent, qui contraste avec le
ton bien rond de Guillaume
Pour toi ? Que dis-tu ? Tu as peut-être quelque chose à dire ? Peut-être que,
rentrant après une heure pour prendre le repas de midi, tu auras à me faire quelques-uns
de tes compliments habituels : « Naturellement, le couvert n'est pas mis...
Je veux qu'on
me serve au doigt et à l'œil...
Maître Guillaume est le maître chez lui...
» et cœtera...
et
cœtera...
et cœtera...
et autres balivernes dont j'ai les oreilles rompues.
GUILLAUME, sans se démonter
Marceline, écoute-moi.
MARCELINE
Évidemment ! Il faudrait encore que je passe mon temps à écouter monsieur ! Mais comme je sais toutes les gentillesses que monsieur trouverait à me dire, je
n'attendrai pas le discours de monsieur, et je lui adresserai aussitôt ma réponse.
GUILLAUME, comme plus haut
Écoute...
2
MARCELINE, sans rien entendre
Et voici ma réponse : Chaque jour que le bon Dieu fait, - et il en fait dans une
année ! - le couvert est mis sur cette table à midi moins le quart ; - à midi le horsd'œuvre attend ; à midi et quart, le rôti saigne à point et quelques minutes plus tard, les
légumes sont cuits ; - à midi et demie, le fromage marche à ta rencontre ; à midi trentesept, les desserts sont servis, et à une heure moins le quart ton café fume dans ta tasse.
GUILLAUME
Soit.
Soit.
Tout cela est fort bien.
MARCELINE, lui coupant la parole
Mais à une heure moins dix, nous sortons de table et une heure moins cinq la
nappe dort de nouveau au fond de mon tiroir.
- A une heure, on peut venir...
GUILLAUME, aussitôt
C'est ce que je fais.
MARCELINE, continuant
Je peux recevoir, causer aimablement avec qui me fait visite, deviser des nouvelles
du jour ou me plaindre de la vie chère, - mais non plus donner à manger ; il est trop tard.
- Le prochain repas, sur cette table, aura lieu ce soir, à sept heures.
(Elle va se retirer.)
GUILLAUME, qui sent la patience lui manquer
Marceline !
MARCELINE, se retournant, sèche et de haut
Eh ?
GUILLAUME
Marceline, si c'est une plaisanterie, elle est bonne et je ne demande pas mieux que
d'en rire.
- Tiens.
(Il rit, par jeu.) Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! (Il reprend aussitôt son sérieux.)
Mais, cet hommage rendu à tes talents d'humoriste, nous parlerons sérieusement, et je te
dirai ceci...
MARCELINE, sèche
Tu as quelque chose à me dire ?
GUILLAUME
J'ai faim.
Je rentre à l'heure qui me plaît...
ou plutôt à l'heure où mes affaires me
permettent de rentrer.
- Et, me mettant à table, j'exige qu'on me serve aussitôt.
MARCELINE, redescendant
Monsieur exige ? Et Monsieur exige aussitôt ?
GUILLAUME
Parfaitement, Marceline !
MARCELINE
En une heure de retard, tu auras bu sans doute plus d'apéritifs qu'il n'en faut pour
ouvrir l'appétit du grand Ogre.
GUILLAUME
J'ai de la patience, Marceline, tu le sais.
MARCELINE
Plus de patience que de sobriété.
GUILLAUME
En tous cas, si je veux être obéi, je ne le veux pas à la manière d'un tyran.
MARCELINE
3
Il ferait beau voir !
GUILLAUME, poursuivant sa pensée
Pourtant, quand j'ai faim, je me sens moins maître de moi.
MARCELINE
Va donc manger : tout est sur le bahut de la cuisine.
GUILLAUME
C'est ici que je dîne, et non sur le bahut.
MARCELINE, de plus en plus aigre
C'est ce que nous verrons.
GUILLAUME, perdant de plus en plus patience : le ton de sa voix monte
rapidement
Ah ! c'est ainsi que l'on répond à son mari !
MARCELINE
Est-ce de ce ton que l'on parle à sa femme ?
GUILLAUME
Tu vas me servir tout de suite.
MARCELINE
Certes non.
GUILLAUME
Je te dis que tu vas tout de suite mettre une nappe sur cette table,
MARCELINE, aussitôt
Tu sais où elle est.
GUILLAUME, continuant sa phrase
...Et sur la nappe, tout ce qu'il faut pour que je sois repu et satisfait.
MARCELINE
A d'autres, s'il te plaît.
GUILLAUME, d'une bonne voix
A toi ! A toi ! A toi !
MARCELINE
Assez ! Il est inutile, je pense, d'ameuter les voisins !
GUILLAUME
Je ne veux ameuter que les plats ; mais je le veux d'une solide volonté.
MARCELINE
Si tu continues sur ce ton, tu t'en repentiras.
GUILLAUME
Et toi, Marceline...
Et, toi...
(Ses yeux tombent sur son journal.) Écoute bien ce que
dit mon journal : « Un mari tue sa sixième femme ».
MARCELINE, criant
Holà ! Holà ! Holà ! Holà !
GUILLAUME
Eh ! Tu as peur tout de même !
MARCELINE
Faut-il que le monstre....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- acte 1 scene 5 malade imaginaire
- [De l'acte créateur]
- Séquence 3 : Le Malade imaginaire de Molière. Analyse linéaire n°12 scène 10 acte III
- Henri BERGSON (1859-1941) La Pensée et le Mouvant, chap. V (commentaire)
- Trêves et paix dans la guerre de Cent Ans