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la lecture est errance (Quignard)

Publié le 03/05/2023

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« Lola Cornuet--Gazel HKAL 2 Dissertation La littérature est un ensemble d'oeuvres écrites ou orales, souvent fictives, qui a pour but d'exprimer en général un idéal de beauté et à laquelle on reconnaît des qualités esthétiques.

Cette activité est donc toujours assimilée à une certaine finalité, qui diffère en fonction de celui qui l'exerce. Contrairement à elle, la lecture est plus libre, désintéressée et détachée de toute contrainte.

En effet à la fin de son livre, le lecteur n'est par exemple pas prédestiné à établir des conclusions hâtives.

Il n'est pas non plus obligé d'avoir un avis figé sur l'oeuvre, celui-ci peut varier au fur et à mesure de la progression de sa lecture.

Ses perceptions sont multiples, les oeuvres le font voyager, tanguer, vibrer, osciller entre les ressentis des personnages et les pensées des auteurs dans lesquels il se confond parfois.

Il découvre ainsi de nouveaux horizons, tant sur le plan esthétique qu'intellectuel,social ou culturel.

Tout l'enjeu de la lecture semble donc résider dans la seule découverte de l'oeuvre, autrement dit dans l'acte de lire lui-même, comme semble le penser l'écrivain français Pascal Quignard dans son essai "Les Ombres errantes", issu de son ouvrage monumental Dernier royaume, dans lequel il explique le bonheur qu'il a retiré de sa passion pour l'art, et en particulier la littérature: "Il y'a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir.

Lire, c'est errer.

La lecture est l'errance." P.

Quignard définit en effet l'activité de la lecture à travers un paradoxe.

D'un côté, celle-ci procurerait chez le lecteur un certain désir, une attente liée à la progression du récit, à son contenu et sa forme.

Mais de l'autre, cette attente se révèle être et fugace, passagère et résulte parfois d'une incompréhension au regard de ce qu'a voulu dire ou transmettre l'auteur.

Il envisage donc la lecture comme une activité dénuée de véritables fins et d'intentions.

Ou du moins, celles-ci sont variables.

La lecture fait-elle toujours l'objet d'une activité transitoire, parfois incomprise, vide de tout accomplissement ultérieur? Nous verrons dans un premier temps dans quelle mesure la lecture fait effectivement office d'un voyage à la fois évanescent et déroutant pour le lecteur. Cependant, nous nous demanderons si la vision de Quignard n'est pas trop réductrice et n'omet pas certaines qualités de la lecture et son importance vis-à-vis de l'oeuvre et de l'auteur.

Cette réflexion nous portera finalement à concevoir la possibilité d'une certaine tension entre une lecture qui serait à la fois utile et indispensable, et une lecture complètement désinterressée de tout enjeu véritable. Les oeuvres littéraires obéissent à la volonté de leur auteur et l'inspiration qui les pousse à créer est bien souvent énigmatique pour le lecteur, mais lui permet toutefois d'avoir un aperçu d'un monde extérieur, d'une certaine manière de pensée ou encore d'un idéal esthétique.

Compte tenu de ce dernier cas,il paraît alors impossible pour lui d'attendre de l'oeuvre qu'elle lui fournisse une fin concrète,tangible, conforme à ses attentes et à ses présupposés.

Cependant, cela ne l'empêche pas d'être happé par une sorte de curiosité et d'intérêt qui portent davantage sur la forme de l'oeuvre que sur le fond et qui se conforme aux règles établies par celui qui crée.

Cet intérêt n'est alors que purement passager puisqu'il est en grande partie d'ordre visuel et n'a pas vocation à rester dans l'esprit une fois l'oeuvre terminée.

Ce constat se fait notamment dès le début de la modernité poétique dans la deuxième moitié du XIXe siècle, où "L'écriture" qualifie désormais tout ce qui concerne les questions formelles, les modes d'énonciation ainsi que les procédés stylistiques, qui deviennent dès lors les principaux enjeux de la création littéraire.

De ce fait, l'intention de produire quelque chose en lien avec l'intellect paraît superflu et aucun contenu préétabli ne semble pouvoir orienter l'oeuvre dans une véritable prise de position.

Paul Valéry affirme d'ailleurs n'avoir eu recours à aucune idée, aucune source d'inspiration pour produire son poème "Cimetière marin", mais seulement à une "figure rythmique vide".

Le lecteur erre donc à travers les différents procédés stylistiques et l'élaboration purement technique de l'oeuvre, sans avoir de bases intellectuelles auxquelles se raccrocher.

L'écrivain a donc pour seule tâche de jouer avec les formes littéraires et le projet initial de la littérature, qui est d'apprendre quelque chose au lecteur, devient totalement anodin voir inexistant.

Seul le style importe, comme en témoigne cette "profession de foi" de Flaubert relative au "livre sur rien" qu'il écrit à Louise Colet dans une lettre de 1852: "Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attaque extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut." L'écrivain encourage donc la création de l'Art pur et rejoint ainsi la théorie parnassienne affirmant que l'art, et donc ici la littérature, doit être dénuée de toute valeur morale, didactique voir même utile.

Théophile Gautier, chef de file du mouvement parnasse, en résume d'ailleurs la thèse dans sa préface de Mademoiselle Daupin : " Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid." Le lecteur, décontenancé, est alors obligé de se plier à cette volonté et erre dans l'oeuvre, entre la vacuité du fond et l'omniprésence de la forme. Mais l'effet stylistique ne saurait être cependant le seul lieu de confusion, de fascination et d'errance pour le lecteur.

En effet, dès qu'il se met à lire, il traverse une frontière invisible le menant de l'autre côté du réel, et l'oblige à se confronter à l'inspiration et donc l'imagination féconde et parfois obscure de l'auteur.

Ainsi, lire suppose un véritable passage, une traversée dans l'inconnu. Selon Quignard, le lecteur est le découvreur de monde, de "terra incognita" tel qu'il l'évoque dans son essai Vie secrète : "J'ai souvent éprouvé une sensation extraordinaire de porte qui s'ouvre, de seuil franchi soudain, de promontoire vertigineux dans ma vie[...] les pages sont les vantaux d'une fenêtre brusquement ouverte".

De manière fictive, le lecteur est alors marqué par une perpétuelle évanescence car ses ambitions ne cessent de changer.Il adopte alors des formes toujours nouvelles, en fonction des oeuvres ou même des passages qu'il lit au sein d'un même livre.

Son attente est sans cesse renouvelée par de nouveaux enjeux, de nouvelles découvertes, de nouvelles envies donc en somme par d'autres attentes.Il est alors invité à disparaître au profit de ses lectures, qui revêtent une dimension presque métaphysique et peuvent conduire à certaine dépersonnalisation de soi.

En effet, happé par l'oeuvre, dénué de toute notion de temps, le lecteur peut en venir à s'oublier soi-même et se conforter dans des idéaux qui ne sont pas les siens.

C'est le cas d'Emma Bovary, personnage fard de l'oeuvre à scandal de Flaubert Madame Bovary, qui se réfugie dans des romans d'exaltations romantiques pour échapper à son existence morose et monotone.

Cela va la conduire à tromper son mari et finalement mourir de chagrins après avoir fait face à des désillusions concernant son amant, Rodolphe, qui refuse de partir avec elle.

Le lecteur est d'autant plus épris par sa lecture qu'il arrive parfois à ressentir une forme d'empathie pour certains personnages qui ne la méritent pas forcément, et c'est d'ailleurs là toute la magie de la littérature fictive, qui a ce pouvoir d'enrôler les lecteurs et de faire d'eux les partisans de sujets ignobles ou de personnages monstrueux.

On peut par exemple citer le roman de Robert Louis Stevenson Docteur Jekyll et Mr Hyde, dans lequel le Docteur Jekyll développe une drogue pour dissocier le bien du mal mais se retrouve intoxiqué par son propre breuvage et se transforme en son alter ego maléfique Mr Hyde, qui le poussera à comettre des choses horribles , et finalement au suicide.

On ne peut ici s'empêcher d'éprouver tout de même une certaine compassion pour cet homme, qui n'était au départ animé que de bonnes intentions.

Le lecteur est donc finalement perçu comme une sorte de pantin, en proie aux intentions de l'auteur et à son monde dans lequel il est invité à se confondre. "L'attente qui ne cherche pas à aboutir" peut également s'avérer être l'effet d'une surprise de la part du lecteur, qui ne s'attendait pas à rencontrer tel ou tel schéma narratif dans telle ou telle oeuvre.

Car en effet, lorsqu'il ouvre un livre, le lecteur amateur est toujours influencé par certains codes littéraires, que ce soit sur la forme ou sur le fond.

Ainsi, le professeur de littérature à l'Université de Constance Hans Robert Jauss définit le concept "d'horizon d'attente".

C'est un système de référence objectivement formulable, qui pour chaque oeuvre au moment de l'histoire où elle apparaît résulte de trois facteurs principaux: l'éxpérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique dont elle présuppose la connaissance ainsi que l'opposition entre le langage.... »

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