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Analyse Linéaire 1 – Juste la fin du monde (Jean-Luc Lagarce) LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après – j’allais mourir à mon tour –

Publié le 12/05/2024

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« Analyse Linéaire 1 – Juste la fin du monde (Jean-Luc Lagarce) LOUIS.

– Plus tard‚ l’année d’après – j’allais mourir à mon tour – j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚ l’année d’après‚ de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚ de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚ l’année d’après‚ comme on ose bouger parfois‚ à peine‚ devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚ l’année d’après‚ malgré tout‚ la peur‚ prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚ malgré tout‚ l’année d’après‚ je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision – ce que je crois – lentement‚ calmement‚ d’une manière posée – et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un homme posé ?‚ pour annoncer‚ dire‚ seulement dire‚ ma mort prochaine et irrémédiable‚ l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚ et paraître – peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus loin que j’ose me souvenir – et paraître pouvoir là encore décider‚ me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne connais pas (trop tard et tant pis)‚ me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est depuis le début du XXIème siècle un des auteurs contemporains les plus joués en France.

Metteur en scène de textes classiques aussi bien que de ses propres pièces, c’est en tant que tel qu’il accède à la reconnaissance de son vivant.

Depuis sa disparition, son œuvre littéraire (vingt-cinq pièces de théâtre, trois récits, un livret d’opéra…) connaît un succès public et critique grandissant ; elle est traduite en plus vingt-cinq langues. Une des pièces les plus connues est Juste la fin du monde, où personnage de Louis rend visite à sa famille pour annoncer sa mort prochaine.

La pièce regorge de non-dits d’où son rattachement au parcours crise personnelle, crise familiale. Je vais commencer par la lecture du texte. Nous nous posons alors la problématique suivante : en quoi ce prologue est-il atypique ? Pour répondre à cette question, nous proposons de diviser l’extrait en deux mouvements.

Le premier s’étendu de la ligne 1 à la ligne 15 : il s’agit de la mort à venir.

Le second mouvement s’étend de la ligne 16 à la fin, où il s’agit de l’annonce de la décision de Louis. Plus tard‚ l’année d’après: Le prologue s’ouvre sur deux compléments circonstanciels de temps « Plus tard, l’année d’après », ce sont des repères temporels qui malgré leur précision affichée demeurent confus puisqu’ils ne sont attachés à aucun moment précis, ne s’inscrivent pas vraiment dans une temporalité.

Refus d’inscrire cette pièce dans une temporalité réaliste (cf.

la didascalie initiale, après la distribution des personnages.

« Cela se passe dans la maison de la Mère et de Suzanne, un dimanche, évidemment, ou bien encore près d’une année entière.

»).

Le champ lexical du temps sera omniprésent dans cet extrait : temps dévorateur. – j’allais mourir à mon tour – : Prolepse : Louis prend une posture de prophète pour annoncer la tragédie à venir (coryphée) et cela perturbe le lecteur car il annonce sa propre mort à venir.

Cette annonce semble décrochée du reste de la tirade grâce aux tirets qui l’encadrent.

Quel est le sens ? cette annonce est-elle minimisée par cette sorte de parenthèse qui l’encadre ou au contraire mise en relief ? Louis semble à la fois mort et vivant, actif et passif.

Ce type d’annonce est propre à la tragédie, c’est un élément traditionnel. j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai : le prologue retrouve ici sa fonction d’exposition puisque Louis, qui connaît bien évidemment son âge, le donne néanmoins : double énonciation, s’adresse au lecteur / public.

Mais, une fois de plus les repères sont brouillés à cause de l’adverbe « maintenant ».

L’échéance se rapproche et augmente la tension dramatique (« maintenant » / « mourrai » au futur : c’est inéluctable, sorte de compte à rebours fatal qui fait de Louis un personnage tragique). l’année d’après : Leitmotiv, sorte de refrain qui rythme le prologue et lui confère une dimension incantatoire.

C’est à la fois tellement loin, et tellement près.

Repris 5 fois de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚ de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini : Construit sur un parallélisme de construction qui souligne à la fois le déni (tricher, ne plus savoir) et la résignation (« à ne rien faire ») + le verbe « attendre ».

Tournure elliptique de « de nombreux mois » s’inscrit dans la durée.

Louis semble très passif face à son destin, c’est un personnage tragique s’il en est, qui attend sa mort comme le montre l’euphémisme « d’en avoir fini ». l’année d’après‚ comme on ose bouger parfois‚ à peine‚ devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt : Cependant, le « comme on ose » montre un imperceptible changement d’attitude, une volonté de réagir, d’entreprendre quelque chose de dangereux, mais vital (= revoir les siens, c’est-à-dire sa famille). Complément circonstanciel de manière marquant une retenue prudente, une circonspection. l’année d’après, malgré tout, la peur, prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre, L’unique sentiment animant Louis, le cœur peut-être de la pièce, est « la peur » (de la mort, de revoir les siens…).

Il y a ici une prise de décision importante et capitale, nous sommes au cœur du monologue délibératif (le dilemme tragique).

A souligner, la violence de « sans espoir jamais de survivre » : marque la fatalité tragique du personnage condamné mais lucide, l’adverbe « jamais » renforce le « sans espoir » de façon implacable… Nous avons fini avec le premier mouvement qui se clôt sur le sentiment de peur, plus engendré par l’idée de revoir les siens que de mourir (il s’est fait à l’idée, ce n’est pas le plus difficile).

Sorte de préambule à ce qui va suivre. Passons maintenant au deuxième mouvement qui s’étend de la ligne 6 jusqu’à la fin du prologue : il s’agit de la décision, de l’annonce de Louis. je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage : l’emploi soudain du passé simple « je décidai » marque une rupture, c’est le temps de l’action, associé au pronom personnel « je », Louis semble vouloir reprendre son existence en main.

Cependant, le doute et la peur s’expriment avec l’épanorthose : la thématique du retour, chère à Lagarce, s’exprime de quatre façons différentes (importance du préfixe « re », qui montre le retour).

On retrouve ici la fonction d’exposition de ce prologue : on nous annonce l’un des thèmes de la pièce, le retour du fils prodigue.

Le pronom « les » pour désigner les siens est vague : nouvelle forme d’ellipse.

Aucune référence, anonymat assumé, il faudra attendre la suite pour savoir qui se cache derrière ce « les ».

Notons aussi une sorte de.... »

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