Analyse du portrait du vieil antiquaire La Peau de Chagrin Balzac

« Objet d’étude : le roman et le récit du Moyen Age au XXIe siècle Balzac, La Peau de chagrin (1831) Parcours : Les romans de l’énergie : création et destruction Texte n°11 : le portrait du vieil antiquaire (de « Figurez-vous un petit vieillard… » à « …ce cabinet mystérieux.

») p.61-62 Introduction ● Présentation de l’œuvre : La Peau de chagrin + début du roman : un jeune homme, héros que l’on ne nomme pas, attend la tombée de la nuit pour se jeter dans la Seine ; il pousse la porte d’un magasin d’antiquités, véritable caverne d’Ali Baba.

Au cœur de cet antre, il rencontre le vieil antiquaire. ● Présentation du passage : Portrait du vieil homme, aussi bien physique que moral (éthopée), qui constitue une pause dans le récit ; par cette description ambivalente qui fait de cet antiquaire une figure tout à la fois paternelle et diabolique, Balzac prépare le don de la peau de chagrin qui possède le pouvoir magique de satisfaire tous les désirs mais se rétrécissant, à l’image de la vie, à chaque accomplissement d’un vœu. ● Problématique : En quoi ce portrait antithétique fait-il de l’antiquaire un personnage fantastique ? ● Plan : 1.

Une description physique (de « Figurez-vous… » à « …des choses de la vie.

») 2.

Une description morale (de Il était impossible… » à « …ce cabinet mystérieux.

») Analyse linéaire 1.

Une description physique a) Un mort-vivant ? - L’extrait s’ouvre avec l’impératif « Figurez-vous » qui interpelle le lecteur et l’invite à concentrer son attention sur la description qui va être faite pour se représenter l’homme en question.

La périphrase « un petit vieillard » souligne son âge => notation importante : il a eu une longue vie, contrairement à Raphaël qui exprimait le désir de mettre fin à la sienne. - La description, qui se fait à l’imparfait, est d’abord physique avec les adjectifs « sec et maigre » ; le narrateur précise ensuite comment il est habillé : « une robe en velours noir », « un gros cordon de soie », « une calotte en velours également noir » => par la répétition de la couleur, le vieillard est présenté comme un personnage énigmatique car habillé intégralement de noir ; et cette couleur apparaît en contraste avec ses « cheveux blancs » qui soulignent son grand âge.

Enfin, l’adverbe « rigidement » dit une certaine sévérité chez le personnage que le lecteur découvre en même temps que Raphaël. - Très rapidement, le portrait bascule dans un registre fantastique [le registre fantastique se définit par l’intrusion du surnaturel au sein d’un cadre vraisemblable]. ⮚ Comparaison de la robe à un « vaste linceul » : suggère que l’homme serait déjà mort ; ⮚ Idée renforcée par le verbe « ensevelissait » et par la négation restrictive « ne permettait de voir d’autre forme humaine qu’un visage étroit et pâle » (l’homme ne serait que partiellement humain) ; ⮚ Le narrateur semble alors nous décrire un mort-vivant ou un fantôme puisque son visage, qui est « pâle », paraît « suspendu dans les airs » - La maigreur de l’homme est particulièrement soulignée puisque le narrateur y fait de nouveau référence avec la mention du bras « décharné », la comparaison au « bâton » (qui tend à nouveau à le déshumaniser) et la description du visage « étroit ». - Enfin, la multiplication des comparaisons et des modalisateurs souligne la difficulté à décrire cet homme et renforce ainsi son étrangeté. b) Un visage inquiétant - La description se concentre alors sur le visage du vieillard. ⮚ Mention de la couleur de la barbe (« grise ») => de nouveau on insiste sur son vieil âge. ⮚ Difficulté à le définir : emploi de la périphrase « cet être bizarre ». ⮚ Nouvelle comparaison pour que le lecteur puisse se représenter le personnage : c’est une « de ces têtes judaïques » => on l’assimile alors à une figure divine et plus particulièrement à « Moïse » ⇨ La description du vieillard oscille alors entre la figure de la mort / la figure du sage (la robe, la barbe) / la figure de la divinité… Opposition qui ne fait que rendre plus étrange le portrait. - En effet, la perte de couleur des lèvres soulignée par l’adverbe d’intensité « si » (« si décolorées ») suggère que toute vie a quitté cet homme qui est de nouveau du côté des morts ; d’ailleurs son visage semble bien être celui d’un fantôme puisqu’aux cheveux blancs répond « son blanc visage » et que ce personnage semble être constitué de peu de chair avec la mention des joues « creuses ». - Le portrait physique se termine alors sur les yeux.

Généralement on dit que les yeux sont le miroir de l’âme et qu’ainsi ils permettent d’accéder à l’intériorité de l’être.

Il n’en est rien ici.

Les yeux participent de l’étrangeté du portrait puisqu’ils se démarquent par leur couleur (« yeux verts ») et qu’ils attirent l’attention car « dénués de cils et de sourcils ».

Ce portrait ne peut que susciter l’inquiétude du lecteur. - Toutefois, cet homme est associé à la figure du sage par sa connaissance du monde et sa capacité à observer (« finesse », « une science profonde des choses de la vie »).

Ainsi, les « rides » sont celles d’un homme vieillissant qui a acquis une certaine expérience du monde. 2.

Une description morale a) Un homme ambivalent - Présenté comme capable de voir au-delà des apparences et de posséder des pouvoirs puisqu’il a un « don » et qu’il regroupe toutes les connaissances (cf hyperbole « les mœurs de toutes les nations du globe et leurs sagesses ») ⇨ Le vieillard a une connaissance non seulement du monde entier mais aussi de l’homme puisqu’il déjoue les cœurs « les plus discrets ». - La figure du vieil homme apparaît alors en adéquation avec le magasin qu’il tient : cf comparaison « comme les productions du monde entier se trouvaient accumulées dans ses magasins poudreux ».

Véritable caverne d’Ali Baba, sa boutique réunit des objets du monde entier au même titre que lui-même réunit toutes les connaissances. - Mais cet homme est bien fait de contradictions.

L’antithèse entre « la tranquillité lucide d’un Dieu qui voit tout » et « la force orgueilleuse d’un homme qui a tout vu » révèle qu’il représente à la fois la divinité et le mal. - La peinture, qui était présente avec la mention du tableau Le Peseur d’or de Gérard Dow, réapparaît avec l’évocation du peintre => il s’agit de rendre visible aux yeux du lecteur cette figure si singulière.

De nouveau une antithèse est employée pour décrire ce personnage : « une belle image du Père éternel » / « le masque ricaneur de Méphistophélès » [Méphistophélès est un personnage de l’œuvre Faust de Goethe ; il représente le diable.] ⇨ Le vieillard représente à la fois Dieu et le diable.

En effet, c’est bien lui qui va confier la peau de chagrin à Raphaël qui lui permettra de prolonger sa vie mais qui en même temps le conduit à passer un pacte avec le diable. ⇨ Cette dualité est présente sur le visage-même du vieillard puisque le narrateur oppose le « front » à la « bouche ».

On ne sait alors s’il représente le bien ou le mal. - Son pouvoir, présenté de manière hyperbolique avec l’adjectif « immense », apparaît alors bien double puisque l’abolition de la peine ne peut aller sans celle de la joie.

En effet, le gérondif « en broyant » marque la simultanéité des deux actions : broyer les peines et tuer les joies. b) Un être hors du monde - La périphrase « le moribond » rappelle la condition de Raphaël qui était sur le point de se donner la mort.

Alors même qu’il ne semblait pas craindre la mort (puisqu’il l’avait choisie), il ne semble pas à l’aise face au vieillard (il « frémit ») ; l’antiquaire est présenté comme un homme à part, hors du monde (« ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde »).

Sa longévité a entraîné deux conséquences, qui sont mises en parallèle par la reprise de la préposition « sans » : « sans jouissances parce qu’il n’avait plus d’illusion, sans douleur parce qu’il ne connaissait plus de plaisirs » => la sagesse s’est finalement cultivée au prix des émotions. - Le vieillard, comparé à « une étoile au milieu d’un nuage de lumière », n’incarne plus véritablement la terre et est ainsi présenté comme un être supérieur ayant une vision surplombante sur le monde.

De plus, l’énumération des termes « debout, immobile, inébranlable » en fait un être doté d’une force hors du commun. - Le portrait moral, comme le portrait physique, se termine sur la mention des yeux qui accentuent de nouveau l’étrangeté du personnage. L’expression négative « je ne sais » marque.... »