Aide en Philo

Y a-t-il un progrès dans l'art ?

Extrait du document

« Introduction On admet généralement sans difficulté qu'il existe dans notre civilisation occidentale, au moins depuis quelques siècles, un net progrès des sciences et des techniques.

C ela veut dire que, sur une séquence historique déterminée, la connaissance des lois de la nature s'est accrue et que la maîtrise technique de la matière est devenue de plus en plus efficace.

Mais à partir de quels critères pourrions-nous également discerner, dans le domaine des arts, une dynamique d'ensemble orientée de manière constante ? Pourrait-on aller jusqu'à envisager que l'art, depuis son apparition dans la culture humaine, ne c e s s e d'évoluer dans une même direction ? L'application au domaine artistique du concept de progrès soulève de nombreuses difficultés.

À quelles conditions peut-on penser l'histoire de l'art comme un progrès ? C 'est ce qu'il nous faut examiner. 1.

L'art progresse dans l'imitation de la nature A .

Y a-t-il une essence de l'art ? Pour pouvoir affirmer que l'art progresse, il faut repérer dans l'évolution de ses oeuvres une direction constante.

C ette orientation stable peut être soit l'expression d'une même finalité, soit la manifestation involontaire d'une dynamique dont la cohérence échappe à la conscience des artistes.

Dans les deux cas, on suppose qu'en dépit de l'hétérogénéité apparente des divers arts (peinture, sculpture, architecture, musique, danse, théâtre, poésie...), il existe une même essence de l'art.

Toutes les oeuvres seraient issues d'une même démarche ou accompliraient une même fonction.

T outes les disciplines artistiques participeraient d'une même essence ; chaque oeuvre serait un échantillon d'art.

Mais en quoi pourrait consister cette essence de l'art ? B.

La finalité imitative de l'art L'art s'est très longtemps donné comme tâche de représenter les beautés de la nature.

C et objectif s'applique évidemment plus facilement aux arts plastiques, visuels, qu'aux arts plus temporels comme la musique ou la poésie.

M ais la forme naturelle que l'art est censé imiter ne doit pas s'entendre seulement au sens d'une apparence sensible qu'il s'agirait de copier.

La forme réside surtout dans un ordre, une harmonie qui est perceptible par l'intelligence.

Les règles classiques de l'art poétique qu'énonce par exemple Boileau (1636-1711) dans son A rt poétique réclament le respect d'un certain ordre, de certains rapports de convenance et d'harmonie dans la composition de la forme du poème.

P ourtant elles ne correspondent à rien qui puisse se voir.

Les formes naturelles ne se donnent pas seulement aux yeux ; l'intelligence est aussi capable de les reconnaître.

La structure formelle équilibrée du vers ou du poème est censée transcrire une norme naturelle universelle.

C ette conception mimétique de l'activité artistique en général revenait à faire de l'artiste un technicien, un artisan de la ressemblance. Par rapport à la norme d'imitation, il est possible de discerner un progrès dans le passage de l'art antique grec de la période archaïque à la période classique.

En effet, le style géométrique, les formes seulement ébauchées de l'art archaïque, encore sous influence égyptienne, sont très peu réalistes.

Il faut attendre la statuaire classique (ve siècle av.

J.-C .), dont les principaux représentants athéniens sont Phidias et Polyclète, pour rencontrer dans l'oeuvre la copie étrangement vivante de la réalité.

L'inspiration naturaliste de l'art, suspendue durant de nombreux siècles en O ccident par la religion chrétienne, retrouve droit de cité à la Renaissance où l'Europe redécouvre précisément la culture de l'A ntiquité et ferme la parenthèse moyenâgeuse de l'art sacré.

C e retour à la conception imitative de l'art s'accompagne de l'invention de procédés nouveaux, plus efficaces dans la restitution par l'oeuvre du sentiment de réalité.

Les trompe-l'oeil, la perspective donnent l'illusion que la toile n'est qu'une fenêtre sur la nature.

Les choses y sont peintes comme on les voit.

De l'A ntiquité à la Renaissance, à l'exception notable de l'art sacré du M oyen  ge, on peut donc reconnaître que l'art en tant qu'imitation de la nature progresse.

Il ne s'agit pas d'un progrès continu, mais d'une dynamique qui retrouve sa direction première après avoir été provisoirement suspendue. C .

Progrès et décadence de l'art Nous disposons aujourd'hui d'un recul historique suffisant pour comprendre que l'orientation imitative de l'art, restaurée à la Renaissance, a été de nouveau abandonnée dans le courant du XIXe siècle.

A u terme du XXe siècle qui a vu la naissance et l'épanouissement de l'art abstrait, il nous paraît évidemment arbitraire d'affirmer que la vocation de l'art soit seulement d'imiter la nature.

Il est pourtant possible de sauver cette conception en décidant de considérer les recherches contemporaines et l'abandon de l'idéal figuratif comme une négation de l'art.

L'art ne pouvait progresser toujours.

Quelques siècles lui auront suffi pour livrer ses meilleurs échantillons de belles oeuvres.

Une fois atteint ce sommet, il ne pouvait que dépérir en ne devenant qu'une démarche intellectuelle, une exploration purement formelle.

L'art semble atteindre les limites de sa fécondité et n'être plus capable d'autre chose que de réfléchir sur lui-même : en mettant des moustaches à la Joconde, il s'interroge sur ce qu'est une oeuvre d'art. Il semble donc difficile de reconnaître du progrès dans l'art sans admettre de voir en même temps des périodes de recul, de régression, de décadence.

Estce là l'indice de l'impossibilité de réduire l'histoire de l'art à une seule et même direction ? 2.

Les progrès en art A .

La singularité de l'oeuvre d'art On peut s'appuyer également sur l'histoire de l'art pour se convaincre que les artistes, et entre autres ceux-là mêmes qui prétendaient imiter la nature, ne se sont jamais contentés de copier platement les apparences sensibles.

On ne retrouve pas la même nature dans une toile de Poussin ou de de V inci.

Le véritable principe de l'art semble être bien moins le modèle naturel que le génie de l'artiste qui se l'approprie en le restituant à sa façon.

C ette manière propre définit le style spécifique et la part proprement créatrice de l'artiste.

L'art n'imite pas, il recrée la nature.

La dimension véritablement artistique de l'oeuvre d'art n'est donc pas celle qui répond au projet d'imiter, mais bien plutôt celle qui lui échappe.

A insi comprises, les oeuvres d'art ne sont plus d'inégales réalisations d'une même intention mais chacune est le témoignage d'une subjectivité singulière.

L'oeuvre concentre sa valeur artistique dans ce qui, en elle, échappe aux finalités conscientes de son auteur.

L'art nous propose donc une collection d'objets singuliers qui ne trouvent leur justification artistique qu'en eux-mêmes, plus exactement dans leur capacité à éveiller en nous un certain sentiment esthétique.

C haque oeuvre est unique.

Il est donc impossible de parler de progrès en art dès lors qu'on admet qu'une oeuvre d'art ne répond ni à une fonction ni à un quelconque projet, qu'elle enveloppe une pluralité de sens et que sa valeur artistique réside précisément dans cette indétermination qui libère notre imagination. B.

Le progrès comme acheminement vers le singulier Pourtant n'est-il pas possible d'envisager la possibilité d'un progrès dans l'itinéraire créateur d'un artiste ? Les oeuvres de jeunesse sont en effet encore bien souvent sous l'emprise de modèles préexistants.

À mesure que s'approfondit le travail créateur, l'oeuvre exprime de manière de plus en plus originale les orientations fécondes dont elle est porteuse.

Un artiste peut donc progresser vers une expression plus nette de sa singularité.

L'atteinte de la maîtrise de son propre style représente sans doute le terme d'un progrès mais pas nécessairement celui de l'itinéraire créateur.

Un peintre comme Picasso n'a cessé de renouveler son univers esthétique.

Entre différentes périodes créatrices, également singulières, il est évidemment arbitraire de parler de progrès : un tel jugement revient seulement à manifester ses préférences.

Le mouvement au cours duquel un élément original s'affirme de mieux en mieux en s'émancipant progressivement de formes esthétiques plus communes peut a u s s i s e retrouver dans une filiation entre plusieurs artistes, parfois de générations différentes.

O n peut ainsi relever dans la peinture de C ézanne une tendance cubiste qui ne trouvera son expression propre qu'au début du XXe siècle, avec Braque et Picasso par exemple. Progrès de l'art ? Il semble difficile d'accepter cette hypothèse sans postuler une conception normative, donc discutable, de l'activité artistique.

Défendre au contraire la thèse de la singularité de l'oeuvre semble exclure l'application du concept de progrès au domaine de l'art, sauf sous la forme restreinte que nous venons d'envisager.

N'est-il toutefois pas possible de soutenir la perspective d'un progrès de l'art tout en reconnaissant le caractère singulier et donc incommensurable des oeuvres entre elles ?. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles