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Y a-t-il un paradoxe de la représentation ?

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« Toute interrogation sur l'aspect paradoxal de la notion de représentation se doit d'abord d'analyser la notion elle-même.

Or, en quoi consiste la représentation ? La représentation est étymologiquement ce qui re-présente, c'est-à-dire ce qui rend « présent à nouveau ».

Cependant, cela peut s'entendre de deux manières : d'une part, la représentation rend présente une chose une nouvelle fois en la présentant de nouveau ; d'autre part, elle la rend présente malgré son absence et ce qui la rend présente (re-présente), c'est alors une image ou une copie de la chose. Un premier élément paradoxal surgit donc : la représentation fonctionne-t-elle à partir de la chose elle-même ou de ce qui en tient lieu (la représentation, entendue en son sens courant) ? Nous allons tenter de résorber ce premier paradoxe concernant la représentation, nous rendant compte qu'il en fait surgir un second.

Reste à savoir si celui-ci sera intrinsèque ou non à la représentation et quelle sera sa fécondité. I – La représentation au théâtre : entre présence et absence La représentation, avons-nous dit, renvoie d'abord à l'idée d'une présentation renouvelée ; re-présenter, c'est présenter de nouveau.

Tel est le sens que prend la représentation théâtrale : chaque soir, à heure fixe, sur scène, la même pièce est rejouée, c'està-dire présentée à nouveau, re-présentée.

D'une manière générale, le décors est le même, le jeu des acteurs reste identique et ce qu'ont vu les spectateurs de la veille correspond à ce que verront ceux d'aujourd'hui.

Il n'y a alors aucun décalage entre la chose et sa représentation, puisque la représentation est une nouvelle présentation de la chose. Cependant, ce premier sens se prolonge en un second, plus proche de ce que nous entendons couramment par représentation. En effet, la représentation est souvent comprise comme la mise en présence d'une chose absente.

Il y a donc distinctement la chose représentée et la chose représentante.

Pour reprendre l'exemple du théâtre, la prestation des acteurs sur scène peut être tenue pour le « représentant » de l'idée ou du sens de la pièce (chose représentée).

Or, c'est en ce sens que la représentation évoque une copie, une image de la chose qui tout à la fois la donne à voir et la cache, la révèle et la masque. Prenons encore un exemple : une statue représentant Apollon nous met en présence du dieu ; cependant, elle ne nous met pas en présence du dieu lui-même.

Elle nous fournit simplement une image de la divinité, qui tout en la présentant, la dérobe à notre regard.

Nous ne voyons pas Apollon en soi, mais sa représentation.

Si paradoxe il y a, c'est donc au sens où la représentation semble donner à voir tout en cachant. II – Nelson Goodman et l'impossibilité de la représentation La représentation n'est donc pas simplement présentation de nouveau, mais mise en présence d'une absence.

Un ensemble symbolique (statue, pièce de théâtre, émissaire, etc.) renvoie alors à une chose qui n'est pas là ; il « tient lieu » de la chose : il en est le « lieu-tenant ».

Le paradoxe se résumerait alors à cette étrange présence-absence.

Cependant, nous allons voir que là n'est pas l'essentiel. En effet, que la chose se donne à voir par autre chose et que sa présence n'indique que son absence, voilà encore ce qui peut nous mettre sur le chemin de la chose elle-même.

Par exemple, pour arriver à Apollon, je commence par contempler sa statue et, graduellement, j'en arrive à contempler la divinité en elle-même.

Ce qui pose réellement problème, c'est le lien entre la chose et son lieu-tenant, entre la chose représentante et la chose représentée.

De quel nature se lien doit-il être ? Dois-je pouvoir retrouver la chose même dans sa représentation ? En d'autres termes, l'image doit-elle être conforme au modèle ? On est tenté de répondre par l'affirmative ; cependant, un philosophe contemporain, Nelson Goodman (Langages de l'art) a montré en quoi l'imitation était difficile, sinon impossible.

Prenons un exemple afin d'être précis : si l'on me demande de produire l'image fidèle d'un homme en le peignant tel qu'il est, nous dit Goodman, cette recommandation me déconcerte, puisque j'ai en face de moi aussi bien un homme, une organisation de cellules, un violoniste, un ami, qu'un sot.

Autrement, l'œil n'est jamais innocent lorsqu'il regarde quelque chose et il l'interprète forcément (non que cela soit blâmable en soi).

La représentation-copie ne représente donc jamais les choses, mais les donne à voir d'une certaine manière ; en somme, elle les réalise (cela vaut pour la photographie, qui subit de nombreux réglages : lumière, temps de pose, etc.). III – Paradoxe de la représentation et théorie esthétique Ainsi, la représentation est le lieu d'un paradoxe plus intime que le premier que nous avons cru déceler : alors qu'elle semblait fonctionner à partir des pôles modèle/image, original/copie, chose représentée/chose représentante, la représentation nous apparaît comme active.

Elle n'est plus ce qui représente la chose, au double sens de la rendre présente en son absence et de la reproduire fidèlement, mais elle est ce qui l'indique et la soumet à notre regard. Or, ce paradoxe est fondamental pour les théories esthétiques.

En effet, il n'est plus désormais possible de considérer l'art comme imitation du réel.

Même l'art figuratif, censé le reproduire, prend une autre tournure.

Prenons, par exemple, la notion de paysage. Jusqu'au 19 ème siècle, la nature était uniquement considéré comme l'environnement de l'homme : lieu de passage pour le voyageur, lieu de travail pour le paysan, etc.

Or, c'est son émergence au sein de la production artistique, qui a conféré son importance au paysage : celui-ci est devenu source de contemplation et de recueillement, objet d'un intérêt croissant.

En somme, lorsque le peintre se mit à représenter les paysages, il ne faisait pas une copie de son environnement ; il ne permettait pas non plus au futur propriétaire du tableau d'avoir présent dans son salon un paysage absent. Au-delà de tout cela, il donnait à voir le paysage lui-même.

Le regard du spectateur se trouvait alors dirigé vers quelque chose d'ignoré en soi et enfin réalisé sur la toile.

La représentation donne alors à voir l'invisible : elle fait entrer le monde dans la visibilité. Conclusion : Des deux paradoxes que nous avons décelé au sein de la représentation : 1° la représentation donne à voir une chose absente, c'est-à-dire la dévoile et la masque dans le même temps et 2° la représentation ne peut jamais reproduire les choses, mais simplement les donner à voir ; de ces deux paradoxes, seul le second retiendra notre attention et apparaîtra comme constitutif du rôle de la représentation au sein de l'art.

En effet, loin de miner le rôle de la représentation, cette ambiguïté permet de repenser notre rapport au monde : les systèmes symboliques (cela vaut pour l'art, mais aussi pour le langage, la science, etc.) ne reproduisent pas le réel, ni ne le décrivent, mais ils nous offrent un nouvel accès aux choses en leur donnant une nouvelle visibilité.. »

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