Y a-t-il des « sociétés sans histoire » ?
Extrait du document
«
Le terme de société s'oppose à l'état naturel des rapports humains : elle correspond à l'organisation juridique de la société dans laquelle tous les rapports
entre les individus sont définis et régis par la loi.
Dans la société civile, l'individu est défini comme un citoyen possédant des droits et des devoirs
personnels prescrits par l'état.
Lorsque nous nous demandons s'il existe des sociétés sans histoire, nous posons en réalité un faisceau de questions puisque nous pouvons entendre cette
expression en plusieurs sens : une société sans histoire est en effet une société qui ne semble pas avoir évoluée, qui semble être demeurée la même à
travers le temps.
En somme, nous pouvons nous demander s'il existe des sociétés stationnaires.
Mais le sujet peut s'entendre d'une autre manière, si nous
faisons référence à une expression commune : « les gens heureux sont sans histoire ».
Cette parole dogmatique nous invite à reconsidérer les sociétés
sans histoire comme des sociétés qui n'ont pas de conflits majeurs, qui n'ont pas été victimes de grands malheurs au cours du temps.
Poser la question :
« y'a-t-il des sociétés sans histoire ? » revient donc à demander « y'a-til des sociétés heureuses ? ».
Enfin, nous pouvons aborder le problème posé par la
question à partir d'un autre point de vue : lorsque nous nous demandons « y-a-t-il des sociétés sans histoire ? » nous nous demandons en effet s'il existe
des sociétés privées d'un récit tenant compte de leur fondation et de leur évolution à travers le temps.
La question peut donc être reformulée ainsi : « y-a-til des sociétés qui n'opèrent pas de retour réflexif sur elle-même au moyen de leur mémoire » ?
Nous étudierons donc cette série de problèmes impliqués par cette formulation dense et équivoque : « sans histoire ».
I.
a.
Y a-t-il des sociétés stationnaires ?
Sociétés stationnaires et sociétés cumulatives
Dans Race et Histoire (1952), Lévi-Strauss distingue les sociétés stationnaires des sociétés cumulatives.
Les premières sont des sociétés qui ne
semblent pas avoir connu d'évolution au cours des siècles, dont l'économie, la science, la technique, ne se sont que très partiellement modifiées depuis
leur fondation (pensons par exemple à la société pygmée, magnifiquement dépeinte dans le film Man to man).
A contrario, une société cumulative est une
société dont les caractéristiques se sont modifiées considérablement avec les siècles : ces modifications sont celles de la technique, des structures
étatiques (monarchie féodale, puis absolue, puis république par exemple) etc.
b.
Certaines sociétés ne paraissent stationnaires qu'en fonction de l'importance accordée à la notion de changement
Les sociétés stationnaires semblent des sociétés sans histoire, car contrairement aux sociétés cumulatives, elles n'ont pas été le théâtre d'évènements
multiples et d'évolutions importantes qui auraient pu faire l'objet d'un récit pour un historien.
Cependant, il semble que cette apparente immobilité, cette
prétendue a-historicité, ne soit que le résultat d'une perspective ethnocentrique : l'immobilité des sociétés apparentes est sans doute lié à l'importance
donnée au changement dans les sociétés cumulatives.
Plutôt que de parler de sociétés sans histoire, on parlera plus justement de société dont l'histoire
évolue a un rythme plus lent.
II.
Y a-t-il des sociétés heureuses ?
a.
L'équivalence Rousseauiste entre récit historique et récit des catastrophes
Dans Emile, ou de l'éducation (1762) Rousseau établit une équivalence entre l'histoire et le malheur :
« Un des grands vices de l'histoire est qu'elle peint beaucoup plus les hommes par leurs mauvais côtés que par les bons : elle
n'est intéressante que par les révolutions, les catastrophes (…).
Nous avons fort exactement l'histoire des peuples qui se
détruisent, celle qui nous manque est celle des peuples qui se multiplient ; ils sont assez heureux et assez sages pour qu'elle
n'ait rien à dire d'eux ».
Ce texte nous permet de voir que l'histoire est histoire du malheur des peuples, et qu'il y a une stricte équivalence
entre sociétés sans histoire et sociétés heureuses.
b.
Les sociétés heureuses, une fiction théorique
Cependant, nous pouvons nous demander contre Rousseau si l'idée d'une société sans histoire, car continuellement
heureuse, n'est pas en désaccord avec les faits historiques.
En effet, s'il nous manque l'histoire des sociétés
heureuses, c'est sans doute parce qu'il n'y en a jamais eu pour demeurer longtemps dans la félicité.
Nous pouvons donc
dire qu'il n'y a pas de sociétés sans histoire, au sens où il n'y a pas de sociétés sans malheurs et catastrophes.
III.
a.
Y a-t-il des sociétés sans récit de leur évolution au cours du temps ?
Des sociétés sans histoire de leur évolution
Nous nous demanderons ici s'il y a des sociétés sans histoire, c'est-à-dire sans connaissance des faits passés
advenus dans le cadre de cette société, en somme, sans discipline Historique.
Dans la mesure où il y a des sociétés
sans écriture, nous dirons qu'il y a des sociétés sans récit de leur évolution à travers le temps.
En effet, la transmission
orale ne fait pas une histoire des peuples, elle ne fait que transmettre une gerbe d'informations qui se déforment avec le temps.
C'est ainsi que Jean de Léry
dans Histoire d'un voyage faict en la terre du brésil (1589) montre la société des indiens Brésiliens comme une société dépourvue d'histoire, qui vit « attachée
au poteau du présent » (comme l'animal de la Seconde considération intempestive de Nietzche)
b.
Nulle société sans récit des fondements du groupe
Cependant, nous dirons pour finir qu'il n'y a pas de sociétés sans récit des fondements du groupe, puisque ce récit participe à la cohésion « mécanique » (le
terme est d'Emile Durkheim) de la société.
En effet, on trouve dans toutes les sociétés la présence d'une référence au passé, relatée sous la forme de
mythes, de légendes, où les évènements sont transformés et embellis.
S'il y a des sociétés sans histoire de leur évolution au cours du temps, il n'y a pas de
société sans récit des circonstances de leur fondation.
Conclusion :
Il n'existe pas de sociétés sans histoire, au sens de sociétés complètement stationnaires : l'immobilisme historique est une illusion générée par la
valorisation du changement.
Il n'existe pas de sociétés sans histoire, au sens de sociétés heureuses : le malheur et les catastrophes sont le lot, au moins épisodique, de toute société.
Il n'y a pas de sociétés sans récit des fondements du groupe, mais il y a des sociétés sans récit accompagnant leur évolution au cours du temps..
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