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Vous parait-il possible qu'une oeuvre ne représente rien ?

Extrait du document

« C'est revenir par cette question à ce qu'on entend par rien.

Le rien, le néant n'est-ce pas finalement comme le pense Bergson à une attente déçu, à une absence qui arrive contre une présence attendue ? On attendrait donc que l'œuvre d'art représente quelque chose, au sens pas seulement qu'une œuvre imite quelque chose de réel mais montre un dessin, des couleurs, qu'elle représente une idée.

Cette question prend un sens différent à l'heure abstrait.

L'évolution de l'art tend à effacer toute représentation à l'instar du suprématisme de Malévitch, mais n'estce pas là la fin de l'art ou est-ce plutôt une expérience extrême qui irait à l'encontre de la nature même de l'art ? 1) La peinture représente des idées. Hegel, dans son Esthétique, pense que reproduire la nature est un travail superflu.

C'est un travail inutile et présomptueux car l'homme n'est pas Dieu.

Ce genre de peinture n'est qu'une caricature du réel.

Ce n'est pas une fin pour l'art que de vouloir tromper un public naïf.

Et cela risque de provoquer l'ennui et le dégoût.

Une peinture parfaite de la réalité ne sera jamais un chef d'œuvre.

La vraie œuvre d'art engage la subjectivité de l'artiste et sa personnalité.

La création comporte toujours des risques, en particulier celui de son échec.

Une simple imitation, la simple copie d'une œuvre déjà connue, réussie ne comporte pas de risque.

La création implique un travail de la part du créateur, une modification de ses vues sur le monde, elle engage tout son être.

Il n'y a donc pas de représentation fidèle, parce que le réel n'est pas adéquatement dénommable et cernable ; c'est un référent chaque fois redécoupé par le système d'approche qui le vise.

La peinture n'a pas de privilège particulier parmi les approches de la réalité ; bien plus, au lieu que l'imprimerie, la sérigraphie, l'aluchromie, la photographie, la mise en pages, l'image cinématographique et télévisuelle en soient les arts appliqués, c'est elle plutôt qui désormais dépend d'eux pour ses media, ses sujets, ses optiques, ses structures.

Et, enfin, puisque la peinture est délivrée de son rôle de modèle, il n'y a aucune raison d'en faire un art majeur par essence. Hegel rompt avec Kant, pour qui la beauté naturelle tient une large part.

La contemplation de la belle nature accorde mystérieusement l'imagination et l'entendement.

Hegel rejette la beauté naturelle, car la beauté artistique étant un produit de l'esprit lui est nécessairement supérieure.

C'est pour nous et non en soi et pour soi qu'un être naturel peut être beau.

L'imitation de la nature n'est donc pas de l'art, tout au plus un exercice d'habileté, par lequel on imite le Créateur.

Il y a plus de plaisir à fabriquer des outils ou des machines qu'à peindre un coucher de soleil.

La valeur de l'art est tout autre : c'est l'esprit à l'oeuvre, qui s'arrache de la nature en la niant.

Au moyen de l'art, l'homme se sépare de la nature et se pose comme distinct.

L'art peut donc faire l'objet d'une science, pense Hegel, il suffit d'en montrer la nécessité rationnelle dans l'histoire de l'humanité.

L'oeuvre d'art ne décrit pas une réalité donnée, elle n'est pas faite pour notre plaisir, mais l'art est en son essence une intériorité qui cherche à s'exprimer, à se manifester ; c'est un contenu qui cherche une forme, un sens qui veut se rendre matériel.

On ne peut le condamner pour son apparence, car il faut bien à la vérité une manière de se montrer.

L'art étant historiquement la première incarnation de l'esprit, il se confond d'abord à la religion : la religion grecque est l'art grec lui-même.

Ce sont Homère et Hésiode qui ont inventé les dieux grecs.

Cet âge d'or de l'art, que Hegel définit comme "classique", sera dépassé par l'art romantique avec l'apparition du christianisme.

La religion chrétienne est essentiellement anthropomorphique : le divin est le Christ, soit une pure individualité charnelle, qui a souffert et qui est morte en croix.

Seul l'art peut ici donner une représentation charnelle de ce divin, dont le passage historique a été fugitif, et si l'art est mort dans notre société moderne, c'est probablement pour la raison que la spiritualité chrétienne ne suffit plus tout à fait aux besoins de l'esprit. Le beau est une idée, soit l'unité d'un concept et de la réalité.

Le concept est l'âme tandis que la réalité en est l'enveloppe charnelle.

Le beau est donc la manifestation sensible de cette unité ; il exprime une réconciliation.

Il est naturel qu'il échappe à l'entendement qui sépare et qui divise, de même qu'à la volonté qui cherche à soumettre l'objet à ses propres intérêts.

Tout ce qui est libre, indépendant, infini, conforme à la seule nécessité de son concept, peut être dit beau.

De plus, un bel objet est vrai, puisqu'il est conforme à son être.

Cela implique qu'aucun organisme vivant ne pourra être beau, parce que soumis au besoin, il n'a pas de véritable liberté.

Seule la beauté artistique peut être accomplie : elle représente l'idéal.

L'idéal est soustrait de la vie quotidienne imparfaite et inauthentique.

Il incarne l'universel dans l'individualité absolument libre et sereine : le symbole en est l'individualité apollinienne, perfection d'harmonie et de forme, sérénité conquise sur la douleur.

En un sens, cette beauté idéale est hors du temps et de l'histoire, symbole de l'éternité.

Si cet idéal de beauté est désormais révolu, alors qu'il culminait dans l'art grec, c'est que l'organisation sociale et la production économique sont devenues prévalentes, soudant les individus dans des rapports de besoin, d'échange et de travail complexes et étroits.

L'Idéal ne peut plus s'incarner dans l'art, il s'est incarné dans l'État et la politique à la fin du xixe siècle et au cours du xxe siècle.

On peut toutefois remarquer qu'à notre époque présente, ces deux formations ne semblent plus animées par les aspirations spirituelles les plus hautes des individus et de la collectivité.

Nous vivons dans l'ère du nihilisme que Nietzsche avait diagnostiquée à la fin du xixe siècle.. »

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