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Un désir peut-il être coupable ?

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« Étude des termes : Le désir et la culpabilité s'entendent comme deux termes contradictoires en ce sens que le désir apparaît comme l'expression de la nature, qu'il ne s'y accroche donc aucune notion de valeur (« Le désir est l'appétit de l'agréable » Aristote, De l'âme), tandis que la culpabilité est l'expression de la morale, qu'elle n'advient donc qu'avec l'insertion de l'individu dans un groupe qui exige quelque chose de lui (« Il faut savoir qu'il y a dans chacun de nous deux principes qui nous gouvernent et nous dirigent [...] : l'un est le désir inné du plaisir, l'autre l'idée acquise qu'il faut rechercher le bien.

» Platon, Phèdre) Première partie : Toute la question réside donc dans l'interprétation du verbe pouvoir ; le désir n'est pas coupable (par essence), il ne peut qu'être vécu comme coupable en référence à un système normatif.

Or, l'on sait que la cohésion du groupe social repose sur la répression des désirs en ce que ceux-ci, par leur profusion, leur recherche immédiate de la satisfaction, leur violence sont fauteurs de trouble.

Tout désir de tout individu ne peut atteindre à son but sans menacer gravement l'ordre : « Diminuez donc les désirs, c'est comme si vous augmentiez les forces », Jean-Jacques Rousseau.

Si l'homme est un sujet de désir, l'homme est aussi un être social et les deux sont difficilement conciliables. Les tentatives faites pour libérer les désirs, comme on l'a vu avec Wilhelm Reich par exemple, se heurtent généralement à l'épreuve d'un vaste groupe.

L'expression immédiate et directe de la pulsion ne vaut que sous forme quasi-expérimentale dans des communautés restreintes, et encore y est-elle soumise à son tour au contrôle. Cette dernière idée oblige à se demander si le désir existe comme tel, ou s'il n'est de toute manière pas déjà profondément informé, conditionné, modifié par l'éducation mise en place dès les premiers instants de la vie. Deuxième partie : En effet, le nourrisson est l'être de désir par excellence : il vient d'être privé par la naissance de l'extrême volupté qu'était l'état intra-utérin, il réclame donc sans cesse de retrouver cette béatitude qui faisait qu'à l'instant même le besoin était satisfait.

Or, la mère est là pour borner son désir, elle lui donne le sein, mais le lui retire, elle le caresse, mais l'abandonne seul dans son lit.

C'est alors qu'est implicitement inculquée la notion de limite et qu'est transmise l'idée que la jouissance ne peut être indéfiniment encouragée.

La culpabilité viendra de cette perception que la recherche du plaisir ne fait pas plaisir à la mère. Par ailleurs, si la famille est le premier lieu d'apprentissage de la répression, cette répression n'aurait aucune force persuasive sur l'être adulte si le relais n'était pris par les instances politico-sociales.

L'école, l'église transmettent la conviction que l'être policé doit se défier de son désir.

« La morale est une sorte d'art de l'insatisfaction des désirs de faire ce qui ne plaît pas et de ne pas faire ce qui plaît.

Si le bien plaisait, si le mal déplaisait, il n'y aurait ni morale, ni bien, ni mal.

» Paul Valéry, Choses tues. On peut considérer que la religion chrétienne notamment a spécialement condamné le désir sexuel : l'union des corps ne vaudrait que pour la reproduction pas pour la jouissance.

Il s'effectue alors un déplacement dans l'esprit entre culpabilité morale (celle que définit l'église) et culpabilité intrinsèque (celle qui n'existe pas mais que le sujet finit par admettre comme allant de soi).

Les grandes formules de la répression font ainsi accroire avec le temps et l'expérience que le mal est inscrit au coeur du désir, que le désir peut être mauvais en soi.

Cette victoire constitue la plus belle réalisation sociale, puisque le sujet n'a plus à penser pour luimême mais qu'il est pensé par une puissance extérieure qui le décharge du sens de sa conduite.

La norme a été introjectée.

Le « peut » est devenu un « est » coupable par renversement. Troisième partie : De tout cela il ressort que le désir, parce qu'il est perçu d'après la morale comme coupable, peut permettre d'accéder par des médiations et des substituts fort divers à une forme plus satisfaisante de jouissance : Sigmund FREUD Le malaise dans la culture (1930) « Ce qu'on appelle bonheur au sens le plus strict découle de la satisfaction plutôt subite de besoins fortement mis en stase et, d'après sa nature, n'est possible que comme phénomène épisodique.

Toute persistance d'une situation désirée par le principe de plaisir ne donne qu'un sentiment d'aise assez tiède ; nos dispositifs sont tels que nous ne pouvons jouir intensément que de ce qui est contraste, et ne pouvons jouir que très peu de ce qui est état.

Ainsi donc nos possibilités de bonheur sont limitées déjà par notre constitution.

Il y a beaucoup moins de difficultés à faire l'expérience du malheur.

» Conclusion : Il conviendrait peut-être de remplacer le verbe pouvoir par le verbe falloir : « Ce n'est pas par la satisfaction des désirs que s'obtient la liberté, mais par la destruction du désir.

» Épictète, Entretiens. »

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