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Tout ce qui est naturel est-il normal ?

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« Le sens commun qualifie le plus souvent une action ou une pensée qui lui apparaît dans l'ordre des choses en employant l'expression « c'est naturel ».

Pourtant, en s'interrogeant sur la « normalité » de ce qui est ainsi qualifié, deux pistes diamétralement opposées s'offrent à nous : car ce qui est normal, au sens strict, doit s'apprécier de manière quantitative.

Pourtant, il est fréquent de remarquer la contamination de ce jugement par le qualitatif, autrement dit la règle qui renvoie à une norme. Ainsi, comment considérer les créations de la nature elle-même ou ce qui renvoie à l'absence d'acquis ? Comment serait-il possible de mesurer à la fois la « naturalité » de la chose quand elle renvoie à une pensée ou à un comportement si nous usons d'une norme préétablie ? Serait-il même possible de penser ce qui a trait à la nature en termes de norme, alors que le mot renvoie le plus souvent à un fait culture ? Les enjeux de telles interrogations sont multiples, dans la mesure où il s'agit d'explorer des domaines d'étude aussi variés que les sciences naturelles, l'anthropologie et la sociologie.

Ainsi sont questionnées tant la frontière entre nature et culture que la possibilité d'un arrachement à cette dualité. La nature dicte la normalité La perfection de la Création ; dans le Timée, Platon énonce le mythe de la création du monde par un démiurge.

Ce dernier créé le cosmos, tout parfait car organisé selon une proportion telle.

Non seulement l'ensemble de la création se révèle être un tout harmonieux, mais de plus, chaque élément, chaque être vivant du monde sublunaire a été créé selon des modèles, des Formes éternelles mêlées de matière chaotique. - Puisque tout ce qui est naturel porte la marque de la perfection de la création première, on peut affirmer qu'il s'agit à la fois d'une « normalité » tant au sens quantitatif que qualitatif : quantitatif car chaque être est conforme, dans une certaine mesure, à l'Idée première, et qualitatif car la perfection du cosmos a été la première inspiration dans l'instauration de canons. « Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles » : s'il est possible d'admettre le caractère normal de toute création naturelle, il est difficile de nier les manifestations du Mal.

Comment peut-on dès lors conserver l'idée que tout ce qui est naturel est normal ? N'estce pas justifier les horreurs commises par les hommes ? Dans sa Théodicée, Leibniz justifie la présence du Mal dans l'univers parfait, création de Dieu, par le fait qu'en tant qu'Etre tout-puissant, ce dernier n'a pu que produire le plus parfait des mondes possibles, où le Mal apparaît comme rehausseur de sa beauté naturelle.

Il s'agit donc d'un principe de nécessité, nommé raison suffisante, qui permet de justifier ce qui peut paraître exceptionnel. - Ainsi ce qui est naturel est normal car nécessaire : sans la présence de l'imperfection dans le monde, ce dernier en aurait été moins parfait.

Or, Dieu dans sa toute-puissance ne pouvant que produire le plus parfait des mondes possibles, le principe selon lequel tout se justifie dans la création apparaît clairement. Normalité et non norme : jusqu'ici normalité et norme ont été assimilés.

Si nous souhaitons revenir à la normalité sans porter de jugement qualitatif, c'est vers l'analyse sociologique qu'il faut à présent nous tourner : ce qui y est défini comme normal est ce qui s'observe régulièrement dans une société donnée.

A ce titre, Durkheim souligne que le crime par exemple peut être qualifié de normal puisque se produisant régulièrement dans une société.

C'est ici qu'il est possible de disjoindre normalité et norme : le crime ne répond pas aux normes d'une société, pour autant il est naturel et normal puisqu'il a une fonction dans celle-ci. La norme s'oppose à la Nature La norme exclut l'accident, pourtant « naturel »… : A considérer à présent la « normalité » au sens de « norme », il apparaît contradictoire d'associer ce terme aux productions naturelles : car une norme, c'est une règle par rapport à laquelle sont fixés les jugements de valeur. Le « canon » utilisé dans l'art classique écarte d'emblée les « accidents » produits par la Nature : les monstres, les anomalies et autres exceptions.

Plotin, dans les Ennéades, souligne ainsi que la norme repose sur la beauté, alors que la laideur constitue un accident, une privation de matière absolue.

Mais cette vision, profondément ancrée dans la tradition chrétienne, fait de la Nature un instrument de Dieu : à considérer la Nature comme une création non habitée par un esprit supérieur, on ne peut penser ses productions en termes de « valeurs ». La norme ou la domestication de la Nature : cette maîtrise de ce qui pourrait apparaître naturel par la norme est particulièrement visible dans les commandements religieux ou moraux : défendre de tuer, c'est extraire l'être humain de son animalité pour conférer à l'humanité une valeur supérieure.

Il n'y a guère de « normes » dans les communautés animales puisqu'elles ne possèdent pas de conscience d'exister : la norme est également l'expression d'une distance réflexive vis-à-vis de ce qui est naturel ou inné.

La règle constituée propose un modèle sans cesse réélaboré, bien loin de la conscience médiate de la Nature.

Ainsi la norme que constitue l'établissement du Droit dans le Projet de Paix perpétuelle de Kant permet-il à l'homme de résoudre de manière pacifiste l'expression de son « insociable sociabilité » naturelle, non plus à travers le conflit, qui serait la réponse immédiate, mais dans une union de tous les esprits vers un projet plus haut, au sens où il a pour but ultime la sauvegarde des êtres. L'éthique, entre nature et norme : puisqu'il est impossible à l'homme de museler définitivement ce qui lui est inné, comme les besoins, il convient d'examiner la question de la conduite de l'action en tentant de combiner l'aspiration vers une norme qui lui permet de dépasser sa condition première et la prise en compte de ces données « normales » au sens de naturelles.

La doctrine stoïcienne invite ainsi non pas à une négation absolue de ce qui nous parvient de la Nature, mais à une reconsidération de celle-ci via une éthique qui propose une distinction entre les désirs et la possibilité de leur maîtrise.

La visée ultime en est l'ataraxie ou absence de troubles de l'âme : non pas immédiateté naturelle, mais constitution d'un juste équilibre entre édits naturels et norme spirituelle. Au terme de cette analyse, il apparaît que l'équivalence entre norme et normalité ne peut être conservée que dans un contexte sociologique, où la norme se traduit en terme de quantité et non de qualité.

Car à utilisé le terme de « normal » au sens de non pathologique, ce n'est qu'en conservant l'idée d'un entité créatrice supérieure d'un tout parfait que cette équivalence peut être sauvegardée : la Nature elle-même produit des « accidents », qui ne peuvent entrer dans l'acception de la « norme » au sens de règle ou de loi. Par ailleurs, à considérer la norme comme une règle supérieure qui permet à l'homme de s'arracher de sa condition première, établir l'équivalence entre nature et normalité reviendrait à l'enfermer dans cette naturalité, réduisant l'usage de la liberté à néant.

C'est dans l'exercice d'un juste équilibre entre norme librement établie et ouverture aux lois de la Nature que se situe la possibilité d'envisager l'homme conscient de son existence. SECONDE CORRECTION: http://www.devoir-de-philosophie.com/passup-corriges-673b.html. »

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