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Suis-je propriétaire de mon corps ?

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« Des débats récents autour du droit des femmes à l'avortement ou du don d'organe confèrent au problème des droits liés au corps et au vivant une actualité indubitable.

Toutefois, loin de se résumer à une interrogation engageant le droit et l'éthique, la question de la nature de ma relation à mon corps permet d'interroger ma propre existence.

Avoir un corps, est-ce le posséder ? La propriété implique une notion de distance, or suis-je hors de mon corps ? Une réflexion sur la relation du sujet au corps ne se peut faire qu'en première personne, aussi nous privilégierons une approche phénoménologique de la question, c'est-à-dire sans rien présupposer de la nature du corps.

Nous verrons ainsi que l'idée même d'être propriétaire de son corps signe une insuffisance de la pensée, même si nous serons amenés à nuancer notre propos. I- Le corps et la personne. L'idée d'une propriété du corps apparaît comme fondamentale dès lors que le domaine de réflexion est celui du droit et de l'éthique.

Ainsi il est problématique de légiférer sur le corps, en effet il n'est pas un objet comme un autre.

Les questions liées à L'IVG, au don d'organe, aux greffes, sont extrêmement délicates à traiter par la loi car il s'agit d'édicter des normes valables pour tous tandis qu'il en va, non seulement de la responsabilité, mais de la réflexion et du sentiment que chacun porte sur son corps. La notion de propriété intervient donc comme une barrière vitale mise entre soi et la loi, qu'elle soit en faveur ou non de l'avortement par exemple, dans ce cas être propriétaire de son corps c'est affirmer qu'on est dans son droit, s'il faut, d'aller contre la loi ou l'opinion. Je suis donc bien propriétaire de mon corps au sens où c'est à moi seul de prendre les décisions relatives au traitement de mon corps.

Toutefois on sent déjà que ce n'est là qu'une façon de parler, que la relation que j'ai à mon corps est bien plus intime que celle de propriété.

Exercer des violences contre une personne c'est tenter de la réduire à son corps physique, comme si finalement notre identité était d'abord celle de notre corps. II- Je suis mon corps. Dans Le phénomène de la vie Hans Jonas montre que la distinction de soi et de son corps, position cartésienne, est artificielle, il n'y a pas à distinguer entre le corps et l'esprit, il y a en effet une « unité psycho-physique » primordiale. Commencer par séparer l'âme et le corps et s'interroger ensuite sur la modalité de leur union c'est prendre les choses à l'envers, en réalité c'est une abstraction que de me distinguer de mon corps.

Comme l'écrit aussi Merleau-Ponty, « je suis mon corps », et, dans le dernier chapitre de La structure du comportement il montre que mes intentions s'incarnent naturellement dans mes gestes corporels, je ne commande pas à mon corps ses mouvements car je ne suis pas en dehors de lui. Il suffit pour s'en convaincre de faire l'expérience en première personne : certes visuellement mes orteils sont extérieurs, existent comme objets spatialisés, mais si je ne les regarde pas, je peux intérieurement localiser chacun d'eux parce que je suis en même temps coprésent à toutes les parties de mon corps.

Ce n'est pas seulement que je connais parfaitement mon corps, que je le « sens », mais que je le suis, qu'il participe de mon être. Dès lors la notion de propriété paraît définitivement caduque, ce que je suis ne peut être dit m'appartenir. III- Le dualisme dans la maladie. Au cour du dernier chapitre de La structure du comportement Merleau-Ponty montre que dans le cas où le corps est confronté à la maladie le dualisme prend tout son sens et devient réel.

En effet, j'ai l'impression que mon corps est une masse qui ne s'accorde plus avec ma volonté, le moi se réifie et la relation que j'ai à mon corps devient une relation de causalité, de commandement.

L'unité psychophysique est rompue. L'idée de propriété redevient donc pertinente, mais sur un mode, non plus moral comme dans notre première partie, mais existentiel, j'existe en dépit, malgré ce corps avec lequel il me faut composer, c'est une relation toute négative. Néanmoins Merleau-Ponty montre que si je suis capable d'investir le handicap de la maladie, en lui donnant un sens, l'unité peut-être rétablie.

Le je peut donc de nouveau coïncider avec le corps à condition d'être capable d'inventer de nouvelles normes d'existence. Conclusion : Ethiquement je suis toujours propriétaire de mon corps, mais ce n'est là qu'une façon impropre de parler, tributaire d'un vocabulaire juridique. D'un point de vue proprement philosophique, désengagé de préoccupations pratiques, je suis mon corps, la notion merleau-pontienne de corps propre exclue toute idée de possession.

L'incarnation n'est pas une propriété, on ne change pas de corps, il se confond avec la personne (c'est bien pourquoi certaines opérations de chirurgie esthétique peuvent être l'occasion de troubles psychologiques, l'idée de physiognomonie – lire la personnalité d'après les traits du visage – aussi naïve soit-elle sur un plan scientifique est, malgré cette naïveté certaine, légitime d'un point de vue de philosophe). Enfin, le cas de la maladie apporte une difficulté supplémentaire, et ouvre la voie à une philosophie de l'existence qui de Spinoza en passant par Nietzsche et parfois la phénoménologie, demande ce que peut le corps.. »

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