Sommes-nous libres lorsque rien, en nous ni hors de nous, n'oriente notre choix ?
Extrait du document
«
Il s'agit de se concentrer sur la notion d'orientation au coeur du sujet.
S'orienter, c'est se fixer une direction, un but, c'est se repérer.
O r, si rien en moi ou
hors de moi ne suscite une certaine orientation dans mon action, alors je suis libre.
Rien ne s'impose alors à moi, rien ne décide ni en moi, ni en dehors de
moi, de la direction à prendre.
Libre à moi de juger une situation pour opter pour une solution? Non, puisque cet environnement ne propose rien: silence au
dehors et au dedans, j'avance à l'aveugle sans pouvoir m'appuyer sur des balises qui marqueraient une voie favorable
J'agis « au hasard », et vois mon acte fécond ou non a posteriori: je vois « si ça a marché ».
Mais être libre, est-ce vivre sans but, à l'aventure dirions-nous,
sans rien qui me dise par avance ce que je dois faire? A ttention, il ne s'agit pas ici de faire ce que l'on veut.
A u contraire, on ne suit rien, on avance et c'est
tout.
Peut-on vivre ainsi? Ne pas vouloir consulter dans notre environnement ou en nous quelque chose d'après lequel on puisse être guidé, n'est ce pas
déjà un but que l'on se fixe?
I.
Descartes: indifférence et libre-arbitre
Dans le Traité des passions (I, 41), Descartes énonce: « La volonté est tellement libre de sa nature, qu'elle ne peut jamais être contrainte ».
Il faut entendre cela
en plusieurs sens.
Premièrement, la volonté est libre, cette force en moi d'agir, par rapport aux mobiles, i-e aux inclinations sensibles, corporels qui
s'accomplissent dans nos désirs.
C es désirs demeurent insatisfaits (satis du latin: assez; donc des désirs sans fin, sans assez, où l'assouvissement
renvoie vers un nouveau désir, et ce, sans arrêt).
Ces inclinations s'imposent à nous, nous en sommes esclaves.
P our Descartes, ma volonté peut s'en
détacher.
Deuxièmement, la volonté est aussi libre par rapport aux motifs, soit, des éléments sensés émanant de l'entendement, quelque chose de réfléchi
(l'esprit a fait retour sur lui et ses motivations possibles).
C ette volonté libre peut nous renvoyer à deux visages de la liberté.
Le premier, c'est la liberté d'indifférence.
Pour saisir cela, il nous faut prendre une image:
l'âne de Buridan.
L'animal se retrouve entre deux champs où l'herbe est aussi verte et appétissante: il va mourir entre les deux champs, ne sachant lequel
choisir.
Rien à l'extérieur ne lui indiquant que choisir, rien ne l'orientant, il n'a pas cette force supplémentaire en lui, susceptible de faire pencher la balance
d'un côté ou d'un autre.
Face à une telle situation d'indifférence, lorsque rien en nous ni hors de nous ne nous oriente, nous sommes tout de même capables,
en tant qu'humain, de choisir.
Le deuxième visage, c'est celui du libre-arbitre.
La liberté ne se manifeste pas seulement dans les cas d'indifférence.
Elle est absolue, et ainsi, même les
impressions les plus fortes que l'entendement présente à la volonté ne l'empêche pas de demeurer libre.
Une raison forte nous détermine à un parti, et
pourtant nous pouvons agir dans le sens contraire.
Mais cette liberté de choisir contre ce qui en nous ou non, nous oriente, est-ce le véritable visage de la
liberté?
II.
Leibniz: logique et Unruhe
Mieux: cette liberté existe-t-elle? A vec Leibniz, nous allons répondre que non, et cela en deux sens au moins.
A insi va s'écrouler l'idée que la liberté est
inorientée, qu'elle peut-être conçue comme ce qui se défait des itinéraires préconçus.
D'abord, une telle liberté est logiquement contradictoire.
Rien n'arrive sans raison, je fais toujours quelque chose selon un mobile.Que je décide d'aller
contre toutes bonnes raisons, afin de montrer que je suis libre ou que je ne suive que mes inclinations, que je vois ce qu'est le meilleur, mais que je
m'obstine à faire le mal afin de montrer le libre visage de ma volonté: ceci est encore une raison, celle de ne pas suivre des raisons.
Si je choisi, c'est que
j'agis, i-e qu'il ne s'agit pas d'un simple mouvement, un réflexe en moi comme par exemple l'activation de l'arc réflexe de ma jambe que le médecin contrôle.
Si je choisis, je délibère, je planifie au moins a minima, prenant compte de ce que je peux, selon mes capacités, les circonstances, ce que je crois être le
bien, ou la situation.
A cela nous pourrions rajouter une partie psychologique.
Dans ses Nouveaux Essais sur l'entendement humain, Leibniz nous rappelle que lorsque je suis face à
une alternative, des petites perceptions me font pencher d'un côté ou d'un autre sans que je m'en rende compte.
Lorsqu'une scie coupe une bûche: si une
seule de ses dents frottait le bois, nous ne l'entendrions pas, son bruit étant trop infime (de même pour deux ou trois dents).
C e s différentiels, i-e ces
quantités infinitésimales de son, doivent être additionnés, sommés, pour franchir le seuil où j'en deviens conscient.
P ourtant, mon esprit a dû entendre les
premiers sons de la scie, ne serait-ce que pour pouvoir les additionner.
Je n'en avais pas conscience, et pourtant mon esprit les saisissait, aussi infimes
soient-ils.
C es petites perceptions jouent sur nous sans arrêt, sans que nous en ayons conscience, nous plongeons dans un état d'inquiétude (Unruhe)
inanalysable.
Face à A ou B, chacune des deux branches de l'alternative nous irradient de petites perceptions, et toutes choses étant absolument
différentes au moins en un point, la balance penche sans que nous en ayons conscience d'un côté ou de l'autre.
A ucune situation d'indifférence n'existe,
nous agissons toujours en « fonction de ».
III.
Kant et l'autonomie
Il semble impossible d'échapper aux déterminations.
Si on ne peut y échapper, alors cela va nécessiter de s'auto-déterminer.
C'est ici le sens même de
l'autonomie, du grec nomos, la loi, et auto, propre: se fixer sa propre loi.
En effet, nous avons en premier lieu les déterminations selon la capacité: je fais ou ne
fais pas quelque chose selon les circonstances.
A insi, je ne volerai pas car je n'ai pas la capacité d'être un bon voleur, je suis maladroit, peu discret (etc).
Puis, nous avons les déterminations selon la contrainte: cette fois-ci, je ne peux pas parce qu'une force extérieure s'oppose à mon action.
Je ne vole pas
parce que cela est interdit par la loi (contrainte nomologique), ou impossible vu le vigile (contrainte d'ordre physique).
Mais Kant veut nous orienter vers un troisième type de détermination.
C e qui est propre au deux premières c'est que je les subis bien malgré moi.
Elles sont
ce que Kant nomme des impératifs hypothétiques, des impératifs propres aux circonstances.
P our Kant, être libre, c'est se fixer ses propres déterminations
sans égard à celles vues précédemment.
A insi approchons-nous des impératifs catégoriques qui s'imposent absolument et ce quelques soient les circonstances.
Ils ne sont pas relatifs mais absolus,
ils s'imposent à moi et surclassent toutes autres considérations.
Mais alors quelle différence y a-t-il si je les subis? Ils sont de l'ordre de l'obligation, c'est à
dire de ce que je m'impose à moi-même.
Il y a une part en moi pour Kant qui échappe à la réalité matérielle, une part différente des mobiles aveugles qui
guident mon action: c'est le moi nouménal qui échappe à toutes les déterminations que je subis, celles venant de l'extérieur, ou d'au-dedans de moi (les
pulsions, les désirs).
C ette partie de moi peut s'auto-déterminer uniquement selon le devoir que je me fixe comme par exemple le fait d'agir uniquement
d'après la maxime qui fais que je peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle.
Je me détermine selon ce point de vue, sans égard aux
circonstances (qui deviendraient alors atténuantes): que se passerait-il si tout le monde faisait ce que je suis entrain de faire, si tout le monde me le faisait?
En ce sens, agir librement, c'est se fixer ses propres obligations, c'est chercher en nous, et non hors de nous, cette part la plus libre, celle qui échappe à
toutes déterminations sensibles, pour orienter son choix selon un objectif précis.
Conclusion
Face au mirage d'une liberté d'indifférence ou du libre arbitre qui nous donnerait la capacité d'agir envers et contre tout, il s'agit donc de saisir que la liberté
ne peut se réduire à ce type de figures que Descartes jugeait être « le plus degré de la liberté ».
Il faut aller chercher au delà du sensible des motifs solides
qui ne dépendent pas des circonstances, c'est chercher ce qui en nous est la partie la plus détachée, la plus libre, pour s'imposer ses propres devoirs, et les
accomplir absolument.
Il y a toujours une raison derrières nos agissement, et la liberté consiste précisément dans le choix des motifs qui seront
déterminant, et non de penser qu'il s'agit d'agir spontanément sous prétexte qu'ainsi rien n'entrave notre action..
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