Socrate était-il ridicule ?
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«
Introduction
Toute la philosophie s'est efforcée depuis sa naissance à conserver, à travers des systèmes complexes de
raisons, un sérieux inégalable, en ce sens où ce qui l'intéresse fondamentalement est la vérité.
Il n'y a pas de
philosophie sans philosophes, et ces derniers sont les tenants de la quête incessante du sens, quoiqu'ils puissent
parfois, par quelque dogmatisme, figer la pensée, ce qui ne peut suffire à la saisie intégrale du concept, principe
actif de signifiance.
En somme, si Socrate, grand maître à penser des débuts du « philosopher » (avec Héraclite et
Parménide ; et Lao Tseu en orient) est ridicule, c'est bien parce qu'il prête à interprétation.
Et on va voir que cette
opinion (car tous les philosophes ne s'accordent pas sur qui était Socrate) basée majoritairement sur les écrits de
Platon, et sur l'histoire de la pensée occidentale, n'est pas forcément fondée.
Esprit libre ou départ d'une grande
bouffonnerie philosophique, reste à déterminer qui était, quoiqu'on en dise, ce grand orateur.
I.
Le Socrate « intempestif » de Hegel ou l'apparition de l'esprit libre
a.
Socrate, figure emblématique de la philosophie occidentale, fut un esprit libre condamné à mort
puisqu'accusé de corruption des esprits, d e la jeunesse.
Socrate a toujours prôné le principe de subjectivité, il
incarne l'idée de l'individu comme conscience morale, sujet autonome, vouloir individuel.
Et « c'est parce que la
Cité était de nature simplement ou immédiatement organique qu'elle était structurellement incapable d'accueillir en elle une volonté libre,
et que celle-ci ne pouvait s'intégrer en elle.
Avec Socrate, la volonté libre est comprise comme volonté arbitraire (donc menaçante) […] »,
et inversement, « une volonté libre ne peut accepter de s'intégrer dans une telle Cité, car, par là même que l'universel s'y identifie aux
mœurs, coutumes, traditions, il ne peut être suivi par conviction personnelle et par conséquent apparaît à la conscience individuelle qui se
veut libre comme un universel arbitraire » (Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, sous la direction d e M.
Canto-Sperber).
On
comprend alors pourquoi Socrate ne pouvait se soumettre à la Cité, et pourquoi cette dernière le rejetait en dehors d'elle.
Il fut en
quelque sorte, à la lumière de ce qu'en pense Hegel, un intempestif ; de fait, « le principe de la moralité, de l'intériorité socratique, fut
nécessairement produit à son époque, mais pour qu'il fut intégré à la conscience générale, il fallut du temps » (Philosophie du droit, § 274).
Ainsi, tout homme doit parvenir au savoir de la figuration spirituelle qui s'exprime à son époque, et surtout se savoir lui-même comme
esprit, capable ainsi de se conformer plus adéquatement au devenir spiritualisant et conciliant de l'esprit (cf.
« Connais-toi toi-même »).
b.
Si Socrate est allé plus loin dans la compréhension de l'esprit, c'est parce qu'il a vu que l'ignorance était la cause de nombreux
m a u x parmi les hommes.
L'affirmation d e Hegel, dans sa Propédeutique philosophique, selon laquelle « l'ignorance ou rudesse de la
disposition d'esprit ou de la conduite sont des limites qui peuvent être nôtres sans que nous le sachions », présente bien la célèbre
formulation de Socrate : « Nul n'est méchant volontairement ».
Par conséquent, le non-savoir de soi, de l'esprit, de ses dispositions et de
l'aspect infini qu'il se donne à travers ses figures, entraîne le mal, l'arbitraire, le vouloir immédiat.
Les hommes agissent alors plus par
crainte d'être punis, ou par volonté d'être reconnus de l'autre, et s'empêtrent ainsi dans une détermination unique, c'est-à-dire relative à
leurs penchants.
C'est pour cette raison que le vouloir moral est imparfait, et ce par rapport à cette disposition d'esprit limitée.
Ainsi,
« c'est un vouloir qui a pour fin la perfection, mais 1) il est également poussé à atteindre à cette perfection par les impulsions de la
sensibilité et de la singularité ; 2) il n'a pas en son pouvoir les moyens de réaliser le bien-être d'autrui et se trouve donc, à cet égard,
limité ».
La béatitude appartient en ce sens à Dieu seul, et c'est pourquoi l'homme grec est celui qui se sacrifie pour le tout.
Mais ce
citoyen du sacrifice n'est pas Socrate.
Car ce dernier se voulait éducateur, et ce en exhortant ses interlocuteurs à réfléchir par eux-mêmes,
et ainsi à trouver en eux la vérité, le sens le plus adéquat à l'absolu.
Socrate a voulu aider les hommes à se conformer à une nature
supérieure, mais le contexte historique lui a fait défaut.
Il faudra donc attendre l'avènement du Christ pour que l'esprit se reconnaisse et
laisse place, à travers la figure de Jésus, à une morale subjective concrète, fondée sur l'amour divin.
Car la moralité n'est qu'un moment
du développement conceptuel de l'esprit, d'où cet écho principal qui en ressort finalement, celui d'une éthique substantielle (de la cité)
trop unilatérale dans l'esprit grec.
II.
Le Socrate « malade » de Nietzsche
a.
Le Socrate de Nietzsche est en effet beaucoup moins héroïque que celui de Hegel.
Il est même
plutôt lâche et est représentatif d e la « dégénérescence », d e la « débâcle d e l'hellénisme » (cf.
Crépuscule des Idoles ).
Socrate est pour Nietzsche la figure même du sage de la décadence qui impose
telle ou telle valeur à la vie, telle ou telle « sottise ».
Il est celui qui a joué la raison contre l'instinct, qui
a engagé la décadence occidentale vers toute axiologie logique.
Cette logique, ou cette dialectique
propre à Socrate, n'est qu'instrument futile puisqu'il ne prouve rien, ou alors ce qui n'a guère de valeur :
« C e qui a besoin d'être prouvé ne vaut pas grand chose » ; et Nietzsche poursuit en disant que
« Socrate fut le pitre qui se fit prendre au sérieux ».
Cet esprit de dialecticien caractérise encore, avec
l'ironie, une manière de se venger contre ceux qui laissaient aller les instincts dans la détermination des
représentations de la vie.
b.
Si avec Hegel Socrate figurait une étape décisive dans le dévoilement d e la raison, dans la
reconnaissance d e l'esprit avec lui-même en tant qu'esprit rationnel, il trouve chez Nietzsche un
caractère risible théâtral, u n e insignifiance tragique dont l'écho se fera entendre jusque dans le
christianisme, où « valeurs morales » ne sont que valeurs de « faibles », à savoir des valeurs d'hommes
indéterminés par eux-mêmes, des valeurs imposés par quelques individus pernicieux (le prêtre par
exemple).
En effet, cet adoucissement, cette équation vertu/bonheur toujours basée sur la mesure, sur
le non excès, est typique d e Socrate (de l'esprit grec), contre l'esprit dionysiaque où se déchaînent
passions et instincts vers une volonté positive de puissance, une volonté affirmant au plus haut point la
vie telle qu'elle apparaît, à savoir de manière multiple.
Mais Nietzsche oublie peut-être ceci que dans les
écrits d e Platon, il arrive très souvent q u e Socrate soit obligé de s'arrêter dans son raisonnement,
puisqu'il ne peut prétendre aller au-delà.
C'est cette humilité propre et essentielle qui marque en un sens le côté non ridicule mais très
sérieux de Socrate, celui qui affirme l'état de son ignorance (« je sais une chose c'est que je ne sais rien ») sans volonté de figer quelque
opinion infondée.
Et c'est d'ailleurs à cet endroit même que l'on rapprochera Socrate et Nietzsche, là où se joue le sérieux d'un homme qui
pense, d'un homme qui, conscient de sa faiblesse, en devient d'autant plus fort (on pense au roseau pensant de Pascal), et qui parvient
au final à retenir l'attention de plusieurs siècles de philosophie.
Conclusion
Si Socrate a permis à un esclave de résoudre par lui-même un problème géométrique, s'il a tant partagé son enthousiasme pour le
quête du vrai, s'il a bu la ciguë au nom de son respect pour les lois de son temps, et s'il a en ce sens dépassé sa négation (les sophistes)
pour une pleine positivité historique, alors on peut dire avec Hegel que « Socrate n'a pas poussé comme un champignon, […], [car] il est
le tournant principal de l'esprit » (Leçons d'histoire de la philosophie)..
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