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Signification et valeur de l'idée de progrès ?

Extrait du document

« Position de la question.

L'idée de progrès a été entendue en des sens assez divers.

D'autre part, après avoir connu au xviiie et au XIXe siècles une fortune extraordinaire, cette idée rencontre aujourd'hui plus de scepticisme.

Pour apprécier sa valeur, essayons de préciser d'abord sa signification. 1.

Le progrès comme donnée positive. On peut d'abord considérer le progrès comme un fait, comme une donnée positive.

Cette conception s'est présentée; tantôt sous une forme plutôt théorique qui relève de la «philosophie de l'histoire », tantôt sous une forme empirique et quasi-scientifique. A.

— C'est surtout au xviiie siècle que s'est développée la théorie du progrès.

Celui-ci est conçu alors, non seulement comme un fait, mais comme une loi, et une loi nécessaire, du développement de l'humanité.

C'est ainsi que l'abbé DE SAINT-PIERRE parle des «conséquences du progrès nécessaire et indéfini de la raison humaine », malgré, ajoute-t-il, «les interruptions des guerres ».

TURGOT qui, en 1750, dans un discours comme prieur de la Sorbonne, a donné le premier exposé d'ensemble de l'idée de progrès, déclare que les progrès de la civilisation sont « nécessaires » bien que, observe-t-il aussi, ils soient « entremêlés de décadences fréquentes par les événements et les révolutions qui viennent les interrompre ».

— Auguste COMTE ne fera que reprendre cette tradition du xviiie siècle en présentant le « progrès » comme la grande loi de la dynamique sociale à côté de «l'ordre », loi de la statique sociale.

Le progrès consiste essentiellement, selon lui, « dans la pleine extension continue de la liberté, c'est-à-dire, en termes plus positifs, dans l'essor graduel des facultés humaines ».

Mais il n'implique pas nécessairement une idée de perfectionnement « La dynamique sociale se présente directement avec un pur caractère scientifique, qui permettrait d'écarter comme oiseuse la controverse si agitée encore sur le perfectionnement humain, et dont la prépondérance devra terminer cette stérile discussion, en la transportant à jamais du champ de l'idéalité dans celui de la réalité...

Il serait facile, à mon gré, de traiter la physique sociale tout entière sans employer une seule fois le mot de perfectionnement, en le remplaçant toujours par l'expression simplement scientifique de développement qui désigne, sans aucune appréciation morale, un fait général incontestable ». B.

— Mais on peut dire aussi, indépendamment de toute théorie et de toute « philosophie de l'histoire », que le progrès est une donnée des sciences humaines.

1) Du point de vue sociologique d'abord, il y a eu, dans l'ensemble, progrès de la division du travail social.

Les sociétés dites « primitives » sont des sociétés relativement simples, en ce sens du moins que toutes les fonctions sociales s'y trouvent plus ou moins mêlées ou même confondues.

Les sociétés modernes sont, au contraire, des sociétés différenciées où chaque fonction possède ses organes et son personnel propres ; d'où, comme a dit Durkheim, une « solidarité organique » qui fait que tous ces organes collaborent à l'oeuvre commune.

Il s'ensuit aussi une complication de la structure sociale, d'où il résulte que l'individu, au lieu d'être la chose d'un seul groupe auquel il appartient tout entier, se trouve au point d'interférence de groupes multiples, ce qui lui laisse plus d'autonomie et de liberté.

— 2) Une autre forme, difficilement contestable, du progrès est le progrès technique.

L'homme moderne dispose de moyens d'action sur la nature incomparablement plus puissants que l'homme de l'antiquité ou même des époques antérieures à la « révolution industrielle ».

— 3) On ne peut guère nier non plus un certain progrès intellectuel, au moins sous sa forme cumulative.

L'homme moderne connaît beaucoup plus de choses sur l'univers et même sur lui-même que l'homme d'autrefois.

— 4) Enfin il faut bien reconnaître, au moins dans nos sociétés occidentales, un certain progrès social : élévation du niveau de vie, développement de la « sécurité sociale », recul de l'analphabétisme, etc. II.

Le progrès comme idéal. Mais le progrès a, le plus souvent, été conçu comme un idéal beaucoup plus que comme un fait.

Le XIXe siècle a même connu une véritable religion du progrès.

Il y eut un temps où nier le progrès humain apparaissait comme une sorte de sacrilège.

Le progrès est alors conçu comme un ensemble de valeurs qui s'incarnent peu à peu dans la réalité.

De nos jours toutefois, l'homme est devenu beaucoup plus sceptique, et l'on n'oserait plus guère aujourd'hui chanter, comme Victor Hugo : «Temps futurs, vision sublime», etc.

C'est qu'en effet le progrès ainsi conçu soulève de nombreux problèmes. A.

— On peut d'abord mettre en doute la réalité même de certaines, au moins, des formes positives, effectives du progrès décrites cidessus.

La multiplication des groupes sociaux, si elle libère l'homme par certains côtés, l'enserre d'autre part dans une multitude d'obligations et d'obédiences, à tel point qu'on a pu parler d'une croissante « mécanisation sociale ».

L'extension du bien-être social ne doit pas nous faire oublier l'existence de «pays sous-développés », et l'accroissement continuel de la population dans certaines régions du globe pose aujourd'hui de graves problèmes concernant même l'alimentation des êtres humains.

Souvenons-nous enfin que l'esclavage existe encore dans certains pays et que d'autres sont soumis à un régime totalitaire qui n'est qu'un retour à l'emprise absolue du groupe sur l'individu qu'on rencontre dans les sociétés primitives. B.

— Là même où le progrès de fait est incontestable, sa bienfaisance, sa valeur comme progrès humain peut être mise en question : c'est ce qui se produit pour le progrès technique. C.

— De toute façon, il faut bien reconnaître qu'il existe des régressions (nous venons de le signaler à propos des régimes totalitaires) et aussi des distorsions entre les différents aspects du développement social : toutes les parties de la société, toutes les fonctions sociales ne se développent pas au même rythme, et les sociologues américains ont beaucoup insisté sur ce phénomène du cultural log, du retard de civilisation, qui fait, par exemple, comme a dit l'un d'eux (Harry Elmer BARNES) que nous avons « des machines up to date» et « des institutions antiques ». Conclusion.

Ne soyons donc pas trop optimistes sur la réalité et surtout sur la valeur du progrès.

A vrai dire, il n'y a qu'un critère essentiel du véritable progrès humain : c'est celui de la valeur reconnue à la personne humaine, du respect de sa dignité et des moyens plus ou moins étendus qui lui sont offerts en vue de son plein développement.

Si ce progrès est, dans une certaine mesure, une réalité, il est surtout un idéal.. »

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