Se connaître soi-même, connaître les autres. Faut-il voir là deux actes indépendants ?
Extrait du document
«
On connaît le conseil que donnait Socrate et dont il faisait le point de départ de toute
philosophie « Connais-toi toi-même ».
Comment peut-on arriver à se connaître ? En estil de nous-mêmes comme d'un objet du monde extérieur que nous approchons par nos
sens ? La connaissance de soi est une entreprise difficile, en dépit des apparences qui
nous font croire que nous sommes si proches de nous-mêmes que cette connaissance
soit immédiate.
Par ailleurs, nous avons besoin, dans notre vie quotidienne de connaître
autrui, dont nous pouvons observer les gestes, les attitudes, la façon de parler, et
cependant, rien ne reste plus lancinant que l'impénétrable secret que semble recéler
chaque être en face de nous.
Autrui est à la fois proche de nous et opaque, fermé à
notre connaissance.
Le psychologue cherche à connaître les hommes, c'est-à-dire lui-même — il fait partie
de son objet d'étude — aussi bien qu'autrui.
L'ambition d'une science psychologique ne
se borne pas à la connaissance individuelle, ni de soi, ni d'un autrui individuel, mais
s'efforce de dégager des lois et des aspects qui soient valables pour tous les hommes.
Quelque soit la façon dont elle procède, la psychologie ,est une démarche de
connaissance qui englobe à la fois la connaissance de soi et la connaissance d'autrui.
Ceci marque l'unité fondamentale de la psychologie à travers ses différentes méthodes et souligne qu'en principe il
ne peut manquer d'exister une dépendance entre les deux actes qui nous font connaître nous-mêmes et les autres.
Car il s'agit bien, en fait de deux actes distincts.
Comment nous.
connaissons-nous ? Lorsque nous agissons, nous sommes informés de ce qui se passe autour de
nous et en nous.
C'est la conscience.
Ainsi je peux dire « je marche », non seulement parce que mon corps se
déplace dans l'espace, mais aussi parce que j'ai conscience du mouvement de mes membres.
De la même façon, je
peux dire « je me souviens...
»
.
au moment où le souvenir apparaît et ou l'idée se fait jour.
Nous sommes sans cesse informés de ce qui se passe
en nous, d'un déroulement psychologique continu.
Mais ce qui se passe ainsi en moi n'est perceptible par personne
d'autre, et moi-même, si je cherche à savoir comment les phénomènes de ma conscience se développent, se
heurtent, s'entrecroisent ou se mêlent, je suis obligé d'adopter une attitude particulière que l'on peut dire
introversive.
Je me tourne vers l'intérieur » ; mon attention s'attache à saisir ma propre vie intérieure, et, pour un
temps, je suis complètement aveugle à ce qui se produit autour de moi ; en quelque sorte, je me recueille, et je
considère comme des divertissements tous les phénomènes sensibles qui ne me sont d'aucun secours actuel dans
l'analyse que je poursuis de mes sentiments ou de mes pensées.
Ici le moyen de me connaître, c'est une conscience
réflexive qui me permet de m'observer, c'est-à-dire d'atteindre en moi un réel subjectif.
C'est un acte dans lequel
toute ma pensée se concentre sur ma vie psychologique dans un mouvement d'introspection.
Ce mouvement, étant
donné que la conscience est en continuelle évolution, devient nécessairement rétrospectif, dès que nous cherchons
à connaître les liens et les rapports qui peuvent exister entre deux phénomènes psychologiques.
Au contraire, comment connaissons-nous autrui ? On pourrait croire que, soudain, l'objet a changé de nature.
Nous
sommes soudain privés de cette saisie intime des mouvements intérieurs de la conscience et de la pensée.
Paul, qui
est en face de moi, est-il conscience comme moi ? Je n'en sais rien.
Il est pour moi, mimiques, gestes, mouvements,
action physique sur les choses environnantes.
Je ne puis que l'observer comme on observe une chose ou un animal.
Il n'est pas conscience.
Il est comportement.
Au lieu d'être introversive, mon attention est extroversive, tournée «
vers l'extérieur ».
Quand je cherche à me connaître, quand je cherche à connaître Paul, là, devant moi, il apparaît clairement que les
deux actes de connaissance sont de sens contraire, et de nature différente.
Malgré cette opposition, je ne puis oublier —peut-être n'est-ce qu'un préjugé — que Paul qui agit devant moi, est
au même titre que moi une conscience et, si je veux connaître, c'est-à-dire comprendre sa conduite, je suis
invinciblement amené à chercher ce que ses gestes expriment.
Ainsi, je viens d'offrir une cigarette à Paul et il vient
de la refuser.
Il a d'abord esquissé le geste de la prendre, puis, au milieu de la phrase qu'il était en train de dire, il
s'est interrompu : Non...
merci...
et il a repris le fil de son discours.
Je constate : il a refusé la cigarette, et je puis
décrire comment.
Mais ce geste ne me suffit pas.
Je veux le comprendre, et il me faut l'interpréter.
Certes, j'essaie
de me souvenir si, en d'autres circonstances, Paul, qui parfois fume, a déjà refusé.
Est-ce que ces cigarettes ne lui
conviennent pas.
Son comportement m'invite à une enquête rapide de l'expérience limitée que j'ai de sa conduite.
—
De la même façon, la psychologie de comportement, à l'observation et à l'expérimentation, joint des enquêtes,
rassemble des indices, accumule des témoignages.
Et tout ce matériau me permet de relever des constantes de
comportement qui permettent de caractériser un individu par sa conduite, et de classer les conduites d'autrui.
Ce
résultat a sa valeur.
Mais les gestes de Paul, que j'arrive à préciser, il me semble que je ne les comprendrai véritablement que si je leur
découvre un sens, une cause qui ne reste cachée.
La connaissance d'autrui dépend de la connaissance de soi, en ce sens que je suis obligé, pour comprendre les
actes d'autrui, de raisonner par analogie, de rechercher dans mon expérience personnelle de la connaissance que j'ai
des motifs qui déterminent mes actes, les déterminations des actes de Paul.
Si j'avais refusé une cigarette, c'est
que...
L'interprétation que l'on donne aux actes d'autrui repose sur notre expérience personnelle et subjective à
laquelle nous nous référons sans cesse, comme au plus riche champ d'observations que nous connaissions.
On ne saurait cependant être trop en garde contre les dangers que présentent une telle méthode.
Il est toujours
risqué de prêter à autrui les sentiments et les raisons que nous aurions nous-mêmes.
Et d'une analogie, voire d'une
identité de gestes dans une situation semblable, on ne saurait conclure à une identité de déterminations profondes.
Est-ce que je connais Paul, quand j'ai trouvé, moi, une analyse de sa conduite qui me prouve une compréhension; je
n'atteins sans doute que le vraisemblable, et l'apport de l'introspection constitue une possibilité de recherche, non.
»
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